Éco-anxiété et trottinetto-anxiété: deux salles, deux ambiances!

Threads © DR
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Mécanismes de la peur et capitalisme culturel au menu de ce Crash Test S07E09. Avec aussi Frankie Goes To Hollywood, Docteur Folamour, Ezekiel Boone, Vigipirate, Squid Game et Sirop Magazine en invités spéciaux!

Quand j’étais adolescent, j’étais bombo-anxieux. L’anéantissement nucléaire me faisait drôlement flipper, j’en faisais des cauchemars carabinés. Certes, on n’est pas passé loin de la destruction mutuelle assurée un soir de Able Archer 83, cet exercice militaire de l’OTAN tellement réaliste que les Soviétiques ont cru à une véritable attaque-surprise. Mais ça, je ne l’apprendrais que beaucoup plus tard. Ado, la géopolitique me passait bien au-dessus du citron et c’est principalement la pop culture qui nourrissait ma bombo-anxiété. Des docudrames comme The Day After et Threads, présentés avec grand sérieux et gravité dans des émissions de débats télévisés alarmistes. Des films plus couillons comme War Games, Terminator et Mad Max. L’horrible Quiet Earth, aussi. The Omega Man, bien sûr. Beaucoup de chansons, également, du fantastique Two Tribes de Frankie Goes To Hollywood au pitoyable The Final Countdown de Europe en passant par le passable Always The Sun des Stranglers, le fanfaron Ask des Smiths et pas mal de new-wave. Beaucoup de bédés et de romans, beaucoup trop même. À la mid-eighties, cela faisait d’ailleurs un moment que durait cette surexploitation culturelle de la Peur de la Bombe; au moins depuis le terrifiant Fail Safe et le plus comique Docteur Folamour, tous deux sortis en 1964, soit deux ans après la Crise des Missiles, où là non plus, on n’est pas passés loin de la rôtisserie géante.

J’ai bien l’impression qu’il y a eu comme un bouquet final juste avant Gorbatchev, vers mes 14-15 ans donc. Il est vrai que c’était assez flippant de voir des dignitaires soviétiques tous plus séniles et paranoïaques les uns que les autres susceptibles de s’écrouler morts sur le bouton rouge après un blini de trop. Ça a inspiré ce qui reste probablement le pire de la culture bombo-anxieuse mais ensuite, il y a eu la glasnost, la perestroïka, la Chute du Mur et tout cela s’est considérablement calmé. J’ai bien eu un petit regain de bombo-anxiété au début des années 2000, quand on parla beaucoup de « bombes sales » qui auraient pu être cachées dans une poubelle publique d’une grande ville occidentale et contaminer pas mal de monde mais ça n’a pas duré. Peut-être parce qu’en matière de terrorisme, il est sans doute beaucoup plus improbable de mourir du feu nucléaire et de radiations que d’un ustensile de cuisine planté dans la gorge. Du moins, était-ce mon analyse de la menace. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, je suis guéri de ma bombo-anxiété et je peux lire et voir des choses évoquant l’horreur atomique sans ensuite passer une nuit à geindre et à me retourner dans mes draps trempés de sueur. J’écris d’ailleurs ces lignes alors que j’ai achevé il y a quelques jours la trilogie de romans bien nigauds d’Ezekiel Boone sur une invasion d’araignées géantes soignée à la bombe H. Il pète de l’ogive de tous côtés dans ces bouquins de série Z et ça ne m’a pas du tout troublé. J’ai même trouvé ça particulièrement ridicule et surfait. Depuis, j’ai aussi terminé Au Balcon d’Hiroshima de Jean Amila (alias Jean Meckert, un auteur mort formidable qui jouit depuis quelque temps d’un très sympatoche retour de hype) et c’est un très cool polar ayant pour cadre le Japon au début du mois d’août 1945. Tout un programme, donc. La fin est atroce, bombo-anxieuse en diable, mais elle ne m’a pas empêché de bien dormir, très satisfait de ma lecture. Un autre signe de rétablissement définitif.

Ma bombo-anxiété s’était bien transformée en terroro-anxiété, un moment. Suite au 11 septembre 2001, il m’a ainsi fallu 18 ans avant d’oser remonter dans un avion. J’ai aussi subi des attaques de panique tétanisantes suite à une menace sur l’Eurostar publiée dans la presse à l’hiver 2006 alors que j’étais en vadrouille à Londres et me suis grignoté les ongles dans un cinéma parisien à la fin d’Inglourious Basterds, alors que des types louches s’agitaient dans la salle au moment précis où dans le film, le cinéma plein de nazis se met à cramer. Ils se marraient, en fait, mais mon anxiété a transformé leurs « hahaha » en « Allah Akbar » et ça n’a plus été drôle du tout. Là, ce n’était pas la pop culture qui nourrissait mon angoisse mais les médias, traditionnels comme sociaux. Ainsi que l’ambiance Vigipirate et déjà fort zemmourienne de la capitale française. C’est d’ailleurs pourquoi je me dis qu’à force d’en faire des caisses et des caisses sur le changement climatique, de recommander même d’en faire des caisses et des caisses et de ne donner la parole qu’aux plus pétochés du dossier, on va droit vers une nouvelle névrose du même gigantesque calibre.

Aujourd’hui que la peur de mourir du changement climatique et de pandu0026#xE9;mies virales est tru0026#xE8;s partagu0026#xE9;e, on va voir prolifu0026#xE9;rer la pop culture jouant sur ces angoisses. Le Marchu0026#xE9; l’exige!

Ça sera sans moi, ce coup-ci. Non que le changement climatique m’indiffère, juste qu’il ne me rend nullement anxieux. C’est que depuis l’avènement de l’éco-anxiété et de la Covido-anxiété, que je comprends mais ne ressens pas du tout, j’ai percuté comment fonctionnait ma peur. Moi, c’est la mort subite qui me fait pétocher. Mon câblage est ainsi fait que si la peur joue sur le fait que ce sera foutu dans un quart d’heure, ça laisse le temps de se faire à l’idée que c’est foutu et donc aussi tenter tout et n’importe quoi avant que ce ne soit vraiment foutu-foutu. Alors qu’une explosion atomique ou un sac de TNT dans un train, non. C’est directement foutu-foutu. C’est un raisonnement évidemment totalement irrationnel mais c’est ainsi que ma peur fonctionne et la peur n’est pas réputée rationnelle. Que ce que je dis ici soit pertinent ou non, que j’aie raison ou non de le penser, n’est d’ailleurs pas du tout important. C’est comme ça et ça fait surtout de moi un coeur de cible parfaitement paramétré pour toutes ces productions culturelles jouant justement sur cette angoisse de la mort subite: les histoires de bombes atomiques, de terrorisme aveugle, les documentaires sur le Bataclan, les requiems pour un massacre… Squid Game aussi, où n’importe quel personnage principal peut se faire trucider de façon aussi soudaine que définitive. L’éco-anxiété, l’agonie lente, c’est une autre salle, une autre ambiance. Aujourd’hui que la peur de mourir du changement climatique et de pandémies virales est très partagée, je suppose que l’on va d’ailleurs voir proliférer la pop culture jouant sur ces angoisses. Le Marché l’exige! Chacun son kif morbide! Certaines de ces productions me seront même assurément très plaisantes (et existent déjà depuis 60 ans au moins). Plaisantes, oui. Ou interpellantes. Mais jamais angoissantes, désolé. C’est que désormais surtout trottinetto-anxieux, craintif de la mort subite à roulettes donc, pour totalement m’envoyer le trouillomètre dans le rouge, ce ne sont pas des histoires de banquise qui fond qu’il faut m’obliger à regarder. Mourir le cerveau étalé sur le pavé liégeois après avoir été percuté par un vélo-cargo livrant le dernier Sirop Magazine chez Pax, voilà la pure terreur, le foutu-foutu que l’on n’a pas le temps de voir venir. Un remake de Christine avec une trottinette tueuse. Voilà ce qu’il me faut pour que je mouille mes draps. On a encore quelques années pour le faire avant que l’empreinte-carbone du streaming nous l’interdise, si j’ai bien tout compris…

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