Badi, le Belgicain
Né dans le rap, le Bruxellois Badi n’a cessé d’élargir sa palette vers la pop et la musique africaine. Exemple avec son album Article XV, où il retrace son parcours familial, entre Kinshasa et Bruxelles.
A un moment, il ne faut plus tergiverser. « Le disque était prêt. J’ai eu quelques rendez-vous avec des maisons de disques, mais je n’avais plus envie d’attendre. J’ai voulu foncer. Et puis la démarche était assez raccord avec le titre de l’album: on va le faire à la débrouille! » Le nouveau projet autoproduit de Badi est sorti le 30 juin dernier, jour de l’indépendance du Congo. Son titre, Article XV, fait en effet référence au système D. Celui qui, in fine, reste toujours le plus efficace du côté de Kinshasa…
On le connaît bien, Badi. Pas personnellement, mais à force de voir son nom circuler depuis une quinzaine d’années sur la carte des musiques urbaines made in Bruxelles. Le jour où on le croise, du côté de la place Flagey, il arbore une casquette. Mais plutôt la version Brigades du Tigre que le modèle américain façon Jay-Z. C’est pourtant bien dans le rap qu’il a commencé. Dès l’adolescence, il est complètement dedans. Avec plusieurs potes, il fait partie de Présumés Coupables, qui se fait rapidement un nom dans le milieu. Il n’a pas encore 20 ans quand sort Le Chant des loups, qui deviendra aussi le nom du collectif élargi. Il y aura aussi les mixtapes avec des piliers bruxellois comme Scylla, James Deano, Convok, etc. Et puis, sous le nom de BdBanx, les premières productions solo, plus électro, avec notamment un certain Stromae.
Mais dans les années 2000, le rap belge ne paie pas. Il se voit à peine dans les médias. Badi fait partie de ce que l’exposition Yo de Bozar, consacrée à l’histoire du hip-hop bruxellois, a appelé « la génération sacrifiée« … « Oui, c’est vrai. Financièrement en tout cas (rires). Mais je ne vais pas me plaindre, j’ai pu en profiter. Les organisateurs de Yo m’ont contacté pour faire partie de l’expo. Si ça permettait de remettre un peu de lumière sur le Chant d. loups, je trouvais en effet que ça avait du sens. En tant que Badi, par contre, je me voyais mal intégrer le parcours. Je préférais qu’on mette en avant des types plus jeunes que moi, qu’ils bénéficient de la lumière qu’on n’a pas toujours eue. » Une preuve d’humilité. Mais sans doute aussi de clairvoyance. Si Badi a toujours les deux pieds dans le hip-hop, il a également la tête ailleurs. Du côté de la pop et de la musique congolaise…
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Made in Matonge
Le déclic arrive lors d’une scène organisée par Lézarts Urbains. Le vendredi soir, Badi donne un concert rap classique. Mais le lendemain, l’ASBL lui propose de jouer avec un groupe de « vrais » musiciens, dans un format plus posé. « J’ai pris une claque. Tout à coup, les gens écoutaient vraiment ce que je racontais. Je me souviens être descendu de scène et avoir dit à ma femme que j’avais fait mon choix, que je voulais partir sur quelque chose de différent. » BdBanx devient donc Badi. Le propos est plus intime. La musique elle-même devient plus pop. Et, bizarrement, le ramène vers l’Afrique. Il voit ses rappeurs américains préférés sampler la soul music: pourquoi ne ferait-il pas la même chose avec la musique congolaise, qu’il a toujours écoutée -son oncle, Papa Rondo, a été saxophoniste dans le légendaire TP OK Jazz de Franco. En 2013, Badi se rend pour la première fois en RDC. « En arrivant à Kinshasa, je me rappelle m’être dit que je n’avais jamais vu autant de Noirs au même endroit. » (rires)
La démarche est personnelle, mais aussi musicale. « Je voulais être crédible, me faire ma propre expérience. Sinon, le risque est de partir sur des fantasmes. En gros, il y a soit l’image de l’Afrique, pas toujours très reluisante, telle qu’on peut la voir le plus souvent à la télé: les guerres, la famine, etc. Soit, à l’inverse, un monde à la Erykah Badu, où tout le monde se promène avec un pagne sur la tête, super bien maquillé. » (rires) Sur place, Badi rencontre sa grand-mère et toute sa famille congolaise. Et réalise dans la foulée ce qu’il a d’africain, mais aussi d’européen. En 2015, il sort l’EP Matonge. Look à la Lumumba, il évoque la RDC (#243), mais aussi la Belgique (Belgicain) et son couple « mixte » (Na Lingi Yo).
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Sur le tout nouveau Article XV, celui qui vient encore de remporter le prix Paroles urbaines, pousse encore plus loin la mise à nu. Inspiré aussi bien par la rumba kinoise que par Arcade Fire, par Chance the Rapper comme par le top 50 (J’ai des doutes), Badibanga Ndeka déroule sa bio. Celle d’un gamin né à Bruxelles, en 1981. Il parle de son père -ex-soldat de Mobutu- et de sa mère, qui ont fui le Zaïre quatre ans plus tôt. En 1987, frappé par un AVC, le paternel perd son boulot à l’ambassade du Kenya. Et se retrouve sans papier, avec bientôt un ordre de quitter le territoire qui leur pend au nez… Tout cela, Badi l’a mis en images dans un court métrage intitulé La Lettre. Ce jour-là, quand la police débarque pour remettre un avis d’expulsion, les parents sont absents. C’est Badi et sa soeur qui réceptionnent le document… Finalement, Badi obtiendra la nationalité belge à l’âge de douze ans. « J’ai été le premier Belge de la famille! » Aujourd’hui, toute la famille a été régularisée. Mais il a fallu se battre. Dans Allo Maman, Badi évoque comment son père a pu se réfugier à ce moment-là dans l’alcool, noyant « ses soucis dans le Porto, le Cointreau ou le Merlot« . Sur l’air de Bongo Bong de Manu Chao, il avoue même: »Parfois, j’aimerais mourir pour ne plus jamais te voir/Parfois, je voudrais te tuer pour ne plus jamais te revoir. » « C’est le genre de choses qui vous traversent la tête. Autant le dire. Quelque part, j’écris aussi un peu en mode thérapeutique… Je ne me suis pas tout le temps bien entendu avec mon père. Mais aujourd’hui, ça va mieux. Il est même présent sur le disque. C’est notre album en fait. » Celui-ci est généreux, éclectique, à la fois conscient (La plus belle) et dansant (Ndeka Dance). Et rap? « Moi, je me considère toujours comme un rappeur. Ce sont les autres qui se posent davantage la question. » (rires)
Badi, Article XV, autoproduction. ***(*)
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