Deathloop: « La boucle temporelle permet de pousser les gamers à expérimenter »

Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Dans l’air du temps, l’idée de boucle temporelle piège brillamment l’île de Deathloop tout en rénovant le légendaire gameplay kaléidoscope d’Arkane Studios. Explications, depuis la quatrième dimension, avec ses créateurs lyonnais.

Bill Murray essayait de briser la boucle temporelle d’Un jour sans fin en 1993. Alors inédit et exotique, ce tour de passe-passe narratif inonde la pop culture de 2021. Promu comme le « nouveau genre zombie de la décennie à venir » par CineFix – IGN (voir vidéo Why Time Loops Are the New Zombies ci-dessous), ce motif irrigue le cinéma et les jeux vidéo depuis une dizaine d’années déjà. Côté films, Edge of Tomorrow, Palm Springs, Happy Death Day, l’oscarisé Two Distant Strangers de Travon Free ou encore Poupée russe (dont on attend une nouvelle saison sur Netflix fin 2021) jonglent ainsi habillement avec ce thème de la répétition. Côté gaming, après The Gardens Between, Minit, Outer Wilds et le plus récent 12 Minutes, Deathloop joue avec l’espace-temps en explorant notamment des Swinging Sixties insulaires.

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Qui, au plus fort du confinement, n’a pas eu l’impression de revivre quotidiennement la même journée en quittant son lit? Dans la peau de Colt, un amnésique essayant de briser le cycle d’une journée infestée de psychopathes croyant à la vie éternelle, Deathloop respire l’air du temps. « Nous avons découvert au fil de la production que de nombreuses séries et jeux utilisent ce concept de boucle temporelle dont il faut s’échapper pour raconter leurs histoires, assure Pawel Kroenke, le scénariste du jeu. Heureusement, ce thème est suffisamment riche pour être décliné différemment. »

Ne demandant effectivement pas au gamer de chercher un élément potentiellement perturbateur d’une chronologie quotidienne de faits, Deathloop ne clignote pas uniquement sur le radar des sorties de cette rentrée pour sa promesse spatio-temporelle. Spécialiste ès jeux de rôle en vue subjective, Arkane Studios est régulièrement encensé par la critique et le public depuis plus de dix ans. Prey (un survival horror spatial entre l’esthétique de Mad Men et celle d’Alien) et le monde fantastique, crade et dickensien de Dishonored 1 (BAFTA du meilleur jeu de 2012) et de sa suite ont permis au studio lyonnais d’occuper une place de choix dans le coeur des amateurs de FPS intelligents.

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Éloge de la mort

Plongées dans une décadence insulaire parfois proche d’Orange mécanique de Kubrick, les fondations ludiques de Deathloop ne s’écartent pas de celles des Dishonored. En croisade contre huit visionnaires aux airs de boss de fin de niveau, le gamer y atteint ces cibles -très protégées- au fil d’une étourdissante multiplicité de chemins, d’armes, de super-pouvoirs et de gadgets. La grande porte ou le toit? Une fenêtre haut perchée ou un souterrain? D’un hangar d’hydravions à un manoir luxueux, Arkane Studios multiplie les points d’entrée et d’exfiltration possibles. Sans surprise, il poste aussi une pléthore de gardes vaquant à leurs occupations. Des pièges automatiques hétéroclites aussi. Deathloop change toutefois son approche du game over. « La grosse différence avec Dishonored est que le joueur ne peut plus faire de sauvegarde rapide de sa partie à tout moment. Donc, quand il se rate, il doit assumer. On voulait sincèrement décomplexer notre public qui a souvent tendance à jouer au metteur en scène perfectionniste en faisant des runs parfaits« , note Dinga Bakaba, le producteur du jeu. « La boucle temporelle permet de casser ça. Amener la mort dans un cycle diégétique (qui fait partie de l’histoire et du monde du jeu, NDLR) fait que toutes nos expériences, même celles qui ne fonctionnent pas, vont faire partie du parcours du joueur et de Colt. »

Les boucles temporelles de Deathloop tordent au final légèrement la notion de game over (elle-même intrinsèquement liée à l’idée d’une journée sans fin). Au-delà de deux morts sur un même niveau, l’ensemble de la journée de Colt redémarre ainsi à zéro et le dépouille de toutes les fabuleuses pétoires et autres pouvoirs spéciaux récoltés en chemin. Invisibilité, téléportation, double saut et autres sulfateuses pourront toutefois être conservés d’une journée à l’autre contre du « residuum », une denrée rare planquée à travers les niveaux du jeu.

Deathloop joue également de la tocante pour modifier l’aspect de ses quatre zones principales d’exploration entre matin, midi, après-midi et soir. Un labo clé pour l’intrigue ne sera par exemple ouvert qu’aux premières lueurs du jour tandis que les tempêtes de neige frappant les après-midis l’île de Blackreef forment une banquise et de nouveaux chemins. S’explorant librement, ces quadrants de journée offrent un enchevêtrement singulier de missions principales et secondaires. Elles développent aussi des paradoxes intéressants. Ultimement, le gamer doit éliminer les huit visionnaires de l’île en… une seule et même journée. Une mission théoriquement impossible, mais qui finit par l’être.

Deathloop:

Groovy mais pas trop

Évoquant par moments Dark Souls, Deathloop évite la frustration, même en cas de game over. Chacun de ses runs se solde par la collecte d’armes, de points d’infusion et d’informations vitales à la réussite de ses missions. « La boucle temporelle permet donc de pousser notre public à expérimenter, à ne pas jouer que d’une seule manière, poursuit Dinga Bakaba. Elle amène des moments sympas, ceux-là mêmes où, après avoir échafaudé tout un plan d’approche, tout part en vrille comme dans un film d’Indiana Jones. C’était nécessaire car d’aucuns ont parfois reproché à nos immersive sims de ne pas être assez fun. »

Commencer une mission à pas de loup en observant les adversaires (pour identifier leurs rondes) et en les éliminant discrètement à coups de silencieux et d’égorgements peut donc très vite tourner à la fusillade explosive. Clairement plus orienté sur les gunfights que Dishonored, Deathloop peine toutefois dans ce registre. La faute à des adversaires pas très futés. Parfois coincés dans des courses sur place, les gardes oublient de temps à autre de réagir quand on tombe nez à nez avec eux près d’un muret.

Plus pétaradant que Dishonored (Wolfenstein: Youngblood est passé par là), Deathloop est également (un peu) plus coloré.  » On a passé plus de dix ans à travailler dans l’ère victorienne de Dishonored. On a voulu s’éloigner de ses thèmes politiques, on en avait marre du noir aussi, note Sébastien Mitton, directeur artistique du projet. L’explosion du prêt-à-porter, le changement des mentalités… Ça me donnait pas mal d’images en tête. La musique aussi. Cette période permettait vraiment de rafraîchir notre approche. »

Le jeu d’infiltration français ne tombe heureusement pas dans le cliché d’Austin Powers. D’un parc d’attractions en carton-pâte à une base scientifique arctique vintage, l’île de Blackreef dresse quatre environnements en clairs-obscurs dont les intérieurs groovy ne forcent pas le trait. Certes, les quatre environnements du jeu se déclinent assez différemment selon les moments de la journée. La fête sans fin à laquelle ses habitants immortels participent et l’expérience scientifique qui l’entoure ne donnent pas l’impression de beaucoup voyager. Et la narration environnementale en prend un coup.

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Tarentino en embuscade

Surprise sur le gâteau de Deathloop, l’arrivée impromptue de Julianna, sa principale antagoniste, déballe un jeu du chat et de la souris qui pimente les missions principales. Ces VS aléatoires peuvent voir un joueur en ligne (désactivable) incarner la tueuse rigolarde. Le gimmick ludique sert aussi de prétexte à une engueulade permanente entre Colt et Julianna, par échanges radio interposés. Coucou Quentin Tarentino!

« Deathloop regorge de références tarantinesques mais je ne dirais pas que le jeu est Grindhouse (typique du cinéma d’exploitation, NDLR). Du coup, c’est plus un état d’esprit, on a voulu être cash, généreux, proches du joueur. On a voulu un ton moins lisse que les James Bond« , note Sébastien Mitton. Et Pawel Kroenke d’enchaîner en précisant qu’ils « voulaient avoir des personnages exubérants et très caractéristiques. Tout est un peu amplifié de manière tarantinesque mais aussi motivé par le fait qu’on est dans une boucle temporelle où tout est permis. »

Attachants, Colt et Julianna font hélas de l’ombre au reste du scénario de Deathloop. Les notes éparses et carnets audio justifiant les motivations des cultes malsains dominant l’île sont ainsi relégués au second plan. On passe donc à côté des détails de cette soirée cannibale ou de l’histoire de cet homme boulet canon. Pas de quoi, heureusement, briser cette boucle dont on ne sortira pas indemne.

Deathloop: édité par Bethesda Softworks et développé par Arkane Studios, âge: 18+, sur PC, PlayStation 4 et 5 et Xbox One / Series X / Series S. ****

Devine qui vient jouer ce soir?

Castant un homme et une femme de couleur en tête d’affiche, Deathloop résorbe un peu la sous-représentation de la communauté noire dans les jeux vidéo. Ce casting -jamais vu- pourrait être considéré comme une étape importante dans une industrie du divertissement dominée par des hommes blancs. D’origine africaine, Dinga Bakaba, son game director, préférait toutefois éviter de s’épancher sur ce sujet lorsque nous l’avons abordé en conférence de presse. Précisant toutefois que le jeu n’avait « au final pas été approché de manière différente que sur Prey ou Dishonored, mais qu’il avait plutôt été difficile de trouver des gens pour donner une interprétation juste à ces deux personnages qui peuvent monter dans les extrêmes« .

Notons que le manque d’inclusion chronique de la communauté noire dans les jeux vidéo avait été remis en exergue l’an dernier. Contradictoire et sans précédent, le soutien de l’industrie gaming à Black Lives Matter avait ainsi vu Microsoft, Nintendo, Sony, Ubisoft, Electronic Arts et Activision Blizzard aligner des annonces anti-racistes. Zynga (Candy Crush) y avait même été de sa poche en versant 25 millions de dollars à des associations favorisant la diversité dans l’éducation. À l’époque, Michaël Newton, vétéran du jeu vidéo français d’origine antillaise (qui a notamment occupé un poste éditorial chez Ubisoft), soulignait que cette réaction qui suivait la mort par étouffement de Georges Floyd entraînait un sérieux paradoxe. À savoir que BLM était soutenu par des éditeurs « multipliant les récits militaires et policiers abusant de la violence pour résoudre des conflits« .

Quatre jeux qui jouent avec le chrono

Deathloop:

Braid (Jonathan Blow – 2008)

Avec 600.000 copies vendues, Braid figure parmi les premiers succès commerciaux indé de l’Histoire récente du jeu vidéo. Ce puzzle platformer est surtout resté dans les annales pour sa direction artistique marquée et son gameplay temporel novateur. Le jeu permet de reculer dans le temps à l’envi pour changer son level design et ainsi résoudre des énigmes, sur fond de séparation amoureuse.

Deathloop:

Everyday the Same Dream (Molleindustria – 2009)

Oublié de la scène indé elle-même, Everyday the Same Dream n’en est pas moins un titre fondateur. Ce point & click en noir et blanc de Paolo Pedercini tente de briser le quotidien gris d’un employé de bureau aliéné par son travail. Demandant notamment de faire preuve de compassion pour se libérer de ses rituels, ce jeu flash applique à la lettre l’idée de boucle temporelle à briser.

Deathloop:

Life Is Strange (Dontnod Entertainement – 2015)

Jouer deux fois (voir plus) le même passage clé d’un jeu pour modifier la trame de son scénario: de Fallout 3 à Mass Effect, tous les gamers ont déjà « triché » dans ce sens. Pas besoin toutefois de jongler avec les sauvegardes sur Life Is Strange. Héritier d’Heavy Rain, le titre permet de rembobiner directement ses passages cruciaux. Le tout pour refaire en direct des scènes que l’on désire corriger.

Deathloop:

Minit (Dominik Johann, Jan Willem Nijman, Kitty Calis et Jukio Kallio – 2018)

Kitty Calis, la productrice de Horizon Zero Dawn, et Jan Willem Nijman, la moitié de Vlambeer, ont développé pendant deux ans Minit, un action RPG en noir et blanc qui renvoie inéluctablement le gamer à son dernier checkpoint lorsque son compteur de 60 secondes tombe à zéro. Peuplé de personnages kawaii et féroces, ce puzzle game s’auréole d’un discours social en filigrane. Culte.

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