Damon Albarn, le grand puzzle

Damon Albarn © Linda Brownlee
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Après avoir tourné autour du pot pendant des années, Damon Albarn sort enfin son premier album solo. De Blur à Gorillaz en passant par l’Afrique, retour sur le parcours d’un surdoué.

Printemps 2014. Dans les colonnes du NME, début du mois, Damon Albarn confirme la rumeur qui tournait depuis un moment: plus rien n’exclut de le voir un jour sortir un disque commun avec Noel Gallagher. « Disons que pour être honnête, on en a discuté au moins une fois. » Vingt ans après « la grande bataille d’Angleterre », la Pax Britannica est officialisée, la guéguerre Oasis-Blur enterrée.

L’histoire de la pop prend parfois de drôles de tournants. Dans les années 90, les prolos mancuniens d’Oasis semblaient pouvoir balayer les pédants de Blur. C’est précisément l’inverse qui s’est passé. Les premiers ont enchaîné des albums de moins en moins enthousiasmants pendant que les seconds n’ont eu de cesse de se réinventer. Albarn en particulier a su trouver sa voie, en multipliant les projets -Gorillaz, Africa Express… Résultat: il est devenu l’une des personnalités les plus influentes et respectées du rock. Moins « compliquée » que Thom Yorke, plus « discret » que Bono.

A 46 ans, il sort pourtant seulement son premier album solo. Ou en tout cas le premier à n’afficher que son seul nom. « J’aime bien faire tourner plusieurs assiettes en même temps. Et quand l’une d’elles commence à chanceler, je me concentre dessus. » C’est donc l’heure de la vaisselle perso. Ne comptez pas sur le bonhomme pour lui donner une importance démesurée. Loin des offensives marketing de ses camarades superstars, jouant sur le secret et le mystère, Albarn a déjà dévoilé une série de morceaux, en singles ou sur scène. « J’ai toujours fait de la musique. Celle-ci porte juste mon nom. Mais cela ne signifie pas que je suis devenu tout à coup un artiste solo. » Fausse modestie?

Quelque part, il n’est en effet qu’un album de plus dans l’itinéraire d’Albarn. Pas le plus spectaculaire, mais le plus dépouillé. Il ne résout pas le puzzle qu’est devenue la discographie du bonhomme mais lui donne une épaisseur supplémentaire. Une pièce à rajouter à un dossier déjà bien fourni. Le voici, résumé en 6716 signes.

Modern life is rubbish

Werchter 2013. Après un hiatus de plusieurs années, Blur s’est reformé pour une série de concerts. Il faut le voir pour le croire: sur la scène du festival mammouth, les héros de la Britpop renversent tout sur leur passage. On pensait voir un band venu cachetonner sur le dos de la nostalgie. Au lieu de ça, rien que du beau jeu, de l’excitation, de l’enthousiasme… Qui l’eût cru?

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Flash-back. Vingt ans plus tôt, très précisément, Blur sort Modern Life Is Rubbish. Il s’agit de leur 2e album, et à l’époque, il est déjà un peu celui de la dernière chance… Les lads sont en effet au bord de la faillite. Financière et morale: le groupe s’est notamment épuisé dans une tournée américaine un peu vaine –« on en a détesté chaque minute », déclarera Graham Coxon. A cet égard, le disque est un gros doigt d’honneur aux cousins ricains. Pour les photos de presse, Albarn, Coxon, Alex James et Dave Rowntree filent sur la côte anglaise, et posent en training devant des b&b so British -ne manquent plus que les fish and chips. Les médias ressortent l’Union Jack et se mobilisent pour mettre en avant la nouvelle vague de groupes locaux, bientôt baptisée Britpop, et présentée comme l’antidote au grunge américain. Albarn en 94, au NME, déclare par exemple: « Si le punk est né d’un ras-le-bol envers le mouvement hippie, alors j’en ai marre du grunge. C’est le même genre de sentiment: les gens devraient se bouger, être un peu plus énergiques. » Les yeux hagards, Nirvana saignait son mal-être. Blur préfère l’ironie et le joyeux bordel, chargé à la lager. C’est l’histoire du rock qui bégaie, l’éternelle rivalité transatlantique qui est ravivée. Doublée pour le coup d’un combat de coqs maison. Dans les années 60, il fallait choisir entre les Stones ou les Beatles. Dans les nineties, on compte les points entre Blur et Oasis… On connaît aujourd’hui le vainqueur. Certes, Blur est un navire instable. Mais de ce cours chahuté, il fera la matière de disques de plus en plus brillants. Impossible de comprendre les nineties sans avoir écouté par exemple Parklife (1994), Blur (1997) ou 13 (1999)…

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Tomorrow comes Today

Le succès laisse évidemment des traces. Après une décennie le nez dans le guidon (et dans la dope), Blur est à cran. Le couple qu’Albarn forme avec Justine Frischmann (Elastica) a explosé en vol. Fin des années 90, le chanteur vit dans un appart en colocation avec Jamie Hewlett, dessinateur de Tank Girl, un comics punk. A deux, ils conçoivent un groupe imaginaire qui prendrait la forme de personnages de cartoon: Gorillaz. Musicalement, le projet est un fameux fourre-tout pop, dub, hip hop… Il est aussi une joyeuse critique du star system, de la culture de la célébrité et de l’hystérie médiatique. Mieux: alors que la musique est en train de se dématérialiser complètement avec l’arrivée du Net et du téléchargement illégal, Albarn invente un band virtuel… Tomorrow comes Today.

Ce qui n’était qu’une récréation, un plan B, devient rapidement un vrai succès. Planqué derrière les personnages de dessin animé, Albarn joue les chefs de bande inspiré. Sur les trois albums signés Gorillaz (quatre si l’on compte The Fall), il convoque un casting délirant: De La Soul, Lou Reed, Snoop Dogg, Ibrahim Ferrer, MF Doom, Neneh Cherry… Les tubes se succèdent: DARE, Feel Good Inc, Clint Eastwood… En 2010, le vrai-faux groupe se lance même dans une tournée, qui passe notamment par Anvers. Ils sont plus d’une septantaine à défiler sur scène. « Musicalement, c’était le pied. Financièrement, le naufrage », rigole aujourd’hui Albarn.

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Peu importe. Gorillaz, c’est de l’entertainment quatre étoiles en pleine crise de l’industrie du disque. Un projet un peu délirant de pop situationniste qui aime se moquer de l’époque. Par exemple en parodiant le cirque rock’n roll. En 2010, l’album Plastic Beach se déroule sur fond de règlement de comptes, de courses-poursuites et de piratages. Mais en filigrane, pointent des considérations moins désinvoltes sur l’environnement. Le commentaire « écolo » est glissé sans insistance. Albarn s’est toujours méfié des élans humanitaires des pop stars, souvent sujets à caution.

Africa Express

Ce qui ne l’empêche pas de prendre régulièrement position. Albarn vient d’une famille politisée. Son grand-père, objecteur de conscience pendant la Seconde Guerre mondiale, l’influencera énormément dans ses actions pacifistes. En 2002, il est par exemple l’un des premiers à se mobiliser contre l’intervention occidentale en Irak. Quelque temps plus tôt, en 2000, il participe aussi à une campagne Oxfam et s’envole pour le Mali. Le voyage laissera des traces: Albarn a toujours écouté les musiques africaines, mais après son voyage en Afrique de l’Ouest, il retournera régulièrement chercher l’inspiration sur le continent noir.

Le coup de la rock star qui va se « ressourcer » en Afrique est un grand classique, noteront les plus blasés. Sauf qu’Albarn donne une vraie consistance à son implication. Il y aura l’album Mali Music en 2002, puis plus tard Kinshasa One Two (2011). Il produira aussi Amadou et Mariam (Sabali). L’an dernier, il sortait encore Maison des jeunes, autre disque collaboratif lancé dans la foulée de son projet Africa Express, qui réunit musiciens africains et occidentaux.

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Albarn ne s’arrête pas là. Il s’implique dans le label Honest Jon’s, tenu par les propriétaires du magasin de disques du même nom, sur Portobello Road. Au menu: disques soul, reggae, mais aussi des compilations de musiques d’Afrique de l’Est des années 30, ottomanes, perses… La curiosité toujours. Et l’éclectisme qui va avec. Ces dernières années, Alban a au moins lancé deux supergroupes (The Good, The Bad & The Queen et Rocket Juice & The Moon), enregistré un opéra, Dr Dee, inspiré par Alan Moore (les comics Watchmen, V For Vendetta, etc.), un autre qui plonge son electronica dans les musiques chinoises (Monkey: Journey To the West), tout en produisant le dernier album du revenant Bobby Womack (The Bravest Man in the Universe)… Increvable.

De tâcheron inspiré de la Brit-pop, Albarn s’est ainsi transformé en musicien-curateur visionnaire, toujours entre deux nouveaux projets. Cette hyperactivité est devenue son mode de fonctionnement. Une sorte de fuite aussi? Depuis qu’il s’est échappé de Blur, Albarn tourne en effet autour du fameux disque solo. Jusqu’ici, il s’en était sorti en le « noyant » dans des efforts collectifs comme Gorillaz ou des sorties plus anecdotiques (les démos de Democrazy). Everyday Robots est donc un petit événement. Et une petite merveille de pop méditative (lire par ailleurs). En fait, c’est exactement le genre de disque que détestera Liam Gallagher. Et c’est tant mieux.

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