Holy Motors
DRAME | Leos Carax s’offre un film de toutes les audaces, narratives comme esthétiques. Zapping étourdissant à la surface du monde, miroir réfléchissant d’un cinéma portant son propre deuil, l’équipée étrange de Monsieur Oscar s’y mue en chef-d’oeuvre absolu.
HOLY MOTORS, DE LEOS CARAX. AVEC DENIS LAVANT, EDITH SCOB, KYLIE MINOGUE. 1H55. SORTIE: 11/07. *****
Il y a, évidemment, un cas Carax, auteur dont Boy Meets Girl, en 1984, et Mauvais sang, deux ans plus tard, furent autant de déflagrations dans le paysage cinématographique des années 80, avant qu’un vent mauvais ne menace d’emporter un troisième long controversé, Les amants du Pont-Neuf. Soit, pour le coup, trois ans d’une entreprise qui prendra l’eau de toutes parts, entre accidents divers, dépassements budgétaires et autres débordements mégalomaniaques, circonstances achevant de brouiller l’image du cinéaste, visionnaire pour les uns, fumiste pour les autres. Cela, sans que la qualité du film, suffocant dans son insolente beauté et la rage de cinéma qu’il exhalait, ne change fondamentalement rien à l’affaire.
Du reste, les années 90 colporteront l’idée d’un Leos Carax se complaisant dans la posture de l’artiste maudit, statut conforté par Pola X, adaptation indigeste de Pierre ou les ambiguïtés d’Herman Melville, dont l’accueil glacial sera le prélude à un long silence cinématographique. Lorsque l’auteur choisira de rompre celui-ci, ce sera pour Merde, participation au film collectif Tokyo!, et essai à même d’engendrer la perplexité; un moyen métrage dont le titre, patronyme du personnage incarné à l’écran par Denis Lavant, son alter ego de toujours, avait aussi des allures de pied de nez -à moins qu’il n’ait fallu y voir quelque relent d’insolence adolescente.
L’étrange zapping de Monsieur Oscar
Ce long préambule, parce que Holy Motors, le film qui consacre un retour que l’on n’attendait plus guère à vrai dire, ne saurait être sans tout ce qui a nourri l’énigme de Leos Carax ces vingt dernières années. Du reste le réalisateur ne laisse-t-il à nul autre le soin d’y introduire le spectateur, à la faveur d’un prologue qui va l’installer face à l’écran de la vie qui se double d’un miroir de son cinéma. Vient ensuite une journée de l’existence de Monsieur Oscar (Lavant), un individu voyageant de vie en vie, conduit dans une interminable limousine blanche lui tenant lieu de loge. Et d’adopter tour à tour l’identité d’une mendiante, d’un financier, d’un cyber-lover, d’un père, d’un accordéoniste et l’on en passe -parmi lesquelles le Merde susnommé-, pour ce qui ressemble bientôt à un étrange zapping à la surface du monde et de ses vacillements, jusqu’à tutoyer le néant.
Se jouant des conformismes pour multiplier les audaces, formelles et narratives, Holy Motors ne fait sans doute pas l’économie de quelques passades ridicules, là où il adopte parfois, au gré de ses glissements stylistiques successifs, une esthétique au futurisme fané dans les replis du siècle dernier. Mais si ses outrances tiennent à l’occasion de la bouffonnerie (l’épisode Eva Mendes arrachée à son shooting), le film est surtout traversé de somptueuses fulgurances -ainsi du passage réunissant Kylie Minogue et Lavant dans les combles de la Samaritaine, pour ouvrir ensuite sur de renversants horizons. De fait, si Carax balaie l’histoire du Septième art, d’Etienne-Jules Marey à Georges Franju (lumineuse Edith Scob, de retour des Yeux sans visage), des musicals à Planet of the Apes, il convoque également ses fantômes, pour une oeuvre semblant porter son propre deuil tandis que résonne le Revivre de Gérard Manset. Les chants les plus désespérés sont parfois les plus beaux, et Holy Motors se déploie alors tel un rêve de cinéma, aventureux et bouleversant. Holy Shit!
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