Portrait: Agathe Rousselle, la mutante

Agathe Rousselle, la découverte de Titane.
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Pour en finir avec Titane… Portrait d’Agathe Rousselle, héroïne transformiste du film Palme d’or.

Si Titane de Julia Ducournau (lire la critique du film), récente Palme d’or du festival de Cannes, aura eu un mérite, c’est peut-être celui-là: la révélation d’une actrice sortie de nulle part, à la présence hors norme. À Cannes, avec sa profusion de tatouages, son improbable coupe mulet peroxydée et sa farouche détermination, Agathe Rousselle a indéniablement fait sensation. À 33 ans seulement, la jeune femme a déjà eu plusieurs vies: créatrice de mode à la tête d’une entreprise de broderie, mannequin, journaliste rédactrice en chef d’une revue en ligne, photographe, DJ habituée des bars branchés de Pigalle, coach, directrice de casting… Si son troublant visage androgyne semble rendre vaine et dérisoire toute tentative d’assignation de genre, son parcours lui-même échappe à toute forme de catégorisation: n’essayez surtout pas de la faire rentrer dans une case.

Le cinéma? Elle en rêve depuis l’adolescence, mais n’a jamais brusqué les choses. Passage éclair par le Conservatoire, expérience sur les planches, apprentissage à l’école du court… Agathe Rousselle ne s’est pas non plus improvisée comédienne en un jour. Titane n’en marque pas moins son tout premier rôle dans un long métrage. Un rôle quasi muet où il est avant tout question de gestes et de regards. À l’écran, elle incarne en effet une danseuse ténébreuse amoureuse de belles cylindrées, maîtresse de son corps et de son désir, qui tue en série avant de trouver chez un pompier sous stéroïdes un improbable père de substitution à même de l’aider à traverser une grossesse monstrueuse. Pas forcément ce qu’on appelle un personnage facile… « À la lecture du scénario, j’étais très excitée et très impressionnée par cette histoire, se souvient-elle. Je n’ai pas hésité une seule seconde au moment d’accepter le rôle. Julia m’avait fait une série de promesses en amont du tournage et elle s’y est tenue. Elle m’avait notamment promis que pour les scènes de sexe, il n’y aurait qu’une toute petite équipe présente sur le plateau, et qu’à chaque fois qu’on pourrait éviter la nudité complète on le ferait… Elle était très rassurante. Je sentais que je pouvais lui faire confiance, qu’elle n’allait pas filmer des choses en faisant fi de mon consentement. Ce qui m’a le plus perturbée, au fond, c’est peut-être la répétition des choses. En lisant le scénario, je me disais OK, ça je peux le faire. Mais ce que je n’imaginais pas forcément, c’est que je devrais le faire parfois jusqu’à 20 fois… »

Une femme puissante

Renvoyant à la plaque de métal vissée au crâne de son personnage suite à un accident survenu à l’enfance, le titre du film, Titane, est aussi à comprendre dans une dimension mythologique. Comme le féminin fantasmé de Titan, donc, soit l’un de ces fameux géants de légende ayant précédé au panthéon les dieux de l’Olympe. De Julia Ducournau, Agathe Rousselle parle d’ailleurs comme d’une « femme puissante« . Leur rencontre? Elle s’est faite via les réseaux sociaux. Repérée sur Instagram par la réalisatrice, fascinée par son look, Rousselle passe plusieurs tours d’audition avant d’embarquer véritablement dans l’aventure Titane. Elle raconte: « À la fin des étapes de casting, Julia m’a notamment mis une écharpe sur le visage dans le but de ne filmer que mes yeux. Elle savait que mon personnage allait être quasiment muet et elle m’a donc demandé de faire passer une série d’émotions rien qu’avec mon regard. »

Impliquée, la jeune femme s’est aussi préparée en regardant en masse sur YouTube des interviews de serial killers affichant un visage invariablement impassible alors qu’ils sont occupés à débiter des horreurs. « J’ai également lu beaucoup de choses sur les psychopathes. Alexia, dans le film, se comporte à la manière d’une Titanide qui, peu à peu, au contact du personnage interprété par Vincent Lindon, va recouvrer une forme d’humanité. » Absolument pas danseuse à la base, elle se dit à l’aise avec son corps. « Se retrouver à poil est plutôt confortable, je n’ai pas de problème majeur avec ça. Le fait d’avoir le corps enserré dans des bandages durant la deuxième moitié du film était parfois plus inconfortable, voire même douloureux. Mais ça m’a beaucoup aidée pour le rôle. Parce que ça changeait radicalement ma posture et ça me facilitait l’accès au personnage. Ça, et les prothèses faciales, les faux seins… »

Elle ajoute: « Dans le film, l’idée d’une famille que l’on se crée et que l’on se choisit est vraiment une idée qui résonne particulièrement en moi. La maternité beaucoup moins, je n’ai jamais été enceinte, je n’y connais rien. Mais l’idée de jouer une femme effrayée par sa propre grossesse me plaisait bien, parce que je crois que c’est quelque chose qui arrive à beaucoup de femmes. Même si ça reste un peu tabou. Titane est une histoire de rejet et de tendresse entremêlés. Quant à l’indécision de genre: quand j’étais mannequin, on me choisissait toujours pour jouer de mon androgynéité… Et même déjà quand j’étais enfant, on me prenait souvent pour un garçon. Il y a quinze jours encore, je promenais bêtement mon chien en survêt et quelqu’un m’a dit: « Bonjour monsieur. » C’est une chose à laquelle je suis très habituée, je n’y prête pratiquement plus attention. »

Son futur? Elle le voit se jouer sur les plateaux de cinéma. Sa plus grande inspiration? Cate Blanchett, dont elle loue le talent sans borne et les qualités transformistes. Sa plus grande crainte? À court terme, que sa famille aille voir Titane au cinéma, se marre-t-elle. « Je leur ai dit de ne pas aller voir le film, mais je crois qu’ils vont quand même y aller. Ça m’inquiète un peu parce que mon grand-père a un pacemaker et je ne voudrais pas qu’il lui arrive quelque chose… »

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