Teddy: France rurale et esthétique pop font bon ménage dans ce film de loup-garou
Avec Teddy, leur deuxième long métrage, les frangins Ludovic et Zoran Boukherma orchestrent la rencontre, jouissive à souhait, entre la dimension sociale de la France rurale et l’esthétique pop du cinéma de genre. Rencontre, à Deauville.
« Quand on était encore enfants, à l’heure d’aller dormir, notre mère, au lieu de nous raconter des histoires, nous lisait les nouvelles de Stephen King. Très tôt, on était fans des Contes de la crypte , aussi, qu’on se procurait en DVD chez le marchand de journaux du coin chaque semaine. Et puis des adaptations de King au cinéma, bien sûr, Carrie en tête… On a toujours baigné dans le fantastique et le genre au sens large. » Originaires du sud-ouest de la France, dans le Lot-et-Garonne, Ludovic et Zoran Boukherma sont frères jumeaux. À pas même 30 ans, ils se fendent aujourd’hui, avec Teddy, d’un deuxième long métrage en forme de très décomplexée petite production de genre hexagonale qui fait le pont entre le désoeuvrement plouc de la Macronie rurale et la grande tradition saignante des films de loup-garou américains des années 80. Régal d’iconoclasme punk à l’humour ravageur, le film suit, dans un village des Pyrénées, le fil des mésaventures d’un jeune mec un peu paumé (formidable Anthony Bajon) qui est pris de curieuses pulsions animales après avoir été griffé par une bête inconnue un soir de pleine lune…
On devine la suite, évidemment, et pourtant, que ce Teddy est réjouissant! Qui a dit, en effet, que la France n’était pas taillée pour le cinéma de genre? Portant fièrement le label Cannes 2020, primé à Gérardmer cette année, le film arrive sur les écrans cinq ans après un premier long métrage, Willy 1er, centré sur un inadapté cherchant à trouver sa place dans le grand monde, qu’il connaît peu ou mal. Le motif de l’inadaptation est à nouveau au coeur de Teddy, dont le goût prononcé pour les mutations, les transformations, autorise par ailleurs toutes les projections interprétatives.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
Volontairement très drôle, le film porte un regard oblique, pince-sans-rire, mais pas moins tendre pour autant, sur la France d’en bas. Parlant pour ainsi dire d’une seule voix, les frangins Boukherma opinent: « C’est vrai, il y a une volonté affichée de notre part de produire un commentaire social derrière le paravent du genre. Même si, à la base, ce qu’on voulait faire avant tout, c’est un film de loup-garou absolument raccord avec tous les codes en termes de structure narrative: attaque, symptômes, mutation… Mais on ne pouvait pas simplement pasticher les Américains. En ancrant l’action au coeur même de cette France rurale au sein de laquelle nous avons tous les deux grandi, on a compris que l’ensemble allait résonner différemment, et que le prisme de l’actualité allait aussi en faire une histoire d’exclusion sociale. »
Un homme en colère
Grand ado rebelle et sans diplôme qui vit avec son oncle adoptif et travaille dans un salon de massage, Teddy porte invariablement le même t-shirt et n’évolue pas. Et c’est exactement ça, au fond, que raconte le film en sous-texte: l’histoire d’un jeune mec peu éduqué qui refuse de grandir et se marginalise. « Aujourd’hui, si vous revoyez Le Loup-garou de Londres de John Landis, par exemple, eh bien vous pouvez aussi y trouver une histoire d’exclusion sociale, en un sens. Mais le contexte actuel exacerbe encore davantage cette dimension présente dans les histoires de lycanthropie. Teddy a grandi et a toujours vécu dans une région reculée où il y a peu d’opportunités. Il n’a pas été bon à l’école, n’a pas de bagage professionnel et se retrouve au début de l’âge adulte sans véritables perspectives, si ce n’est sa relation avec sa copine. Quand son couple s’effondre, quelque chose se passe à l’intérieur de lui. À sa manière bien spécifique, Teddy symbolise la colère que peut engendrer la marginalisation. »
Chez les frères Boukherma, le manque de moyens financiers tient lieu de force en soi, qui oblige à prendre des biais ouvrant sur un ton et un univers très libres, très naturels. On pense parfois à l’improbable rencontre entre le Bruno Dumont du P’tit Quinquin et les frangins Poiraud d’Atomik Circus. « Après Willy 1er, il y a eu toute une période où on se mettait une pression pas possible et où on n’arrivait pas à écrire un nouveau scénario. Alors on est partis en vacances dans le Jura pour se changer les idées. On a décidé de tourner un petit court métrage à l’arrache, La Naissance du monstre, juste pour rigoler, pour renouer avec la joie toute bête de s’amuser. Il s’agissait d’une modeste histoire de loup-garou, qu’on a tournée vite fait avec des effets rudimentaires de farces et attrapes. Et là on a compris qu’on se devait d’être sincères avec nous-mêmes et qu’il fallait avant tout qu’on prenne du plaisir à faire nos films. Tout le projet de Teddy est né à ce moment-là, dans ce désir simple de jouer avec du faux sang, des déguisements… Ça nous a vraiment ramenés à l’enfance, quand on faisait des petits films ensemble avec un simple caméscope. »
Très présents à l’écran, l’amusement et l’humour y cohabitent aussi avec une dimension plus dramatique, qui a tendance à prendre davantage de place à mesure que le film avance. « Il s’agissait vraiment de trouver un équilibre entre trois choses: l’humour, le genre et le drame. Sur le tournage, on a souvent alterné entre une prise sobre et une autre plus déconnante. On a tenté différentes choses afin d’avoir la possibilité de choisir ce qui fonctionnait le mieux et permettait le meilleur dosage au moment du montage. Très vite, on a compris qu’il fallait que l’humour s’estompe de plus en plus au fil du film, pour aller vers quelque chose relevant davantage du drame. On ne voulait pas non plus passer pour des petits malins qui ne prennent pas leurs personnages au sérieux. »
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
L’année du requin
Afin d’accentuer encore l’ancrage du film dans la France profonde d’aujourd’hui, Ludovic et Zoran Boukherma ont fait le choix d’un casting mixant acteurs professionnels et non-professionnels, l’accent et l’authenticité de ces derniers finissant de faire de Teddy une expérience vraiment pas comme les autres. « Les comédiens non-professionnels ramènent des accidents dans le film. Avec eux, on est obligés de se laisser surprendre et d’ouvrir un peu nos attentes, parce que parfois il y a des répliques qui ne passent juste pas, donc on s’adapte. Et puis on n’est pas du genre à avoir des certitudes, donc forcément on essaie des choses, on tâtonne, on expérimente un peu. »
S’ils concèdent que Grave de Julia Ducournau a ouvert une brèche pour le cinéma de genre dans le paysage hexagonal contemporain, les deux frangins n’ont pas le sentiment de faire partie d’une quelconque génération ou famille de réalisateurs. « On aime bien faire notre truc dans notre coin, juste aller vers ce qui nous plaît sans trop nous soucier de ce qui se fait ou de ce qui marche en ce moment. Il est sans doute légitime de faire des parallèles avec d’autres cinéastes, parce qu’on se trouve dans le même pays à la même époque. Il y a forcément des choses qui sont dans l’air et qui font que certains films se ressemblent un peu. Mais il n’y a pas de cousinage voulu ou conscient de notre part, en tout cas. »
Démonstration encore avec leur nouveau projet de long métrage, L’Année du requin, qu’ils tourneront dès cet été dans le Bassin d’Arcachon, avec Marina Foïs, Kad Merad et Jean-Pascal Zadi au casting. Soit l’histoire d’une petite communauté de la côte landaise en alerte suite à la disparition d’un surfeur. Le premier véritable film de requin de l’Histoire du cinéma français? On demande à voir.
Teddy. De Ludovic et Zoran Boukherma. Avec Anthony Bajon, Christine Gautier, Noémie Lvovsky. 1h28. Sortie: 07/07. ****
Jeune acteur-caméléon vu chez Cédric Kahn (La Prière), Édouard Bergeon (Au nom de la terre) ou Hafsia Herzi (Tu mérites un amour), il déborde aujourd’hui de naturel et de mordant dans Teddy.
Que représente le cinéma de genre pour toi?
À la base, honnêtement, pas grand-chose. C’est-à-dire que je ne me suis jamais beaucoup intéressé aux productions de genre. Et j’étais d’autant plus heureux d’avoir l’opportunité d’être dirigé par des gars qui, eux, connaissent cet univers-là sur le bout des doigts. Ça m’a vraiment donné envie de creuser l’affaire, de me plonger dans les classiques.
Comment se passe un tournage en compagnie des frères Boukherma?
C’est très écrit, très carré, très cadré, mais dans ce petit cadre on a la possibilité de venir avec des propositions. Ils amènent à la fois quelque chose de très précis et de très libre, qui se ressent, je pense, à l’écran.
Travailler avec des acteurs non-professionnels représente-t-il une difficulté particulière?
C’est hyper formateur, hyper enrichissant, et c’est tout aussi bien voire mieux que de bosser avec des comédiens professionnels. Parce qu’on ne sait jamais comment on va nous renvoyer la balle. Ça oblige à rester constamment en éveil, à s’adapter, à être ouvert à tout ce qui se passe sur le plateau afin d’être capable de rebondir en toutes circonstances. Les acteurs non-professionnels incarnent la ruralité du film jusque dans leur façon de parler. Ils assoient son ancrage dans la région où l’on a tourné, du côté de Perpignan.
Si Teddy va parfois jusqu’à rappeler, dans sa dimension d’apprentissage, un certain Teen Wolf, kitschissime comédie fantastique du milieu des années 80 où Michael J. Fox incarnait un adolescent frustré se transformant en lycanthrope star du lycée, c’est au fond toute la grande tradition du film de loup-garou anglo-saxon qui est ici convoquée en sous-main. Apparu au cinéma dès 1913 dans un court métrage muet signé Henry MacRae et sobrement titré The Werewolf, le loup- garou fait le bonheur de la Universal dans les années 40 sous les traits de Lon Chaney Jr. Plusieurs incontournables suivront, comme The Curse of the Werewolf de Terence Fisher (1961) par exemple, avant que ce sous-genre horrifique ne connaisse son apogée au début des années 80 avec des classiques cultes comme An American Werewolf in London de John Landis (1981) ou The Howling de Joe Dante (1981 également).
De l’efficace Dog Soldiers de Neil Marshall (2002) au régressif WolfCop de Lowell Dean (2014), la bête a la peau dure sur les écrans, et s’adapte à tous les registres. Tout récemment encore, le mythe du loup-garou a aussi bien été revisité du côté du film auteuriste brésilien (Les Bonnes Manières de Juliana Rojas et Marco Dutra, 2018) que du cinéma d’animation pour enfants venu d’Australie (100% loup d’Alexs Stadermann, 2020), quand il ne réapparaît pas dans une ambiance à la Fargo chez Jim Cummings, génial réalisateur US de l’ovni indé Thunder Road, dans The Wolf of Snow Hollow (2020). De la franchise Twilight à la série True Blood, le loup-garou peuple enfin avec autant de poils que de sex-appeal les sagas teenage adeptes de créatures fantastiques fleur bleue.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici