Tralala: « Ne soyez pas vous même, c’est un peu la clé du film »

Tralala envoie un chanteur de rue hirsute et quasi messianique (Mathieu Amalric) à Lourdes, où on le prend pour quelqu'un d'autre.
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Avec Tralala, les frères Arnaud et Jean-Marie Larrieu reviennent à Lourdes, d’où ils sont natifs, pour une comédie musicale aux imperfections assumées qui invite à ne surtout pas être soi-même. Rencontre, à Cannes.

« Quand on nous dit qu’on est loufoques et intellos, on répond qu’on est drôles et intelligents. » En une réplique, ponctuée de grands éclats de rire farceurs, tout est dit ou presque. Depuis maintenant plus de 20 ans, les frères Arnaud et Jean-Marie Larrieu pratiquent, en France, un cinéma tellement singulier qu’il n’a guère d’équivalent, se fondant non sans délectation dans de petits régals de comédies humaines aux élans souvent libertaires et hédonistes: Un homme, un vrai, Peindre ou faire l’amour, Les Derniers Jours du monde… Parmi d’autres. Nourrissant un rapport qu’on pourrait qualifier de méfiant à l’égard de la capitale, ils ont aussi toujours aimé prendre la tangente, direction le sud, ramenant ainsi la province profonde dans le cinéma français, très parisien par essence. La dernière fois, pourtant, qu’ils avaient tourné à Lourdes, leur ville natale, c’était en 2001, pour le court métrage Madonna à Lourdes avec Hélène Fillières, qui s’y promenait en compagnie d’une statue de la Vierge. À croire qu’il était temps, pour eux, d’opérer un véritable retour aux sources. De passage au festival de Cannes cet été, où Tralala (lire la critique), leur nouveau long métrage, était projeté en séance de minuit, ils opinent: « C’est doublement le cas de le dire puisque Lourdes est connue pour sa source et que nous sommes natifs de Lourdes. À nos débuts, nous avions en effet tourné deux courts métrages là-bas, dont un se terminait d’ailleurs à Cannes. Mais, bizarrement, jamais nous n’y avions situé de long métrage. Alors voilà, maintenant c’est fait. À vrai dire, on s’était toujours dit que si on tournait un jour une comédie musicale, ce serait forcément à Lourdes. Peut-être à cause de Jacques Demy, dont les films sont marqués par une certaine tension entre Paris et la province, avec des gens qui s’en vont et puis qui reviennent. »

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Des gens qui s’en vont et puis qui reviennent: c’est un peu le motif central de Tralala, en effet. Comédie musicale évoluant en mode résolument mineur, voire parfois carrément un peu bancal, le film cueille un chanteur de rue parisien hirsute, qu’on appelle Tralala, au moment où une apparition lui enjoint de ne surtout pas être lui-même. Il quitte alors la capitale pour Lourdes, où une vieille femme croit reconnaître en lui son fils disparu 20 ans plus tôt. Rôle qu’il choisit d’endosser, se découvrant au passage une nouvelle famille et une nouvelle inspiration. « Parlant d’inspiration: à la base, c’est Philippe Katerine qui a servi de modèle pour le personnage de Tralala. Il était même censé jouer le rôle et composer toutes les chansons du film. Mais il a fini par faire marche arrière. Quand il a lu le scénario, il nous a dit qu’il faisait du cinéma pour sortir de lui, pas pour jouer quelque chose ou quelqu’un qui lui ressemble à ce point. Et donc il nous a lâchés. Mais son influence a perduré sur le film. Et puis on continue à y entendre certaines de ses chansons. Katerine avait déjà fait chanter Mathieu Amalric dans Un homme, un vrai, donc on s’est naturellement tourné vers ce dernier pour le rôle. Mathieu n’est pas chanteur, mais il vit quand même avec Barbara Hannigan, qui est cantatrice, et c’est elle qui lui a expliqué où était sa voix, comment la chauffer, c’était très intéressant. »

Arnaud et Jean-Marie Larrieu.
Arnaud et Jean-Marie Larrieu.

La fragilité

Chansons de Katerine mais aussi de Dominique A, Étienne Daho, Jeanne Cherhal ou encore Bertrand Belin, qui joue dans le film… Tralala fait la part belle à ce qu’on appelait encore il n’y a pas si longtemps la « nouvelle » chanson française, mâtinée pour le coup, dans un brassage assez gourmand, de disco et de rap. Le tout mis en musique de manière très organique, imperfections assumées au passage. « Bon, on ne s’est pas dit non plus qu’on allait faire un film imparfait (sourires). Mais l’idée c’était plutôt un film qui tende progressivement vers la comédie musicale, plutôt qu’une comédie musicale directement bien installée. Katerine a beaucoup fait ça sur ses disques aussi: travailler avec des gens qui ne sont absolument pas chanteurs, avec des bruits du quotidien, de la rue… C’était vraiment l’idée de laisser filtrer la fragilité et l’émotion. Même si la supervision musicale a été confiée à Renaud Letang, qui a travaillé avec Katerine, Souchon ou Gonzales, et qui est très précis. »

Si le film mixe allègrement les humeurs et les genres, il mélange aussi joyeusement les références religieuses, entre miracle et résurrection, enchantement et parabole revisitée du fils prodigue… « Nous n’avons pas une immense culture religieuse. Notre expérience de Lourdes est assez triviale, on y a juste grandi. Mais scénaristiquement parlant, disons que c’était très excitant de jongler avec toutes ces thématiques religieuses. Traiter de la croyance en général, déjà, rien que ça… Tout part de cette phrase prononcée par la Vierge: « Ne soyez pas vous-même. » Cette phrase, c’est un peu la clé du film. Nous-mêmes, on ne la comprend pas forcément complètement, mais on l’a travaillée et on l’a creusée en profondeur. Elle permet d’explorer et même d’exploser la question de l’identité. C’est une manière de dire: « Arrêtez de vous prendre le chou avec l’identité. Lâchez un peu le nationalisme de vous-même. » Ou quelque chose comme ça (sourires). Ça pourra être perçu comme un peu provocant par certains aujourd’hui, mais c’est intéressant. C’est très katerinien, en fait. C’est un peu désinvolte, mais sous la désinvolture on se rend compte que ça ronge plein de certitudes. »

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