Fanzines: la micro-édition prend du galon

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Ignorés pendant longtemps, les fanzines et autres BD auto-éditées vivent aujourd’hui un nouvel âge d’or -par choix ou par obligation. La preuve par le festival international du fanzine de Bruxelles, qui fête ses dix ans ce week-end.

« En l’an 2010, il n’existait pas de festival du fanzine ou de la micro-édition en Belgique… Un genre de publication qui était cantonné près des toilettes dans les festivals de BD ou qui circulait nonchalamment au gré des rencontres bistrotières. Suite à une discussion intellectuelle et alcoolisée de haut niveau avec l’ami Phil (dessinateur et gourou du fanzine liégeois), un constat fut établi: pas de lieux où se rencontrer, où partager nos conneries, où diffuser mondialement nos chefs-d’oeuvre… Et hop, nous lancions un festival de fanzines, à Bruxelles, au Bunker. Et, comme pour un fanzine collectif, en deux mois, tout s’est mis en place sans attendre de subventions. L’investissement ultime fut la modique somme de 125 euros pour payer les rames de papier qui ont servi à l’impression des affiches et flyers faite par la commune de Saint-Josse. Sans oublier l’investissement des bénévoles et des participants, qui a été sans limite. C’est grâce à cette richesse humaine saupoudrée d’un brin de dinguerie que le festival dure encore aujourd’hui. » Ainsi s’exprime Patrice Bauduinet, aka « L’empereur Patrice, Dieu vivant du festival », lui-même auteur de centaines de fanzines et fondateur de La Petite Fanzinothèque Belge, qui se destine à « collecter, préserver et diffuser ce riche patrimoine culturel qui échappe généralement au dépôt légal en raison de la diffusion alternative de ce médium et de la personnalité parfois underground de ses créateurs« . Un travail de fond qui a permis de remettre le fanzine au goût du jour et de démontrer la richesse tout à fait particulière de l’auto-édition belge: près de 10.000 titres occupent désormais la bibliothèque de la fanzinothèque, ouverte chaque premier mercredi du mois au grand public (également au Bunker Ciné-Théâtre). Quant à ce festival (très) indépendant qui mêle création graphique, philosophie DIY et bonne grosse déconne, les organisateurs, tous bénévoles, ont fait leur compte: « En dix ans, ce sont plus de 307 collectifs de fanzines, plus de 257 créateurs et créatrices et quelque trois millions de visiteurs (ou un peu moins) qui ont participé à nos réjouissances fanzinesques. » Un festival ouvert à tous les créateurs (« sauf aux vrais éditeurs ayant pignon sur rue« , quel que soit leur mode d’expression: « Des fanzines prout-prout aux fanzines bien chiadés, des zines faits à la va-vite aux fanzines sérigraphiés dorés à l’or fin, tout fanzineux est le bienvenu sans hiérarchie de talent, de genre ou de provenance. »

Fanzines: la micro-édition prend du galon

Mutations successives

Les fanzines d’aujourd’hui n’ont de fait pour l’essentiel plus grand chose à voir avec les feuilles dactylographiées et agrafées créées aux États-Unis dès les années 40 par des communautés de fans de sous-culture (comics ou SF), tel The Comet, et qui ont donné leur nom au médium (fanzine comme « fanatic magazine »), même si le principe est resté: le fanzine reste une petite publication indépendante, non officielle et non commerciale, créée et diffusée de manière artisanale avec un tirage réduit. En Belgique, l’essor se marque dès les années 70, d’abord via le mouvement punk et l’esprit Do It Yourself, ensuite via l’engouement des nombreuses écoles artistiques du pays qui « produisent » des auteurs en mal de support au sein d’une pratique, la bande dessinée, encore très méprisée: le fanzine servira à beaucoup, de Jannin à Hislaire, soit comme carte de visite, soit comme espace d’expérimentation. Le tout en suivant les évolutions, foudroyantes, des moyens de production: démocratisation des photocopieuses, informatisation, logiciels de mises en page, développement des techniques d’impression, de la sérigraphie à la risographie, aujourd’hui très prisée. Même les années 2000 et l’arrivée du numérique, des blogs et des « e-zines », n’ont pas ralenti la cadence, que du contraire: les ateliers créatifs et les zines collectifs se sont multipliés, portant de plus en plus d’attention à l’objet autant qu’à son contenu, à l’image de l’industrie musicale qui a redécouvert l’intérêt organique du vinyle en parallèle à sa dématérialisation.

Fanzines: la micro-édition prend du galon

Si l’art du fanzine reste toujours un art en marge, faisant écho aux difficultés croissantes des auteurs de BD à trouver des voies de publication rentables sans rogner leurs instincts créatifs, celui-ci a entamé une nouvelle mue, enfin marquée par le sceau de la reconnaissance: celle du milieu artistique et des festivals qui s’ouvrent désormais au genre (les festivals de fanzines se multiplient en France, alors que les festivals de BD « classiques » prévoient désormais de l’espace et parfois des distinctions pour les fanzines), mais aussi celle des institutions, pouvoirs publics ou bibliothèques, qui semblent enfin prendre conscience de la nécessité de conservation de ces oeuvres hors normes, voire le besoin d’en soutenir le principe, à l’image de la Communauté française qui subsidie « Les Ateliers du Toner », un lieu collaboratif et unique en Europe qui met à disposition des créateurs de fanzines savoir-faire et matériel professionnel à des prix d’impression particulièrement démocratiques (lire le premier volet de notre série d’été consacrée à l’auto-édition). Le dixième festival du fanzine au Bunker sera en tout cas l’occasion rêvée de prendre le pouls de ce medium bouillonnant et en perpétuelle métamorphose. Le programme complet, mêlant fanzineux, concerts et création sur place et en direct d’un fanzine, est consultable sur le site Fanzinorama.

10e Festival international du fanzine, du 28 au 30/06 au Bunker Ciné-Théâtre. Saint-Josse-Ten-Noode. www.fanzinorama.be

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