P’tit Quinquin, quand le cinéma fait de la télé
Bruno Dumont dynamite la rentrée télévisée avec son formidable P’tit Quinquin. Et d’autres cinéastes font les beaux jours du petit écran…
L’événement de la rentrée cinématographique se situe cette année… à la télévision! La faute à Bruno Dumont, qui signe une mini-série géniale qu’Arte diffuse à partir du 18 septembre(1). P’tit Quinquin nous emmène dans le Boulonais, région du Nord de la France où le cinéaste aime tourner. Des enfants y tiennent la vedette, et un improbable flic philosophe y enquête sur des crimes aussi terrifiants que grotesques. Le tout sur fond de racisme ordinaire et de dérive fondamentaliste… Une comédie et un mystère policier, mais aussi une plongée hallucinée dans une France profonde qui a peur et fait peur. Avec, comme toujours chez Dumont, un sens de la forme que le cadre réduit de la télévision ne bride en aucune manière. La suite de meurtres y est à peine imaginable -des cadavres humains en morceaux étant retrouvés dans l’estomac de vaches! Mais la beauté des paysages filmés entre ciel et mer est souveraine. Et l’usage fait par Dumont d’un comique burlesque est saisissant, qui révèle mieux qu’aucun accent mélodramatique l’abîme tragique où se débat l’humain. Comme si Mocky et Dreyer avaient fait cause commune sous le regard perçant de Werner Herzog…
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Le projet intelligemment mais aussi audacieusement initié par Arte éclaire de belle manière le potentiel d’avenir qu’offre l’engagement de cinéastes majeurs dans le domaine de la série télévisée. La France n’ayant jusqu’ici pas joué les précurseurs en la matière, loin de là… C’est aux Etats-Unis, où les préjugés envers la télévision ne sont pas aussi tenaces, que furent célébrées originellement les noces souvent fécondes du grand et du petit écran. Le premier à franchir le pas étant Alfred Hitchcock (dès le milieu des années 50!) avec la série Alfred Hitchcock Presents. Vinrent ensuite et notamment David Lynch (Twin Peaks), Robert Altman (Tanner ’88) et Michael Mann (Crime Story), pour se limiter à ceux qui réalisèrent eux-mêmes des épisodes -voire la totalité d’entre eux- des séries en question.
Une actualité foisonnante
La réussite de P’tit Quinquin invitera-t-elle un cinéma français très « auteuriste » et d’un naturel méfiant, voire parfois méprisant, à revoir son dédain pour la télévision? Il serait temps! Car si Olivier Marchal est fort actif au petit écran (il y a créé les séries Flics et Braquo), si Olivier Assayas y a signé avec Carlos une mini-série de très haut niveau, et si Jean-Pierre Mocky a multiplié les expériences sur des chaînes à diffusion malheureusement limitée (13e rue, Canal Jimmy), les cinéastes français ne sont pas nombreux à se « mouiller », alors que les Américains se baignent volontiers dans les ondes analogiques et désormais numériques de « l’étrange lucarne », comme disait le Canard Enchaîné. David Fincher (House Of Cards), Martin Scorsese (Boardwalk Empire), Gus Van Sant (Boss), Steven Spielberg (Band Of Brothers, The Pacific) l’ont fait. Et une proche actualité séries portera les signatures de Spielberg (encore, avec The Extant), Guillermo Del Toro (Strain), M. Night Shyamalan (Wayward Pines) et Steven Soderbergh (The Knick). Côté français, Dominik Moll nous fait entrer dans un prometteur Tunnel et Xavier Durringer remonte à La Source. Ailleurs, Jane Campion nous invite au frissonnant Top Of The Lake, et Lars von Trier (qui fut un précurseur voici dix ans avec le passionnant L’Hôpital et ses fantômes) prépare une nouvelle série intitulée The House That Jack Built.
Côté belge, et via une production américaine, Michael R. Roskam pilote Buda Bridge Bitch sous l’autorité bienveillante d’un Michael Mann connaissant bien l’univers de la télé où il créa jadis Miami Vice. Et on rêve de voir ce qu’un Fabrice du Welz, par exemple, pourrait faire d’un projet de feuilleton policier à la True Detective…
- P’TIT QUINQUIN, 4 ÉPISODES DE 52 MINUTES CHACUN. PREMIÈRE DIFFUSION SUR ARTE LES 18 ET 25 SEPTEMBRE À 20 H 50, À RAISON DE 2 ÉPISODES PAR SOIRÉE.
2 questions à Bruno Dumont
LE GRAND CINÉASTE FRANCAIS (LA VIE DE JÉSUS, L’HUMANITÉ, HADEWIJCH, CAMILLE CLAUDEL 1915) SIGNE POUR ARTE UNE MINI-SÉRIE EXTRAORDINAIRE.
Vous associez plusieurs genres (le policier, le comique, le « socio-politique »), et vous placez des enfants au centre du projet…
Le comique est une alternative dans la poussée naturelle du drame et réciproquement -aussi fallait-il y aller de concert. Tout est ainsi dans tout. Les enfants sont d’autres degrés moindres du monde adulte, aussi y avait-il là la possibilité d’y puiser un ressort romantique et lyrique face au désenchantement naturel et burlesque de l’existence humaine. Existence dont, pendant ce temps, l’enquête policière défonçait le clou.
P’tit Quinquin est à la fois plein d’humour et vertigineux, de ce vertige devant l’humanité que vous aimez provoquer dans vos films…
Le comique a une force d’expression redoutable et profonde au percement de la substance humaine. Et ce qui en fait le jus est, à mon sens, la duplicité de l’homme. L’explosion du rire désamorce ainsi l’ambivalence enfouie et concentrée dont nous sommes faits -et dont nous suintons. Le rire nous emporte très loin de la surface des choses et de l’existence où nous pavoisons, fort beaux et bons, serrés dans l’étau du principe de non-contradiction, toujours à la traîne d’une illusoire et vaine cohérence des choses: Boum, donc!
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