Critique | Cinéma

[le film de la semaine] Annette, de Leos Carax, opéra pop flamboyant

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Présenté en ouverture du dernier festival de Cannes, Annette en aura constitué l’un des événements majeurs.

Parce qu’il s’agissait du premier film de Leos Carax depuis neuf ans et Holy Motors bien sûr, encore qu’il n’y ait là rien d’exceptionnel dans le chef d’un cinéaste ayant pris sur lui de laisser le temps au temps, n’ayant jamais tourné que six longs métrages depuis Boy Meets Girl, en 1984. Mais aussi parce que ce nouvel opus voyait le réalisateur des Amants du Pont-Neuf s’aventurer du côté de la comédie musicale par la grâce d’une collaboration inédite avec les frères Ron et Russell Mael, alias Sparks, auteurs du scénario et de la musique. De la rencontre entre l’excentricité pop des uns et l’imaginaire tourmenté de l’autre ne pouvaient que jaillir des étincelles. En quoi Annette aura fait mieux que répondre aux attentes, musical électrisant en forme d’opéra pop flamboyant qu’est venu récompenser un prix de la mise en scène amplement mérité.

Entamée dans un studio d’enregistrement au son du lumineux So May We Start pour ensuite se déverser dans les rues de Los Angeles en un somptueux plan- séquence, l’action gravite autour d’un couple glamour: Henry McHenry (Adam Driver), un comédien de stand-up ayant fait de la provocation son fonds de commerce, et Ann Defrasnoux (Marion Cotillard), une cantatrice dont la voix céleste n’en finit plus de subjuguer. Après s’être épanouie dans l’oeil des médias et du public, leur relation passionnée va prendre un tour nouveau avec la naissance de leur fillette, Annette. Et des fissures de se faire jour après que le succès leur réserve un traitement différent, et plus encore lorsque se dévoile la nature toxique d’Henry, le couple, et leur étrange enfant avec eux, affrontant bientôt une mer démontée…

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Fulgurances esthétiques

Annette s’ouvre à la manière d’un enchantement, l’audace de la mise en scène de Leos Carax trouvant un écho amplifié dans la brillance des chansons des Sparks. Si la magie formelle demeure, l’euphorie, elle, n’a qu’un temps, qui s’estompe devant la profonde noirceur de l’ensemble. Sondant l’âme humaine, le cinéaste, s’il fait oeuvre intemporelle -convoquant d’ailleurs le spectre du cinéma hollywoodien d’antan dans un hommage parfois littéral-, dialogue aussi avec l’époque, qu’il évoque les effets de la peopolisation à outrance, ou qu’il arrime son propos à l’ère #MeToo, parmi d’autres, l’enfance confisquée notamment. Baigné de tragédie, Annette reste toutefois affaire de mystère et de fulgurances esthétiques. Et le film se déploie tel une fantasmagorie, s’enfonçant dans la nuit sans jamais se départir ni de sa poésie, ni de son étrangeté. Pour tracer, l’air de rien, ce qui pourrait aussi être un autoportrait guère avantageux du cinéaste. Une hypothèse accréditée par la métamorphose mimétique s’opérant en Adam Driver, toujours plus ressemblant à Carax à mesure que le film approche de sa conclusion. Provisoire s’entend, le trouble demeurant bien au-delà du générique de fin et de son ultime parade.

De Leos Carax. Avec Adam Driver, Marion Cotillard, Simon Helberg. 2 h 21. Sortie: 20/10. ****(*)

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