Dans l’atelier de Goldorak: « On a construit cette histoire comme des fans »

Le "formidable robot des temps nouveaux" est de retour.
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Une bande de Français s’empare du plus célèbre des robots géants japonais pour offrir aux adulescents de la Génération Goldorak leur ultime madeleine de Proust: Goldorak himself. Plaisir régressif assuré.

Il n’y a qu’à regarder le sourire un peu béat et les yeux fatigués mais brillants de Denis Bajram, même en visio, pour comprendre que cet auteur-là a -vraiment!- réalisé un rêve d’enfant. Un rêve qui tient sur 20 pages gribouillées aux magicolors et sur lesquelles on peut reconnaître un Golgoth, Actarus et même le Grand Stratéguerre: « Ma toute première BD! J’avais dix ans. Et c’était Goldorak. » Alexis Sentenac, autre auteur de ce Goldorak événementiel en BD, exhibe lui, dans le cahier graphique qui accompagne leurs 160 planches, un dessin réalisé à l’âge de cinq ans, mêlant Goldorak, Batman et une soucoupe non identifiée. Plus loin, c’est Brice Cossu qui pose avec son nounours Goldorak, et Alexis Sentenac avec sa collection de jouets (il avait tout le salaud, pas seulement le robot et sa soucoupe, mais aussi l’Alcorak, le Vénusiak et le Fossoirak, soit toute la Patrouille des Aigles!).

Bref, cette bande-là, menée par le scénariste Xavier Dorison, le premier à avoir écrit au créateur japonais de Goldorak, Go Nagai, pour obtenir son autorisation, est fourbue mais contente: l’album bankable de l’année est avant tout un formidable retour aux sources pour ses auteurs qui furent d’abord des enfants, scotchés pour la plupart, dès 18 heures et dès 1978, devant Récré A2 et Dorothée. Pas de surprise donc: ce Goldorak n’est en rien une réinvention, un remake ou un reboot, mais bien une madeleine remplissant tout le cahier des charges demandé par les fans du dessin animé, et extrêmement proche graphiquement du souvenir qu’on en a gardé, comme Xavier Dorison le promettait à Go Nagai dans sa note d’intention: « Mon premier objectif est, et sera, de RESPECTER la série à la fois dans son « esprit », son « genre » et dans la nature « profonde » des personnages. Si Goldorak était un temple, je me verrais simplement comme celui qui l’honore et essaye modestement d’y ajouter une pierre. » Dont acte: de ce point de vue-là, les gardiens du temple ont très bien travaillé.

Dans l'atelier de Goldorak:

Bien au-delà du seul public BD

Goldorak, la BD, démarre exactement dix ans après la fin du 74e et dernier épisode de l’anime: si le prince d’Euphor et sa soeur Phénicia sont -apparemment- repartis sur leur planète à bord de leur robot géant, les Golgoths, eux, font leur grand retour, d’abord sur la face cachée de la Lune, puis dans le ciel du Japon. Le dernier général de la division Ruine laisse sept jours aux Japonais pour leur abandonner l’île -« Partez… Ou vous finirez comme les Indiens! » Un ultimatum qui va obliger Actarus et ses amis à faire eux aussi leur come-back. Un come-back qui prendra tout de même un bon tiers de l’album avant d’avoir droit aux premiers « Fulguro-poings! » et autres « Rétrolasers!« , mais qui laisse le temps aux auteurs de ce one-shot (qui pourrait ne pas le rester), d’étaler moult images spectaculaires et en contre-plongée du « mecha » le plus célèbre de France et de Belgique, et d’en donner pour leur argent à tous les quinquas qui s’offriront ce petit frisson d’enfance, et si possible aussi aux plus jeunes qui ont, eux, complètement intégrés la culture manga et la sous-culture « mecha » à leur propre pop culture. Soit une réserve de lecteurs potentiels qui se compte en dizaines de millions (la série Goldorak atteignait parfois en matinée des audiences frisant les 100%!), soit aussi un public cible beaucoup plus large que d’habitude pour une bande dessinée.

Un paramètre qu’a intégré d’emblée notre quintet de pros: « Il n’y a jamais rien eu de nouveau autour de Goldorak après le dessin animé. Même le manga, réalisé dans la foulée, n’a été édité qu’une fois en français (en 2015, NDLR) et peu lu, même par nous« , expliquent en choeur les auteurs. « On a donc vraiment envisagé cette bande dessinée comme une suite directe du dessin animé tel que diffusé en France. Inutile de multiplier les clins d’oeil ou les références indirectes (Goldorak était ainsi la suite indirecte de Great Mazinger, un autre anime de la compagnie Toei Animation, qui deviendra ensuite Bandaï, NDLR) et même d’avoir des codes trop spécifiques à la bande dessinée. On n’a jamais envisagé ce récit autrement que comme un grand album -pas question d’en faire une série ou minisérie qui ne s’adresserait qu’au public BD. Par contre, on a construit cette histoire comme des fans, en alignant nos listes de courses, et en y mettant tout ce qu’on voulait y voir. Le fait de travailler ainsi à cinq nous a en tout cas tous obligés à aller au maximum de nos possibilités à tous: on ne s’est rien laissé passer. »

Dans l'atelier de Goldorak:

Palette d’émotions

Ce que Xavier Dorison et ses acolytes voulaient aussi voir et retrouver avec Goldorak, c’est ce mélange typiquement asiatique des sentiments, qui explique en grande partie le succès, à nouveau fulgurant, du manga sur les étals des libraires (en 2021, une BD vendue sur deux est un manga!): « On a tous été marqués par ce dessin animé, parce que c’était un dessin animé pour enfants qui posait des questions d’adultes. Un récit, épique à mort, mais qui permet, au sein d’une même histoire, de rire, de pleurer ou d’avoir peur. Il y a dans les mangas et les animes toute une palette d’émotions, là où la bande dessinée franco-belge est peut-être restée plus segmentée. »

Un ton ado-adulte cachant les profondes turpitudes de ces héros sous une pluie d’astéro-haches, que le quintet a également conservé, en évitant intelligemment tout manichéisme -Actarus, héros de la Terre, est considéré par les habitants de Vega comme le pire des bourreaux- et en proposant un scénario qui peut aussi se lire, comme « une métaphore des problèmes d’immigration, ou comment le refus de laisser une place à l’autre crée autant de malaise chez celui qui refuse de partager que chez celui qui est rejeté« . Une thématique d’adulte cachée sous des tonnes de métal et de combats spectaculaires. Et là aussi, Bajram, Dorison, Cossu & Co ont fait honneur aux « mecha », ce sous-genre japonais centré sur les robots géants, et qui à l’origine symbolisait à la fois leur foi dans la modernité et leurs angoisses de destruction totale nées avec la bombe atomique.

Goldorak, de Xavier Dorison, Denis Bajram, Brice Cossu, Alexis Sentenac et Yoann Guillo, éditions Kana, 168 pages. ***(*)

La parole d’Antoine de Caunes

Rédac’ chef invité de Focus

Dans l'atelier de Goldorak:
© Debby Termonia

« Les dessins animés japonais de l’époque définissent une part de la pop culture, c’est clair et net. Mais je n’ai pas été marqué par Goldorak ou Capitaine Flam. J’étais déjà trop vieux. J’ai pu voir l’effet que ça avait sur les mômes. Pour les mangas, je n’ai jamais réussi à lire un manga. Ce doit être le sens de lecture. En revanche, je suis raide dingue de tout ce qui vient des studios Ghibli, à la fois parce que c’est une alternative au dessin animé occidental et américain avec lequel on a grandi, et parce que c’est une autre écriture, une autre temporalité, une manière de voir les choses. Ces films gardent une puissance de feu intacte. Ça ne m’a pas empêché d’écrire des génériques de dessins animés ou de séries comme X-Or. Je connaissais Roland Bocquet le compositeur qui faisait ça à l’époque avec Boris Bergman, qui est devenu par la suite le parolier de Bashung. Il faisait vraiment ça sur un coin de table. Un jour, il ne pouvait pas le faire, il m’a dit: « Essaye, toi! ». On a gratté 2-3 trucs qui ont finalement été pris. Ma mère dirigeait les programmes jeunesse d’Antenne 2 à l’époque. Son ambition était de considérer les enfants comme des spectateurs normaux et de créer des programmes qui ne les prenaient pas pour des cons. Elle en était très fière d’ailleurs. Elle a porté Récré A2 pendant très longtemps. Elle a intégré Cabu notamment, ce qui lui a valu quelques emmerdes. Jacques Martin voulait absolument le faire virer. »

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