Blueberry plonge dans le grand Blain

Blain: "On reconnaîtra tout de suite Blueberry: il est mal rasé, il sort du fort, il part en missions..." © Dargaud
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Avec son copain Sfar au scénario, l’auteur de Quai d’Orsay a enfin fini sa reprise à lui, au moins aussi attendue que déjà décriée: le 22 novembre sortira leur version de Blueberry, le classique d’un auteur culte.

Quitte à revenir aux affaires, à savoir ce « boulot de chien » qu’est la bande dessinée, qui plus est franco-belge et romanesque, autant passer par une putain de grande porte: huit ans après son formidable diptyque Quai d’Orsay, de multiples projets éloignés de la BD classique (l’adaptation ciné, un album avec la musicienne Barbara Carlotti, un autre avec le cuisinier Alain Passard, des expos, des illustrations) et, quand même, un quatrième album de Gus, son western à lui, Christophe Blain sort enfin « son » Blueberry, deux ans après que Dargaud l’a annoncé, en grandes pompes, au festival d’Angoulême où l’auteur est l’un des rares à avoir été récompensés par deux fois (Isaac le pirate en 2002, Quai d’Orsay en 2013). Et oui, pour répondre aux vieux mâles blancs nostalgiques qui s’étranglent déjà, on parle bien du Blueberry de votre enfance, celui de Jean-Michel Charlier et surtout Jean Giraud, anti-héros du plus fameux western réaliste de la BD franco-belge, né dans les pages de Pilote en 1963. Une série culte dessinée jusqu’en 2005 par Giraud, alias Gir, alias Moebius, maître parmi les maîtres aujourd’hui disparu, et référence indépassable du genre. Autant dire que cette reprise, le temps de deux albums sobrement baptisés Lieutenant Blueberry est attendue au tournant par les gardiens du temple, et que Blain ne s’y est pas plongé en sifflotant. « Je m’y investis, et plus encore, comme pour un album personnel. Tous nos livres à Joann et moi sont des actes d’amour, celui-ci peut-être plus que les autres. Et les plus exigeants, c’est nous: j’ai rarement fait et refait autant de pages! » Visiblement, le Blain guilleret mais conscient de la montagne en a encore fait et refait des tonnes depuis notre rencontre, puisqu’il lui aura fallu deux années pour achever le premier volet de ce qu’il considère comme « un hommage plus qu’une reprise« , à l’image de ce que Blutch, autre grand représentant de cette « nouvelle bande dessinée » française, née au tournant du siècle, fait lui aujourd’hui avec Tif et Tondu: « C’est un personnage tellement culte, qui a connu 800 vies, et tellement bien construit qu’on ne touchera pas à la série. On ne repeint pas dessus et on ne prolonge pas ce qui n’a pas besoin de l’être. On va juste tenter d’exprimer notre fascination pour le personnage. C’est comme utiliser au cinéma un acteur au charisme très fort, avec une véritable personnalité. C’est aussi, évidemment un hommage au genre, et à Giraud, à qui je dois beaucoup. »

Blood and guts

Inutile de se leurrer, le phénomène prépondérant des reprises dans la bande dessinée est aussi affaire d’opportunités, de gros sous -on pense aux franchises Spirou, Mickey ou à la franchise Blake et Mortimer qui a récemment touché le gros lot avec le one-shot de la bande à Schuiten, et s’apprête à remettre ça avec un album plus « classique » en fin d’année -et donc de propositions d’éditeurs. Casterman avait ainsi d’abord approché le duo en lui proposant de s’essayer à une reprise de… Corto Maltese, qui n’avait pas convaincu. « Elle fut jugée trop personnelle, explique Blain, et a été confiée à d’autres. Puis est venue cette idée de scénariser, puis dessiner, un Blueberry. C’est le genre de défi qui demande une passion sincère et tellement de travail qu’on ne peut pas le faire sur commande. Et puis ça avait tout son sens: Giraud m’avait proposé de le tenter, il y a des années. » C’était l’époque où le jeune lecteur qu’il fut avait enfin rejoint l’Atelier des Vosges, à Paris, où il va côtoyer Sfar, David B., Émile Bravo, Boutavant, Trondheim ou Satrapi, et rendre quelques visites à Giraud. « Il m’aimait bien je crois. On parlait dessin, western, et il m’avait proposé de faire un essai de cinq pages sur Blueberry (la série connaissait alors quelques « spin-off » confiés à d’autres, tels Marshal Blueberry ou La Jeunesse de Blueberry, NDLR). Mais j’ai rapidement laissé tomber, je me rendais compte de l’énergie qu’il fallait y mettre, les contraintes à respecter, les efforts de lisibilité, que j’aurais dû plus « charger » mon dessin, le pousser vers plus de réalisme. J’avais envie de plus de liberté, quelque chose de plus expérimental, et j’en ai fait six pages. C’était Gus . Aujourd’hui j’y reviens, et je n’avais pas tort: c’est un boulot de chien! »

Les fans et les haters se donnent donc rendez-vous le 22 novembre pour jauger du monument sur pièce. On sait que Sfar et Blain placent leur histoire dans la période militaire de Mike S. Donovan, le sudiste devenu lieutenant sous un faux nom dans l’armée nordiste, quelque part entre Fort Navajo et Le Cheval de fer, « un militaire à la John Ford, gouailleur, insubordonné et très emblématique, mais qui nous donnait plus de liberté: on le reconnaît tout de suite, il est mal rasé, il sort du fort, il part en missions… » Il sera question d’un forain allemand à moitié fou, d’un automate capable de jouer aux échecs et d’une paix fragile entre Indiens et armée américaine que Blueberry devra (encore!) tenter de préserver. « Il sera aussi beaucoup question de l’amitié entre Blueberry et McClure, ce second rôle très récurrent, cette relation vraiment touchante qui les unit. On a fait la synthèse de ce qui nous venait spontanément quand on pense à cette série, en y ajoutant nos intuitions, notre sang et nos tripes! Et j’essaie vraiment d’y mettre le meilleur de ce que je peux être. »

Lieutenant Blueberry (1/2), de Joann Sfar et Christophe Blain, éditions Dargaud. Sortie prévue le 22/11.

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