Badi: « Il y a une sorte d’hypocrisie à pointer l’Amérique du doigt, alors qu’ici aussi, il y a pas mal de soucis »

Badi, la fête est finie. © Ramzy Bentrad
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Sur son nouvel album, Trouble fête, le rappeur Badi collabore avec le producteur Boddhi Satva et appuie là où ça fait mal. De Lampedusa à Wakanda, de #MeToo à Black Lives Matter, ça grince sur le dancefloor… Entretien.

Qui a dit qu’une fois le train passé, on était condamné à rester à quai? « Il finit toujours par repasser, mais pas forcément à une heure précise« , constate Badi. Il est bien placé pour le savoir. Quand le convoi de la hype hip-hop belge a déboulé en trombes en 2016, cela faisait déjà 20 ans qu’il écumait la scène locale. D’abord au sein du collectif Chant d. loups, puis sous le pseudo BdBanx. En 2015, c’est sous le nom de Badi qu’il sort l’EP Matonge, suivi deux ans plus tard de l’album Article XV. Il y livrait une bonne partie de son histoire personnelle. Celle d’un ket, né Badibanga Ndeka à Bruxelles en 1981, de parents ayant fui le Zaïre de Mobutu quatre ans plus tôt. Au passage, il en profitait également pour ouvrir la fenêtre rap, laissant rentrer aussi bien la rumba congolaise que la pop. Trois ans plus tard, son nouveau Trouble fête y ajoute l’électronique. Et l’amène à un nouveau tournant. « Avec ce nouveau disque, j’ai l’impression d’être au début de quelque chose. Ce qui peut paraître bizarre. Je ne vais pas mentir, j’ai une histoire particulière. Je suis à l’aube de mes 40 ans. Et je suis redécouvert par des plus jeunes, d’autres médias. »

L’album a été conçu en collaboration avec le DJ/producteur Boddhi Satva – Armani Kombot-Naguemon de son vrai nom, né en Centrafrique, en 1983, et tenant d’une afrohouse capiteuse. « Après deux disques très basés sur les samples, je savais que je voulais partir sur quelque chose de plus électronique. Comme la musique de Boddhi est très dansante, Trouble fête devait être d’ailleurs un album plus positif. Mais au final, mes textes restent mes textes! » (rires) De fait: même sur des productions dance, la plume de Badi aime volontiers gratter là où ça fait mal. Moins directement autobiographique, certes, mais toujours aussi grinçante. Peut-être même plus cash que jamais. « Le discours n’a pas changé. Mais j’avais envie d’être plus direct dans l’écriture. »

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Chez Léon ou chez Mère Malou

Le meilleur exemple est sans doute le single Mauvaise ambiance, sorte de déclinaison made in Belgium du This Is America de Childish Gambino. Exemple: « This Is Belgica, pays de la bière et de la NVA/des mains coupées et des cervelas/responsable de la mort de Lumumba« , ou encore un peu plus loin: « Kendrick sous chants racistes au Pukkelpop/Jeter de Noir à la gare d’Aarschot« . « Au moment où le clip de Childish Gambino est sorti, je discutais sur Facebook avec un pote en mode « c’est les États-Unis, ici c’est pas pareil ». Ça m’a fait tiquer. Il y a souvent une sorte d’hypocrisie en Europe, en particulier dans le monde francophone, à pointer l’Amérique du doigt, notamment par rapport au racisme et aux violences policières, alors qu’ici aussi, il y a pas mal de soucis. » Les victimes ont un nom -Semira (Adamu), Sanda (Dia), Lamine (Bangoura), Adama (Traoré), etc. Lors de la session qu’il a enregistrée récemment pour les très suivies capsules web Colors, Badi les portait inscrites sur son perfecto. « Je voulais profiter de la visibilité qu’offre une telle plateforme internationale pour faire passer le message. »

Il y a une sorte d’hypocrisie en Europe u0026#xE0; pointer l’Amu0026#xE9;rique du doigt, notamment par rapport au racisme et aux violences policiu0026#xE8;res, alors qu’ici aussi, il y a pas mal de soucis.

Il y en a d’autres. Fils d’exilés, le rappeur évoque le drame de Lampedusa (Visa). Homme, il se remet en cause sur le morceau Me Too. « Comme beaucoup, j’ai été surpris de l’ampleur que ça a prise. Dans la communauté congolaise et africaine, le hashtag #BalancetonWilly a aussi beaucoup tourné. Pendant deux ans j’ai également participé au projet Congo Eza, en compagnie de Lisette Lombé et Joëlle Sambi, toutes les deux très impliquées dans le combat féministe. On a pu beaucoup échanger. Ça m’a amené, en tant qu’homme, à me poser pas mal de questions, sur mon propre comportement. Et puis même simplement en tant que rappeur, il faut pouvoir reconnaître que c’est une musique qui véhicule certaines images: la bitch, le bad boy, tout ça. « It’s only entertainment », diront les Américains. Mais est-ce que c’est encore tenable aujourd’hui? Je ne suis pas certain… »

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Afropéen, Badi analyse ses racines congolaises (l’art de la sape sur Kitendi) et sa position de « belgicain » (Intègration), refusant de trancher entre un poulet moambe chez Mère Malou et un moules-frites chez Léon, moquant aussi bien les Noirs que les Blancs (Qui es-tu?). Badi le fait avec un sens de la formule, parfois lapidaire, mais sans tomber dans le manichéisme. Sur Virgil Abloh, par exemple, il célèbre autant qu’il asticote le pop activism noir -« T’es Africain depuis Wakanda/Moi depuis Soundiata Keïta« , opposant l’Afrique sci-fi du film Black Panther et le personnage historique, fondateur de l’empire du Mali au XIIIe siècle. « Il y a une sorte de hype afro, avec des phénomènes comme Black Panther ou des personnalités comme Solange, ou Beyoncé et son projet Black Is King. Que j’apprécie. Mais dans le même temps, je ne peux pas m’empêcher de penser que l’Afrique qui y est représentée est une Afrique fantasmée, qui n’a pas grand-chose à voir avec la réalité. Après tout, pourquoi pas? Je dis juste qu’il y a une histoire qui a commencé bien avant, avec ses héros. Qui, eux, ne sont pas des Marvel. »

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Badi ne crache pas dans la soupe. Il a bien conscience de ce que ce mouvement pop peut apporter, les discussions qu’il peut permettre, les combats qu’il peut éclairer. « Pendant longtemps, quand je tenais certains discours, avec d’autres, comme Baloji par exemple, j’avais l’impression que les gens ne comprenaient pas. Même au sein de nos communautés on avait le sentiment de passer pour ceux qui ramènent la « mauvaise ambiance » (rires). Aujourd’hui, je constate que le contexte a changé. Le débat a changé. Quand je me rends à la manifestation Black Lives Matter, en juin dernier, que je vois une femme comme Lous and The Yakuza qui est portée par ça aussi, je me dis qu’on avance. Aujourd’hui, le sujet est devant les yeux de tout le monde, il n’y a plus moyen de l’éviter. On sait bien que ça ne va pas durer, qu’à un moment, ce ne sera plus à la une. Mais nous, on sera encore là, s’il le faut, pour en parler. » On n’en doute pas.

Badi et Boddhi Satva, Trouble fête, distribué par Batakari/BBE. ***(*)

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