Golshifteh Farahani, en toute liberté

"Pouvoir rire des désastres m'a aidée dans la vie", déclare Golshifteh Farahani, très à l'aise dans le registre léger de la comédie Un divan à Tunis.
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

L’actrice franco-iranienne goûte aux plaisirs de la comédie et de la légèreté dans Un divan à Tunis, le premier long métrage de Manele Labidi, où elle incarne une psy rentrant au pays pour y installer son cabinet.

Longtemps, Golshifteh Farahani a semblé destinée aux emplois dramatiques, enchaînant des films comme À propos d’Elly d’Asghar Farhadi, Syngué Sabour d’Atiq Rahimi, My Sweet Pepper Land d’Hiner Saleem, et jusqu’au récent Les Filles du soleil d’Eva Husson. Venant après ce dernier, Un divan à Tunis, de la cinéaste franco-tunisienne Manele Labidi, vient toutefois confirmer un virage qu’avaient annoncé Santa & Cie d’Alain Chabat, ou Paterson de Jim Jarmusch. L’actrice franco-iranienne y goûte en effet à une légèreté nouvelle, rayonnant sous les traits de Selma, une psychanalyste de retour à Tunis après dix années passées à exercer à Paris. Une jeune femme dont la tentative d’installer son cabinet dans un quartier populaire se heurte tout à la fois à la réticence des habitants et à une administration tatillonne, la confusion consécutive à la révolution donnant sa toile de fond au récit. « À la lecture du scénario, j’ai trouvé qu’il traitait de sujets sérieux, mais avec humour, explique-t-elle, enjouée, dans la douceur de l’été vénitien. Pour moi, c’est la meilleure manière de parler de choses graves. L’humour permet aux gens de survivre lors de guerres ou dans des situations extrêmes. Rire, c’est ce qu’il reste à faire quand on n’a pas le choix. » Et de souligner encore combien le projet arrivait à point nommé dans son parcours: « Je suis portée, à cette période de ma vie, vers plus de légèreté, j’aime les comédies. Sortant de drames et de tragédies, j’ai envie d’autre chose. J’aimerais tourner un film sur une tragédie mais envisagée d’un autre point de vue. Ça correspond à mon approche personnelle: pouvoir rire des désastres m’a aidée dans la vie. À un moment, il faut tourner la page, et envisager les choses autrement, c’est un voyage personnel. Beaucoup de réalisateurs, Ridley Scott le premier, m’ont dit que je devrais tourner une comédie un jour parce que j’avais ça en moi. »

L’exil pour territoire

Au coeur du film, on trouve une double quête d’identité: celle d’une société que la révolution a laissée écartelée entre traditions et aspirations à la modernité, et celle de Selma, opérant un retour aux sources après son exil parisien. Risquer un parallèle avec le parcours d’une actrice coupée de ses racines iraniennes depuis une dizaine d’années maintenant est bien sûr tentant. Pour autant, Golshifteh Farahani confesse n’avoir jamais fantasmé un retour au pays. « Si vous quittez un pays vers quatorze, quinze ans, vous allez toujours vouloir y rentrer, à la recherche de votre identité. Mais quand, comme moi, on s’en va à 24 ans, on sait fort bien ce que l’on a laissé derrière soi et on sait pertinemment de quoi il retournait. Il n’y a pas de quête d’identité qui soit, vous serez toujours perçue comme une citoyenne de ce pays. Si je retourne en Iran, on ne m’y considérera pas comme française, je suis un monument là-bas. »

Golshifteh Farahani, en toute liberté

Et pour cause, l’actrice ayant tourné dans de nombreuses productions locales avant de devenir, en 2008, la première comédienne iranienne à jouer dans une production américaine depuis la révolution islamique de 1979, à la faveur de Body of Lies de Ridley Scott. Un film qui sera, incidemment, à l’origine de ses démêlés avec les autorités de Téhéran après qu’elle soit apparue sans voile lors de sa promotion, l’interdiction consécutive de quitter le territoire l’incitant à choisir la voie de l’exil à la première occasion. « Le problème, c’est qu’on n’appartient plus à nulle part, poursuit-elle. Si je devais retourner en Iran, le pays que je découvrirais ne serait pas celui que j’ai quitté il y a onze ans. Le pays a changé, une nouvelle génération, que je n’ai même pas connue, a émergé, l’argot et la façon de parler ont évolué… On ne peut replanter un arbre qui a été déraciné. » Une situation dont elle assure s’accommoder, ayant choisi de faire de l’exil son territoire. « En fait, j’apprécie cette douleur constante qui est aussi ma force. Elle est en moi, je me réveille avec elle et je retourne me coucher avec elle, je n’y pense pas. L’exil est devenu mon chez moi, je suis ma propre maison. Je ne me sens chez moi nulle part, si ce n’est avec moi-même. Ce qui me permet de me sentir chez moi partout, que je sois en train de discuter avec vous ou sur le tapis rouge, parce que mon foyer est parti pour toujours. L’exil fait que l’on vit dans les limbes, à moins de trouver son équilibre en soi. Je suis devenue comme ces orchidées dont les racines poussent à l’air libre, je n’ai plus besoin de terre… »

Horizons divers

Si terre d’accueil il devait y avoir, ce serait donc le cinéma, qui lui a permis de se multiplier, Golshifteh Farahani passant de l’Iran à la France, des productions indépendantes aux blockbusters hollywoodiens, elle que l’on vit même dans un épisode de Pirates of the Caribbean. « J’adore Hollywood mais Jim Jarmusch également. Tourner un film comme Out of the Fire, que je viens de faire pour Netflix, ne signifie pas, à mes yeux, partir pour Hollywood, il se trouve juste qu’ils sont passés maîtres dans l’art d’assembler tous les éléments de la meilleure façon possible. Parfois, quand on tourne de petits films, ça peut s’avérer frustrant. Il faudrait disposer de quatre caméras pour s’assurer que rien ne manquera au montage. Les Américains sont les maîtres en la matière, si vous leur donnez quelque chose, ils le prennent et le magnifient. Dans les petites productions, il arrive que l’on doive prier pour que ce que l’on a donné ressorte effectivement. Mais s’ils ont l’expertise technique, ils n’ont pas nécessairement l’âme. »

L’actrice parle en connaissance de cause, elle qui, à son départ d’Iran, avait un temps envisagé de s’installer dans la Mecque du cinéma. « Je suis allée à L.A., mais j’ai rapidement constaté que je ne pourrais pas y rester, ça ne me ressemblait pas, et je suis donc rentrée en France. J’avais l’impression de suffoquer à Los Angeles à la vision de ce consumérisme omniprésent, de cet idéal de vie au soleil, jour après jour. On se croirait à « zombie town », comme le dit Jim. On pourrait vivre 30 ans à L.A. et se demander à la fin si on a fait quelque chose de conséquent de son existence, ou si l’on s’est contenté de mener une vie heureuse. Le rêve américain n’était pour moi que suffocation. L’Europe, elle, m’apparaît comme une bénédiction, avec sa beauté, le brassage de cultures que l’on y trouve… » Constat ne l’empêchant pas de papillonner de l’une à l’autre, embrassant des horizons variés, guidée par l’intérêt des projets qui se présentent. Ainsi s’apprête-t-elle par exemple à tourner pour la première fois dans une série. « J’ai longtemps résisté, je suis plutôt traditionnelle de ce point de vue, mais les temps ont changé. Je n’ai jamais regardé de série, pas même Game of Thrones dont tout le monde me parlait. Je préfère me rendre à l’Action Christine à Paris, pour voir un film avec Marlene Dietrich. Mais là, à la lecture du scénario, je me suis dit « holy shit! » tant c’était bien. L’écriture était juste incroyable. » Et de se jeter dans l’aventure. Ainsi va Golshifteh Farahani, libre et légère…

La Tunisie sur le divan

Malene Labidi
Malene Labidi© VIVIANA MORIZET

Présenté aux Journées des auteurs, Un divan à Tunis, le premier long métrage de Malene Labidi, aura incontestablement constitué l’une des révélations de la dernière Mostra de Venise. Le cinéma, la réalisatrice franco- tunisienne y est venue par la bande, entamant son parcours professionnel dans… la finance. « J’ai grandi dans une famille plutôt traditionnelle, raconte-t-elle. Mes parents sont arrivés en France à la fin des années 70, ils ne maîtrisaient que moyennement la langue, je suis née à Paris en 1982, et mon éducation s’est faite par l’école publique. J’ai découvert le cinéma, la littérature… Mais quand j’ai annoncé vouloir entreprendre des études culturelles, mes parents se sont demandé si j’étais devenue folle, c’était impossible. J’ai donc fait Sciences Po, et j’ai trouvé un emploi dans la finance tout en écrivant beaucoup. C’était intéressant mais très éloigné de moi, et quand la crise est survenue, j’ai estimé que travailler dans un univers où il n’était question que d’argent et de profit n’avait aucun sens. J’avais tellement de choses à exprimer que j’ai décidé de repartir de zéro. »

Des vertus de la comédie

Engagée par la radio française pour écrire des fictions, Malene Labidi est sollicitée par Isabelle Carré pour une pièce -elle adaptera De l’influence des rayons gamma sur les marguerites de Paul Zindel. Et de bientôt s’inscrire à la Fémis, le cadre où Un divan à Tunis commence à prendre forme. Deux éléments contribueront à la genèse du film. « J’avais dit un jour à ma mère que je voyais un psy à qui je racontais tout, et elle s’est sentie trahie. Dans ma culture, comme dans d’autres, la psychanalyse est associée à la destruction et la déconstruction de son éducation, de vos traditions et de vos relations avec vos père et mère -des concepts comme « tuer le père » ou « tuer la mère » sont assez effrayants pour une femme « traditionnelle ». L’idée de faire se rencontrer ces deux mondes a germé alors, mais le véritable déclencheur a été la révolution tunisienne, où tout a basculé en une nuit, pour ainsi dire. Le changement a été tellement brutal que certaines personnes ont développé des troubles de type anxiété, dépression, et les demandes de thérapies ont augmenté considérablement. Une autre dimension étant qu’avec la révolution, le pays est devenu extrêmement « bavard ». Sous la dictature, on ne pouvait pas s’exprimer librement, et là, les gens se sont mis à parler sans arrêt. J’ai voulu que le film embrasse ces deux dimensions: une révolution collective et politique, rendue possible par différentes révolutions individuelles. »

Un cadre probant, le film s’employant avec esprit à mettre la Tunisie de l’après-révolution sur le divan. « J’ai opté pour une comédie, parce que le genre n’est pas synonyme que de légèreté: le rire ouvre le coeur, et si vous êtes ouvert aux émotions, vous l’êtes aussi à la réflexion. J’ai toujours à l’esprit cette citation de Mario Monicelli: « La comédie est un moyen de parler de problèmes tragiques avec humour.  » On pourrait raconter la même chose en mode dramatique, mais la connexion serait alors indirecte: on apprécie une réalité, on en comprend la dureté et ensuite on peut l’oublier. Tandis que lorsqu’on commence par rire, on baisse la garde et on est plus réceptif à ce qui est en jeu. C’est là que réside la force de la comédie. »

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