Virginie Efira en femme sous emprise: “J’ai l’impression que l’histoire qui est racontée là n’est pas tout à fait exceptionnelle »
Virginie Efira brille dans L’Amour et les Forêts, un film où Valérie Donzelli démonte la mécanique de l’emprise, doublant le thriller psychologique d’un récit d’émancipation.
Les années se suivent et se ressemblent pour Virginie Efira, omniprésente sur les écrans de Cannes (et d’ailleurs). Ainsi d’un millésime 2023 où l’actrice présentait Rien à perdre, de Delphine Deloget, à Un Certain Regard, et L’Amour et les Forêts, de Valérie Donzelli, une adaptation du roman éponyme d’Éric Reinhardt, à Cannes Première (lire la critique). “Je connaissais tous les films de Valérie Donzelli, j’aimais beaucoup sa façon de travailler. Puis on s’est rencontrées comme comédiennes sur un film (Madeleine Collins, d’Antoine Barraud, NDLR) où on a eu un rapport plus intime. Je me suis dit qu’on pourrait faire des choses ensemble, et ensuite, on s’est retrouvées avec le livre, que Valérie m’a passé. Je l’ai lu, et il m’a semblé qu’on avait là quelque chose à pouvoir raconter ensemble…”
Un peu maso
L’Amour et les Forêts distribue Virginie Efira dans un double rôle, les sœurs jumelles Rose et Blanche, moins Demoiselles de Rochefort que les deux facettes de son identité franco-belge, comme elle s’en amuse, alors qu’on la rencontre sur une terrasse dominant la Croisette. “Il y a chez Rose quelque chose de plus concret, de plus immédiat, que je peux avoir en moi, alors que Blanche est inspirée par des personnages un peu plus truffaldiens, et des choses propres au cinéma français qu’aime Valérie, et que je partage totalement, une féminité plus rentrée. C’est un peu grossissant de dire un truc belge et un truc français, mais il y a un peu de ça, oui.”
À l’écran, le côté français prend le dessus, le film suivant Blanche, engagée dans une relation idyllique avec Grégoire (Melvil Poupaud), avant que les choses ne s’assombrissent insensiblement quand elle réalise que son compagnon n’est pas celui qu’elle pensait, révélant une nature maladivement possessive et violente. Sans qu’elle ne puisse s’en affranchir, l’emprise ayant altéré sa perception de la réalité. “J’ai l’impression que l’histoire qui est racontée là n’est pas tout à fait exceptionnelle, qu’elle est assez courante”, souligne la comédienne. Qui, pour l’incarner, a dû donner corps à des émotions multiples, glissant de la pâmoison amoureuse à l’angoisse la plus pure, sans y trouver de difficulté particulière, assure-t-elle. “J’ai du mal à mettre le mot difficile à partir du moment où on est très bien accompagné. Ce qui est difficile, c’est quand il y a un réalisateur qui ne sait pas bien ce qu’il veut, sur lequel on doute, ou dont on ne partage pas le point de vue esthétique ou, pire, idéologique, et ce n’était absolument pas le cas. Donc, il n’y avait rien de difficile en ce sens-là. Après, évidemment, les scènes de violence psychologique, physique, conjugale, qui sont celles avec lesquelles on a commencé le tournage, moi qui adore multiplier les prises normalement, quand on en avait fait une et que Valérie voulait qu’on la refasse, je me disais “mon Dieu!”. Tu as l’impression de rentrer dans un petit train des horreurs, parce que c’est une représentation, mais entre “action” et “coupez”, tu es à l’intérieur des choses. Il y a des moments où je me suis dit: “C’est un peu maso, cette affaire…””
Du crime passionnel au féminicide
L’impact du film n’en est assurément que plus fort, donnant à éprouver la mécanique de l’emprise et ses effets dévastateurs. En quoi, si Valérie Donzelli veille à y imprimer la trame romanesque d’un thriller psychologique doublé d’un récit d’émancipation, on serait enclin à voir une œuvre politique. “Oui, je pense. D’ailleurs, Éric Reinhardt a parlé de son propre roman comme politique et engagé. Le film suit cette même voie, parce qu’il me semble que c’est aussi parce qu’il y a des représentations qu’on peut sortir de l’invisibilité. Et qu’il y a quelque chose dans ce qui est montré dans le film d’assez systémique, on connaît les chiffres, malheureusement. Mais il y a un mouvement dans la société, certes excessivement lent: il y a quelques années, on pouvait parler de crime passionnel, comme si ces choses-là appartenaient aux amours tumultueuses. Ce n’est que récemment qu’on a utilisé le mot féminicide, et qu’on est sorti du champ lexical où la responsabilité était sur les deux. D’ailleurs, le film traite de l’emprise, et l’emprise, en tant que telle, ne figure dans le code pénal que depuis très peu de temps, pas parce qu’on peut être accusé d’emprise, mais pour expliquer cette idée de pourquoi la femme ne part pas, le déni, l’état de sidération. C’est mis à jour depuis peu de temps. Et il me semble que pour pouvoir se sortir de ça, il faut sortir de l’invisibilité, comme a pu le faire #MeToo.”
Considère-t-elle pour autant avoir une responsabilité de comédienne dans le choix de ses sujets? “Je ne me dis pas “OK, j’ai une responsabilité” comme un truc sérieux, parce que je pense que le cinéma aussi peut se défaire d’une certaine morale. Mais la responsabilité de l’acteur, qui est faible, passe par ses choix, ça passe par le regard des metteurs en scène avec qui on choisit de travailler, et au fait que ça corresponde à vos propres croyances. Le personnage peut être tout à fait amoral, mais quelle est la pensée du metteur du scène? Est-ce que, là-dedans, on a une croyance en quelque chose qui est un peu au-dessus de nous. Là, il y a une forme de responsabilité, pour montrer aussi la nuance d’un être humain. Comme spectatrice, j’ai vu des films qui m’ont ouvert l’esprit, qui ont élargi un peu les horizons. Donc, on a forcément envie, si possible, avec les choix qu’on nous offre, de faire la même chose. Pour moi, c’est le seul endroit où ça peut prendre sens, en fait.” Quelque chose comme l’effet Efira…
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