I Am Dead, l’hymne à la vie
Souvent trivialisée à des fins ludiques, la représentation de la mort dans le jeu vidéo prend un visage plus sensible sur la miraculeuse chasse aux objets de I am Dead. Une brocante aux souvenirs qui succède à une poignée d’indés réinventant l’idée de deuil.
Inhérent au jeu vidéo, le game over s’impose comme un ressort ludique dont la portée iconique a contaminé notre langage courant. Très fréquemment, la fin de la partie est synonyme de décès de l’avatar, ce qui a soulevé des débats houleux à mesure que le gaming élargissait son public.
Les gamers qui ont grandi avec la première PlayStation ne se sont par exemple jamais remis de la mort d’Aerith, protagoniste phare de Final Fantasy VII, en 1997. Après avoir combattu à ses côtés pendant une dizaine d’heures, le gamer assistait, impuissant, à son assassinat. Ce twist jamais vu dans un jeu vidéo s’alignait avec la vision éditoriale plus cinématographique et adulte du nouveau label gaming de Sony. Cette disparition entendait provoquer un sentiment viscéral de revanche chez le gamer sans toutefois se poser de question supplémentaire. Vingt-trois ans après ce point de bascule qui a marqué l’industrie, I Am Dead poursuit avec poésie une réflexion saine et poétique autour de la mort, dans le sillage d’une poignée de créations indés comme Spiritfarer et Necrobarista qui abordent sans tabou et avec doigté le décès, l’absence et le deuil. De quoi secouer une industrie qui a pour habitude de trivialiser la Grande Faucheuse.
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Tapissé de tons pastel drapant des dioramas 3D à inspecter sous toutes les coutures, I Am Dead glisse le joueur sous la barbe de Morris Lupton, conservateur fraîchement décédé du musée de l’île de Shelmerston. Le héros coincé entre deux mondes y retrouve sa chienne -désormais douée de parole- et découvre qu’une éruption volcanique menace son île et ses habitants. Comment les sauver? Il faut matérialiser de récents défunts pour les pousser à endosser le rôle de gardien de l’atoll. Ce pitch sert de parfait prétexte au studio Hollow Ponds (cofondé par Richard Hogg le créateur du serpent très psyché de Hohokum) pour poser un gameplay approfondissant celui de Où est Charlie?
Affaires non conclues
Pour faire apparaître chacun des candidats potentiels au titre de gardien de l’île, le joueur doit ainsi retrouver, parmi des centaines d’objets, cinq artefacts porteurs d’une charge émotionnelle particulière. D’une succession de sculptures jalonnant un parc d’art contemporain aux étages d’un phare reconverti en centre de yoga, I Am Dead déballe cinq lieux propices à la chasse et à l’analyse d’objets. La méthode utilisée ici pour dénicher un nez de statue planqué dans des bosquets (agencés en poupées russes!) ou trouver le bec d’un saxophone caché dans le ventre d’un bateau de pêche est furieusement originale.
Tel un ingénieur qui travaillerait sur le schéma informatique d’une pièce de métal, le gamer déplace ainsi un plan de coupe sur chaque babiole inspectée. Cette action dynamique donnant l’impression de couper un fruit en tranches est souvent jubilatoire. L’intimité des circonvolutions électriques d’un grille-pain, les secrets d’un terrier de renard voleur de gants, le double fond d’un sac de sport qui cache des cupcakes… Ces inspections sont guidées par la reformation de souvenirs de vivants ayant connu le défunt via un puzzle game sommaire.
Doublé de deux types de recherches plus difficiles (notamment pour débusquer des créatures aux airs de Shadoks), I Am Dead multiplie naturellement les souvenirs qu’amis et famille ont de leurs proches décédés. D’un ancien para-commando reconverti en prof de yoga à un contrebandier musicien, les histoires touchantes des disparus se drapent des commentaires de Maurice Lupton qui découvre ses connaissances sous un nouvel angle, avant un départ que l’on devine inévitable. Si la répétition du gameplay de I Am Dead lasse parfois, il est difficile de rester insensible à son univers, d’autant que ses doublages et son atmosphère très british sont d’une qualité et d’une bienveillance infinies.
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Derniers soupirs
Éliminer des hordes d’adversaires en évitant de trépasser est un lieu commun dans la culture gaming. Comme I Am Dead, Necrobarista et Spiritfarer ont récemment transfiguré l’image de la mort dans les jeux vidéo. En juillet dernier, le premier de ces deux jeux se vivait comme une visual novel dont les protagonistes décédés se retrouvaient coincés pour 24 heures dans un café, avant un ultime voyage. L’idée d’un transit est également développée sur Spiritfarer. Ce jeu oscillant entre This War of Mine et Les Sims s’incarne en Stella, une jeune fille souriante qui vient de décrocher un job peu commun: passeuse d’âmes et capitaine d’une barge sur le Styx. Cette odyssée hyper colorée demande d’apprendre à connaître une galerie de personnages pour les aider à accepter doucement leur sort.
Rendant un hommage lumineux au cinéma d’animation et à la bande dessinée, I Am Dead, Necrobarista et Spiritfarer suivent une poignée de jeux indés qui réinventent le rapport à la mort dans le jeu vidéo depuis les années 2010. Il y a treize ans, Passage de Jason Rohrer s’articulait comme un Zelda like évoquant avec une force incroyable la vie d’un couple à travers le temps. To the Moon (2011) se penchait sur les souvenirs et rêves inaccomplis d’un grand-père tandis que What Remains of Edith Finch (2017) feuilletait les mémoires d’une famille décédée. Cousin gaming de Six Feet Under, A Mortician’s Tale enfilait, la même année, les gants de la patronne d’un funérarium pour se demander que faire face à un corps que personne ne vient réclamer.
Ces exemples vertueux utilisent la force immersive du jeu vidéo pour provoquer une empathie sans commune mesure. La mort reste, certes, un tabou impossible à aborder de front pour un pan entier de l’industrie qui voit le jeu vidéo comme un divertissement. Mais une lame de fond puissante réinvente bel et bien le game over. Et donc le gaming lui-même.
I Am Dead, édité par Anapurna Games et développé par Hollow Ponds, âge: 10+, disponible sur PC et Nintendo Switch. ****
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