Golshifteh Farahani: « Menée par des femmes, la guerre n’est pas la même »

Golshifteh Farahani, combattante iranienne de l'existence. © PIER MARCO TACCA/GETTY IMAGES
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Sous les traits d’une combattante yézidie, Golshifteh Farahani embrase de sa fougue Les Filles du soleil, film de guerre maladroit d’Eva Husson doublé d’un manifeste féministe.

C’était en 2008: campant une infirmière jordanienne face à Leonardo DiCaprio dans Mensonges d’Etat, de Ridley Scott, Golshifteh Farahani devenait la première actrice iranienne à jouer dans une production américaine depuis la révolution islamique de 1979. Dix ans plus tard, et alors qu’elle affiche désormais 35 printemps, la comédienne a fait du chemin. Ayant choisi la voie de l’exil – les autorités de Téhéran l’avaient frappée d’interdiction de quitter le territoire après qu’elle soit apparue sans voile lors de la promotion du film -, elle s’est ensuite multipliée sur les terrains les plus divers, sa filmographie alignant, à la suite de celui d’Asghar Farhadi (A propos d’Elly), les noms de Marjane Satrapi (Poulet aux prunes), Atiq Rahimi (Syngué Sabour), Hiner Saleem (My Sweet Pepper Land), Louis Garrel (Les Deux amis), Christophe Honoré (Les Malheurs de Sophie), et beaucoup d’autres. Jusqu’à Jim Jarmusch qui en faisait la compagne de Paterson dans l’impeccable film éponyme, avant qu’elle n’enchaîne sur une énième relance de Pirates des Caraïbes: libre, définitivement.

Son actualité, ce sont Les Filles du soleil, le second long métrage d’Eva Husson, l’auteure, en 2015, de Bang Gang. Soit, inscrit dans le Kurdistan irakien, et inspiré des massacres de Sinjar et de la bataille qui devait s’ensuivre, un film de guerre relatant la lutte des combattantes yézidies face aux djihadistes, où, sous les traits de Bahar, commandante du bataillon des Filles du soleil, Golshifteh Farahani fait parler la poudre et sa fougue. Mais si la cause – « la femme, la vie, la liberté » – est noble, le résultat déçoit – euphémisme -, le sujet étant manifestement trop vaste pour une réalisatrice ne pouvant se dépêtrer des lourdeurs et de la naïveté d’un scénario que ne suffit pas à sauver l’ardeur de la comédienne…

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En première ligne

Cannes peut se révéler un juge impitoyable, c’est bien connu, et en cette soirée du 12 mai 2018, l’accueil est sans pardon. Il en faut plus, cependant, pour démonter l’actrice, conséquente pour le coup, elle qui considère que le message porté par un film est ce qui prime à l’heure des choix, précisant qu’« un bon scénario est la graine, le réalisateur représentant en quelque sorte la terre fertile dans laquelle elle va pousser pour, on l’espère, donner un arbre sain. » On la découvre ainsi le surlendemain tour à tour radieuse, espiègle, vive, réfléchie; enjouée et complice aussi, comme lorsqu’elle sort son smartphone pour prendre une photo des quelques journalistes agglutinés autour d’elle pour la circonstance. « Les Filles du soleil est le premier film de guerre réalisé par une femme, il n’y a pas de précédent. Wonder Woman, bien sûr, mais c’est différent. Nous ne sommes pas habitués à voir des femmes partir en guerre ni se battre, notre esprit est conditionné à voir des hommes au combat. Menée par des femmes, la guerre n’est pas la même. La question n’est pas de savoir si elles se battent mieux ou moins bien, mais ce sera un autre combat, les femmes ne peuvent pas pisser debout, c’est aussi simple que cela. Nous sommes rompus à voir une façon mâle de faire la guerre, d’où sans doute cette irritation: ce film prend des volées de bois vert en raison de son caractère inédit. Mais j’ai la conviction qu’il va engendrer quelque chose. Il est en première ligne, donc il essuie un feu nourri de critiques, mais on fera d’autres films de ce type, et nous allons nous y habituer. Qui aurait pensé, il y a quelques années de cela, de l’ampleur que prendrait le mouvement #MeToo? »

J’ai senti monter une douleur ancestrale, qu’il était temps de me guérir ainsi que mes ancêtres.

Si Golshifteh Farahani défend le film d’Eva Husson bec et ongles, c’est sans doute parce qu’elle s’y est engagée corps et âme – un trait qui pourrait la définir, la jeune femme n’étant pas de celles qui font les choses à moitié. Nul hasard si elle incarne, dans l’imaginaire collectif, une figure de rebelle doublée d’un symbole de liberté. « Après toutes ces projections ayant fait de moi une combattante de l’existence, voilà que je suis enfin une combattante disposant d’une vraie arme », s’amuse-t-elle. Et d’enchaîner: « Eva Husson est venue me voir alors que j’interprétais Anna Karénine sur scène à Paris. Nous avons déjeuné ensemble, et elle m’a expliqué s’apprêter à écrire une histoire sur les femmes yézidies. Vu mes origines, je savais qui elles étaient, elles font partie de mon ADN d’une certaine façon, et même s’il n’y avait pas encore de scénario, je l’ai assurée que je serais à ses côtés, attendant depuis des années que quelqu’un fasse un film à leur sujet. Leur histoire doit être racontée, parce que c’est le plus bel exemple pour moi de femmes vivant dans les pires conditions qui soient sans pour autant accepter un statut de victimes. »

Dans Les Filles du soleil, Golshifteh Farahani combat les djihadistes. Une interprétation fougueuse dans un film qui l'est moins.
Dans Les Filles du soleil, Golshifteh Farahani combat les djihadistes. Une interprétation fougueuse dans un film qui l’est moins.© DR

On ne saurait mieux dire, comme l’illustre un film s’inspirant librement de l’histoire des bataillons de femmes yézidies ayant décidé de prendre les armes en réponse aux atrocités perpétrées par l’Etat islamique, une cause embrassée avec sincérité à l’écran à défaut de finesse. Et trouvant chez l’actrice un écho passionné: « Au début du tournage, je me suis demandé pourquoi ces tragédies venaient à moi? Pourquoi fallait-il que j’endosse la douleur de toutes ces femmes? Je me suis posée et j’ai réfléchi, pensant à ma mère, ma grand-mère, mon arrière-grand-mère. Si chacun de nous en faisait autant, on réaliserait combien, d’où que l’on vienne, des Etats-Unis au Japon en passant par l’Afrique, elles ont toutes vécu en leur temps d’horribles souffrances, de quelque ordre que ce soit. A l’occasion de ce film, j’ai senti monter une douleur ancestrale, et j’ai estimé qu’il fallait que cela cesse, qu’il était temps de me guérir ainsi que mes ancêtres, afin de s’affranchir de cette chaîne de souffrance pour les générations à venir. » Et de filer, dans la foulée, la métaphore florale. « A chaque nouveau rôle, je connais un peu mieux les recoins les plus sombres de mon esprit et de mon âme. Et ce film a eu des vertus curatives. Vous connaissez les fleurs de lotus, dont les racines se trouvent dans les marais, dans la merde des eaux les plus sales, mais qui, quand elles sortent de l’eau, deviennent de magnifiques lotus? Ce film atteste de l’existence de cette possibilité. Mon personnage me fait penser à un lotus, parce que la merde, là-bas, est particulièrement odorante: ces femmes sont violées, vendues, torturées, perdent leur mari et leur famille, une situation pis que pire. Mais ce n’est qu’un passage, et quand Bahar en sortira, elle sera mue par un formidable élan. Elle ressemble à un magnifique lotus, parce que si elle vit une situation insoutenable, elle est tournée vers la lumière et non vers les ténèbres… »

Dans les limbes

Disposition ne pouvant que parler à une actrice irradiant, littéralement. Et ayant en commun avec son personnage de n’avoir jamais voulu se considérer comme une victime, pas plus en Iran, quand la star précoce qu’elle était eut à subir les foudres du régime, qu’en France, sa terre d’adoption dans un premier temps. « On a tendance, en Europe et en Occident, à victimiser, les immigrants en particulier. Mais cela ne ressemble en rien au ressenti si l’on est né en Iran. Pourquoi victimise-t-on? Avant tout, pour se sentir à nouveau en sécurité. On commence par instaurer une séparation: « pauvres de vous, vous êtes des victimes, je suis désolé, mais je suis en sécurité en Europe, et je suis votre sauveur, vous l’êtes désormais également, avec nous. » Ce n’est rien d’autre qu’une manière de se rassurer et de se donner bonne conscience. Mais moi, j’ai toujours foncé. Quand je vivais en Iran, rien ne m’était impossible. Quand je suis partie, sans même que je le réalise, on a voulu projeter une image de victime sur moi, mais je n’ai jamais accepté d’en être une. En quittant l’Iran, je ne pensais aucunement être actrice, ni même continuer à travailler: je ne parlais pas français, et le cinéma américain ou anglo-saxon ne me proposait que des rôles de terroriste, etc., choses que je me refusais à jouer. Et me voilà aujourd’hui à pouvoir voyager d’un univers à l’autre, de Pirates des Caraïbes à Paterson, d’une fille indienne à la combattante de ce film, d’une femme du XVIIIe siècle dans Finding Altamira à une comédie française, rien ne semble impossible. C’est arrivé, et je me sens à la fois bénie et reconnaissante de pouvoir voyager de la sorte entre différentes cultures et différentes langues. »

Quand on déracine un arbre de 24 ans, on ne peut le replanter nulle part.

Apatride dans un horizon que l’on aimerait sans frontières ou plutôt, suivant son expression, citoyenne du monde, se sentant Française pour avoir résidé longtemps à Paris, tout en restant Iranienne, et acceptant le prix de l’exil. « On est toujours rattaché à l’endroit d’où l’on vient, souligne Golshifteh Farahani. Le problème de l’exil, c’est que même si je devais retourner en Iran un jour, je ne verrais pas le pays que j’ai quitté. Quand on déracine un arbre de 24 ans, on ne peut le replanter nulle part. Même si l’on essaie, cela ne va pas coller. C’est le lot de tous les exilés, de se retrouver ainsi dans les limbes, ni franco-Français, ni irano-Iraniens. D’où cette communauté internationale de vie bohème et spirituelle, où personne ne vous demande jamais d’où vous venez, parce que c’est sans importance, on vient tous de quelque part. J’y suis à l’aise, et c’est pourquoi j’ai quitté Paris, où l’on se sent tellement à Paris, pour vivre désormais entre le Portugal et l’Espagne, l’un de ces endroits qui n’appartiennent à personne et où les origines n’existent plus. Voilà où se trouve désormais mon chez moi. » Sous le soleil, exactement…

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