Mauvais genre: notre interview de Julia Ducournau, Palme d’or pour Titane

© John MACDOUGALL / AFP
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Cinq ans après Grave, sympathique petit film de genre au culte un peu surfait, Julia Ducournau réalise le hold-up parfait en décrochant une Palme d’or pour Titane, deuxième long métrage à la rutilance aussi désordonnée que stérile.

On rencontre Julia Ducournau sur un rooftop cannois à deux jours de la fin du festival. La réalisatrice française, ouverte, lucide, reconnaît qu’elle a peiné à accoucher du scénario de Titane (lire notre critique). Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça se ressent à l’écran, le film multipliant jusqu’à l’absurde les virages mal négociés, les impasses de narration, voire les pannes sèches d’inspiration. Objet volontairement hybride et tape-à-l’oeil « pensé » à la manière d’un gros fuck tendance queer, ce deuxième long métrage tente tant bien que mal d’épouser le point de vue d’une danseuse mutante amoureuse des bagnoles. Tueuse en série revêche se faisant passer pour le fils disparu d’un très conciliant pompier sous stéroïdes, elle s’apprête à donner naissance à un bébé bâtard qui lui provoque des montées d’huile de moteur dans les seins…

Cette « histoire » nawak, Ducournau ne la sort pas tout à fait de nulle part. « En général, quand je commence à écrire un film, explique-t-elle, je pars essentiellement d’images mentales. En l’occurrence, celles-ci découlaient d’un rêve récurrent que j’ai fait pendant des années où je me voyais donner naissance à une pièce d’engin automobile. Mais Titane est aussi né d’une frustration liée à Grave, mon film précédent… Dans ce dernier, le thème de l’amour inconditionnel était présent, mais en partie occulté par la personnalité de Justine, cette jeune femme occupée à s’émanciper tandis qu’elle découvrait sa propre monstruosité. Cette fois, je voulais vraiment placer l’amour au centre du film. L’amour, pour moi, est tellement absolu, transcendantal, qu’il ne peut être qu’inconditionnel. Que ce soit dans l’amour romantique ou dans un amour de type filial, c’est vraiment l’idée d’élire quelqu’un, qui vous choisit en retour. J’ai réalisé que je voulais parler de ça mais que tenter de mettre des mots là-dessus ne menait nulle part… C’est pour ça qu’il y a si peu de dialogues dans Titane. J’avais avant tout besoin de faire confiance à mes images… En tant que réalisatrice, je crois à la lumière, aux scènes, aux corps, bref je crois au cinéma. Et donc j’essaie d’aller aussi loin que possible avec les images avant d’ajouter des mots dessus. »

Lire aussi notre bilan: Cannes titanisé, mais encore…

Un autre monde

Avec ou sans mots, à l’arrivée, le résultat est ce qu’il est: une créature de Frankenstein titubante et mal rapiécée, qui tient tout autant d’un assemblage grossier des obsessions de la cinéaste que d’une compilation désordonnée de quelques-uns de ses évidents films de chevet: Tetsuo de Shin’ya Tsukamoto, Christine de John Carpenter, Crash de David Cronenberg… Interrogée sur son amour pour le cinéma de genre et la manière dont il infuse son travail, Ducournau répond: « J’aime le cinéma de genre, c’est un fait. Et ça remonte à très loin. Je crois que de la même manière que vous élisez quelqu’un dans l’amour, vous élisez aussi le type de films que vous chérissez. Les films de genre m’ont, très jeune, donné autant de plaisir que les dessins animés pouvaient le faire quand j’étais enfant. Très vite, ils ont été pour moi la promesse d’un autre monde où tout est possible, et où la mort n’a parfois pas beaucoup d’importance. Ça tient à quelque chose d’à la fois très réconfortant mais aussi de très libre, de très marginal… Dans mes films, j’utilise le genre à la manière d’un outil. Comme une façon de ne pas avoir recours à beaucoup de dialogues, de ne pas avoir à tout expliquer… Dans les films de genre, et dans les body horror movies en particulier, tout est expliqué par ce qui se passe à l’écran. Prenez La Mouche de Cronenberg, par exemple: est-ce qu’il est vraiment utile d’expliquer ce qui est en train d’arriver au protagoniste du film? Non, bien sûr, ses mutations physiques parlent d’elles-mêmes. J’utilise le genre pour créer un lien entre mon public et mes personnages qui ne soit pas un lien psychologique, intellectuel ou moral, mais qui soit immédiat, physique, voire même viscéral. »

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Ce qui semble devoir justifier à la fois toutes les errances d’un scénario-gruyère et cette quête vaniteuse et stérile de la surenchère pour la surenchère qui plombe puérilement Titane du début à la fin. Ducournau, quant à elle, préfère revendiquer envers et contre tout son refus d’un certain réalisme: « Pour moi, en tant que cinéaste, l’équation est simple: le plus proche vous êtes de vos personnages et le plus éloigné vous vous tenez de la réalité. Mais ça finit par devenir la réalité du film. À travers mon travail, j’entends vraiment faire entrer le spectateur dans la tête mais aussi dans le corps de mes personnages. Le monde que je choisis de créer à l’écran est le reflet d’une subjectivité. »

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