Laurent Tirard: « En lisant Le Discours de Fabcaro, j’ai tout de suite visualisé le film »

Benjamin Lavernhe (de dos), en plein Dîner de cons revisité...
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Laurent Tirard adapte avec bonheur Le Discours, de Fabcaro, pour signer une comédie pleine de fantaisie mais néanmoins sensible autour de la dépression amoureuse. Entretien.

Entamé en 2004 sur Mensonges et trahisons et plus si affinités, le parcours de Laurent Tirard l’a vu se poser, l’air de rien, en maître du divertissement populaire de qualité, qu’il se frotte à l’univers de Sempé et Goscinny pour Le Petit Nicolas, à celui d’Uderzo et Goscinny encore pour Astérix et Obélix: au service de Sa Majesté, ou qu’il se pique, comme dans Le Retour du héros, de revisiter les codes de la comédie romantique. Un modèle qui est encore aujourd’hui celui du Discours (lire notre critique), comédie s’invitant dans l’esprit embrumé d’Adrien -Benjamin Lavernhe, épatant-, un homme coincé dans un repas de famille, alors même que toutes ses pensées sont accaparées par un SMS resté sans réponse -celui qu’il a adressé à son ex-compagne au 38e jour de pause dans leur relation.

Laurent Tirard:

Une question de structure

À l’origine du film, on trouve le roman éponyme de Fabcaro, réputé inadaptable de l’avis général. Et pourtant: « Le processus d’adaptation a été étonnamment simple, je pense même qu’il s’agit du scénario le plus facile à écrire de toute ma vie de cinéaste, s’amuse Laurent Tirard. Il se trouve que je connaissais Fab avant de lire le roman, j’attendais le moment où on pourrait travailler ensemble sur un projet. En lisant Le Discours, j’ai tout de suite visualisé le film. Très vite, je me suis dit: « Tout se passe à l’intérieur de quelqu’un, il va falloir trouver des astuces, qu’il s’adresse à la caméra… » Tout cela est venu très vite, c’était une évidence à la lecture. » Et de poursuivre: « Le processus s’est ensuite opéré en deux phases: le livre en lui-même est déjà déstructuré, mais littéraire, rien à voir avec une structure de cinéma, même déstructurée. J’ai d’abord disséqué le roman, pour voir comment il était déstructuré, et ensuite, je l’ai complètement restructuré, pour que cela fonctionne en termes de cinéma. Autant le premier process était totalement didactique et méthodique, autant la transformation a été complètement instinctive et intuitive. Et rapide en plus: alors que je mets généralement entre six et huit mois pour écrire un scénario, j’ai fait celui-là en deux mois… »

Cela posé, Le Discours n’en constituait pas moins un défi, tant par sa facture inédite que par son économie de production, beaucoup plus modeste que celle d’un Astérix, par exemple. À tel point que Laurent Tirard confie avoir envisagé son huitième long comme un second premier film. « En lisant le bouquin, je me suis dit « OK, ça va être un challenge, ça va être compliqué », mais en même temps, cela faisait des années que je cherchais un peu ce projet. J’ai fait plein de films, cela devient de plus en plus facile avec l’expérience, on acquiert des réflexes et, à un moment, il faut s’obliger à se remettre en question. Je cherchais un exercice un peu casse-gueule, et avec Le Discours, j’ai eu le sentiment d’avoir trouvé. Et de fait, quand je suis allé voir les financiers avec qui je travaille habituellement avec le scénario, tout le monde m’a dit: « Mais c’est quoi, ce truc? Ce n’est pas un film, c’est une pièce! » Avoir tourné tous ces films avant n’avait plus d’importance pour personne, parce que je faisais quelque chose de totalement différent. »

Laurent Tirard:

Ce qu’il perdait en confort, Laurent Tirard l’a gagné en liberté, stimulée encore par le côté atypique du livre, avec sa nature introspective et sa narration chaotique. De quoi l’inciter à rompre diverses conventions, celle du quatrième mur notamment, pour mieux laisser parler son imagination. « L’idée était de ne rien se refuser, d’aller le plus loin possible dans le délire, l’audace, l’expérimentation« , observe-t-il, le film regorgeant de trouvailles de mise en scène rivalisant d’inventivité. Et exécutées, pour la plupart, sans recourir aux effets numériques -« Je n’aime pas trop ça. Je trouve que plus on arrive à faire les choses en vrai, plus c’est magique. » De quoi, en tout état de cause, dynamiser sinon dynamiter les scènes de repas, à quoi vient se superposer la présence, lunaire, de Benjamin Lavernhe. « C’était non seulement une évidence, mais presque une nécessité« , confie le réalisateur à son propos. Et un pari gagnant, l’acteur réussissant à conférer à ce qui est encore la chronique d’une dépression amoureuse des contours éminemment savoureux: « J’ai tendance à penser que les meilleures comédies sont faites à partir des choses les plus dramatiques. Le rôle de la comédie, c’est d’aider les gens à prendre de la distance par rapport à des choses vraiment graves. Et puis, le chagrin d’amour est un sujet que l’on n’a guère l’habitude de voir traité au masculin au cinéma. »

Parler de choses importantes en toute légèreté, on serait enclin à voir là l’une des clés d’un cinéma populaire de qualité, on y revient…

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