Sparks 24 Carax: rencontre avec les frangins Mael, qui signent la BO et le scénario d’Annette
Un demi-siècle après être apparus dans le paysage musical, les frères Ron et Russell Mael, mieux connus sous le patronyme Sparks, se sont associés au réalisateur de Holy Motors pour Annette, un musical électrisant inscrit au confluent de leurs univers respectifs.
Entre les Sparks et le cinéma, il y a longtemps eu ce qui ressemble à un malentendu. Si les affinités entre leur univers et le 7e art ne sont plus à souligner, les frères Ron et Russell Mael étant allés jusqu’à intituler un de leurs albums The Seduction of Ingmar Bergman et ayant dédié une chanson au réalisateur hongkongais Tsui Hark, aucun de leurs projets cinématographiques n’avait pu aboutir. Et cela, qu’il s’agisse de Confusion, de Jacques Tati, dont ils avaient été pressentis pour tenir les rôles principaux en 1974 (il en restera une chanson sur l’album Big Beat deux ans plus tard), ou de l’adaptation du manga Mai, the Psychic Girl, qui devait les associer à Tim Burton. Tout au plus si on les verrait interpréter deux chansons, Fill’Er Up et Big Boy, dans Le Toboggan de la mort, thriller réalisé en 1977 par James Goldstone.
S’écarter du format traditionnel
2021 vient donc fort opportunément remettre les pendules à l’heure puisque, 50 ans après la sortie de leur premier album, on les retrouve au générique non pas d’un, mais de deux films: The Sparks Brothers, le documentaire que leur consacre Edgar Wright (1), le réalisateur britannique de Shaun of the Dead et Baby Driver, et Annette, la comédie musicale de Leos Carax présentée en ouverture du festival de Cannes, dont ils sont les auteurs. « C’est un projet que nous portons depuis neuf ans, relève Russell alors qu’on les retrouve, tirés à quatre épingles et sourires affables, dans un palace de la Croisette. À l’époque, nous pensions en faire le prochain album des Sparks, mais nous voulions essayer quelque chose de différent du format traditionnel des chansons et nous orienter vers un projet plus narratif. Nous avons écrit Annette en pensant en faire un album dont résulterait une tournée qui nous permettrait de présenter le groupe différemment: j’aurais interprété le personnage que joue Adam Driver dans le film, tandis que Ron aurait été le chef d’orchestre, et nous aurions été rejoints sur scène par une chanteuse d’opéra. » Leur rencontre avec Leos Carax, qui avait utilisé la chanson How Are You Getting Home? dans Holy Motors et par ailleurs fan de longue date du groupe, en décidera autrement: « Nous l’avons vu à Cannes il y a huit ans, et le courant est bien passé entre nous, si bien que nous sommes restés en contact. De retour à Los Angeles, nous avons décidé de lui envoyer Annette, pour avoir son avis. Il est revenu vers nous deux semaines plus tard en nous disant qu’il aimerait en faire son prochain film. Après quoi nous avons travaillé avec Leos pendant huit ans, son dévouement au projet étant aussi grand que le nôtre. Ce film a suivi un cours bizarre: on essaie pendant des années qu’un tel projet puisse voir le jour, et il faut des circonstances aussi inhabituelles pour que ça puisse se concrétiser… »
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
Musical électrisant, réussissant à brillamment fusionner la fantaisie pop du groupe et le génie tourmenté du réalisateur, Annette raconte l’histoire d’un couple glamour de Los Angeles -un comédien de stand-up à l’humour féroce et une cantatrice-vedette- dont la vie sous les spotlights va être bouleversée par la naissance de leur fille. Un scénario resté globalement inchangé par rapport au projet initial, soulignent les frères Mael: « L’histoire était fondamentalement la même dès le départ, observe Ron. Leos nous a juste demandé d’écrire quelques chansons supplémentaires et l’une ou l’autre réplique. S’il lui était déjà arrivé d’aller puiser à d’autres sources (pour Pola X, librement inspiré de Pierre ou les Ambiguïtés de Melville, NDLR), il se charge en général de l’écriture. Le voir se fier à ce point à cette histoire et être touché par elle à un niveau tellement personnel était extraordinaire. » Jusqu’à la chanson Six Women Have Come Forward (à laquelle participe Angèle), que l’on jurerait avoir été écrite pour l’ère #MeToo, qui attendait patiemment son heure. « Ce morceau a été écrit il y a neuf ans. De telles situations se produisaient déjà à l’époque, mais ne rencontraient pas un écho aussi grand dans la presse. Il est curieux de voir que ça coïncide désormais avec le mouvement #MeToo. Nous étions en avance sur notre temps« , relève Russell.
50 ans, 25 albums, 1 film…
Qualité qui n’est sans doute pas étrangère à leur exceptionnelle longévité, les Sparks étant régulièrement redécouverts par de nouvelles générations. Ainsi, il y a une demi-douzaine d’années, lorsqu’ils embarquaient avec Franz Ferdinand dans le projet FFS. Ou aujourd’hui, à la faveur de leur double actualité cinématographique, le documentaire (qui compile, du reste, les témoignages d’admirateurs aussi illustres que Flea, Beck ou Steve Jones des Sex Pistols) et le musical: « Une chose que nous avons beaucoup appréciée dans le voyage dans la mémoire proposé par Edgar Wright, c’est qu’il a traité chaque album avec la même attention et la même énergie, observe Russell. Il ne s’en est pas tenu à « ces trois albums étaient bons, on peut zapper les autres ». Même si un album n’a pas rencontré de succès commercial, ou n’a pas touché un public aussi large, il considère qu’ils appartiennent tous à une histoire qui fait que nous nous trouvons là où nous sommes. Une des raisons de tourner ce documentaire était de montrer que ce que font les Sparks aujourd’hui est aussi sinon plus vital que ce que nous avons produit aux différentes époques que l’on a pu considérer comme notre âge d’or. Et est fort éloigné de ce que font généralement les groupes ayant 25 albums derrière eux. » Ce que résume limpidement l’accroche du documentaire: « 50 years. 25 albums. 345 songs. Unlimited Genius« . À quoi il convient désormais d’ajouter un film.
Ce dernier traduit, outre leur étonnante faculté à toujours se réinventer, une audace artistique jamais démentie, fût-ce dans un genre aussi codé que la comédie musicale. Russell encore: « Nous avions le sentiment que les musicals pouvaient se faire différemment aujourd’hui, qu’ils ne devaient plus nécessairement répondre à un moule traditionnel, avec des chorégraphies, une histoire réjouissante et des gens dansant dans la rue. D’où la séquence d’ouverture, So May We Start, et la coda qui fonctionnent comme des commentaires sur le film. Ou celle où le comédien s’adresse au public, qui lui répond. Ces éléments ont un côté naturaliste, tout en jouant avec la forme de la comédie musicale« . « Il s’agissait aussi de rendre les spectateurs conscients, occasionnellement, du fait qu’ils sont en train de regarder un film, au lieu de simplement s’y abandonner, poursuit Ron. S’il y a une influence sur Annette, c’est plutôt l’école de Jacques Demy, pas tant musicalement ou stylistiquement que dans l’idée que tout est fait de manière plus naturaliste. En particulier dans Les Parapluies de Cherbourg, où l’on n’a pas le type de chorégraphies que l’on retrouverait dans une comédie musicale hollywoodienne, ni le côté ensoleillé qui leur est propre. Il y a plus de connexions avec Jacques Demy. » « Le sujet est un couple hollywoodien, mais envisagé de façon non-hollywoodienne », conclut Russell. Quelque chose comme du Sparks 24 Carax…
(1) Sortie en salles en France notamment, le film est actuellement indisponible en Belgique.
La parole d’Antoine de Caunes
« Vous avez vu le documentaire sur les Sparks d’Edgar Wright (The Sparks Brothers)? Ils ont toujours été deux ovnis. Ils font d’ailleurs de la musique plus européenne qu’américaine. Je me souviens avoir aimé les Sparks en même temps que j’aimais Magma. Mais je n’ai pas fait de bouquin sur les Sparks. Les Sparks, c’était le pendant pop et lumineux; Magma, le côté trans, dark. Mais ça me semblait complémentaire. Ils sont tellement perchés, un creuset d’influences, de bizarreries tellement intenses que cela me les rend très sympathiques.
Dans un film, il faut que la musique ne soit jamais redondante. Si on montre quelque chose, je n’ai pas besoin que la musique le souligne. Or c’est souvent le cas. La redondance est pour moi totalement rédhibitoire. La bonne bande son s’impose de manière parallèle et complémentaire par rapport à ce qui se passe à l’image. Elle a sa propre existence. Par exemple, les bandes son de Lalo Shifrin, Bernard Herrmann, peuvent être écoutées sans voir le film. Aujourd’hui, je pense à Hans Zimmer, la dynastie Newman -Randy, Thomas, David-… J’ai toujours besoin de sentir que c’est un corps indépendant tout en y trouvant une logique par rapport au film. »
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici