Mia-Hansen Love offre l’un des plus beaux rôles à Léa Seydoux avec Un beau matin

Sandra (Léa Seydoux) et Georg (Pascal Greggory): entre la fille et le père, une histoire d’amour et de vulnérabilité. © Les films pelléas
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Avec Un beau matin, Mia Hansen-Løve renoue avec la fibre intime de son cinéma, signant le portrait lumineux et sensible d’une jeune femme -Léa Seydoux, magnifique- tiraillée entre des sentiments contradictoires.

Venant après un Bergman Island modérément convaincant, Un beau matin a des allures de retour aux sources pour Mia Hansen-Løve, qui renoue là avec la fibre intime de ses premiers films, Le Père de mes enfants en particulier. La cinéaste y trace le portrait de Sandra, jeune mère élevant seule sa fille, et qui, alors même qu’elle est confrontée au déclin inexorable de son père frappé par la maladie, va retrouver un ami perdu de vue depuis longtemps, rencontre venue élargir son champ des possibles… “Le point de départ du film, c’est l’observation de la simultanéité de sentiments très opposés, explique la cinéaste, que l’on rencontre au lendemain de la présentation d’Un beau matin en ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs. C’est une expérience que j’ai faite, et dont je pense que chacun d’entre nous l’a connue au moins une fois dans sa vie, à savoir être confrontée en même temps au deuil et à la joie. Je suis passée par là, et j’ai voulu tenter de capturer ce moment et de lui trouver un sens. Et méditer sur la connexion qui peut s’établir entre une perte et une renaissance. Le père de Sandra ne meurt pas, mais le film n’en traite pas moins de la douleur.

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Georg, le père de Sandra, est atteint du syndrome de Benson, une maladie neurodégénérative privant bientôt de vision un homme ayant vécu jusque-là par et pour les livres. Une situation qui a été inspirée à Mia Hansen-Løve par la maladie dont a souffert son propre père quand il était encore en vie. Et de décrire un processus d’écriture douloureux mais non moins nécessaire: “Pour moi, il y a deux types de scénarios: ceux que je veux écrire et ceux que je dois écrire. Quand on écrit un scénario inspiré de moments douloureux de son existence, comme la perte de mon père dans mon cas, ça signifie revenir à ce que vous avez vécu et à ces émotions. Parfois, il serait peut-être plus simple d’avancer, sans regarder en arrière. Pour faire ce film, je suis retournée à l’hôpital où mon père avait été, il m’est arrivé de tourner dans sa chambre, ça m’a fait pleurer par moments, mais il fallait que je le fasse pour pouvoir dépasser ça. Faire des films est une quête pour moi, et une partie de ma quête consistait à traiter de cette maladie, pour essayer d’en retirer une signification.

Du personnel à l’universel

Histoire, sans doute, d’en atténuer la charge, la réalisatrice a veillé à établir une certaine distance, expliquant avoir écrit le personnage de Sandra en pensant à Léa Seydoux, qui trouve sans conteste dans Un beau matin l’un de ses plus beaux rôles. “C’est elle que j’avais en tête dès le début, tout comme j’avais Isabelle Huppert à l’esprit lorsque j’écrivais L’Avenir. Penser à Léa et au type de force, de vérité et d’émotions qu’elle pouvait apporter au personnage m’a grandement aidée à écrire cette histoire, à en trouver le courage en quelque sorte. Quand on s’attelle à écrire ce genre de scénario, pouvoir penser à des acteurs que l’on veut filmer est très utile, parce qu’on sait qu’ils vont vous emmener autre part. Le point de départ consistait en des expériences que j’avais vécues, mais je ne voulais pas les reproduire telles quelles cinématographiquement, j’aspirais aussi à connaître une expérience nouvelle. Tout en étant honnête vis-à-vis de ce que j’avais traversé, je tenais à le dépasser, ce que permettent les acteurs.” Pour autant, c’est dans la justesse avec laquelle il retrace son expérience que le film trouve une part de sa force, validant l’axiome voulant que la plus précise et personnelle l’histoire, le plus universel le propos. “C’est une conviction qui ne m’a jamais abandonnée, opine-t-elle. J’ai toujours été persuadée que je ne devais pas avoir peur d’être précise. L’universalité n’est pas quelque chose que l’on doit viser en écrivant. Il faut essayer d’être aussi sincère et honnête que possible par rapport à notre expérience personnelle. Plus on creuse profondément dans sa propre expérience, plus on a de chance de créer une histoire dans laquelle tout le monde puisse retrouver son propre vécu, bien qu’il ne soit pas exactement le même. Les émotions peuvent être les mêmes, alors que l’histoire est différente. Beaucoup de films se veulent génériques, et effacent les spécificités parce qu’ils visent l’universalité. Mais en fin de compte, ils ne sont que génériques. Certains trouvent d’autres moyens d’être universels, mais de mon côté, quand je fais mes films, je ne cherche pas à ce qu’ils aient l’air universels. Je veille à être très précise dans la façon dont j’inscris les personnages dans un monde particulier, que ce soit sur le plan social, professionnel ou même géographique. J’aime montrer dans mes films l’endroit où vivent les gens, et donner à ressentir l’espace autour d’eux, leur quartier. Dans ce film, je suis précise quand je mentionne les noms des différents hôpitaux par exemple. Je crois que ça donne une réalité, mais aussi une poésie au film qui contribuent, en tout cas je l’espère, à son universalité.”

Clément (Melvil Poupaud), Linn (Camille Leban Martins) et Sandra (Léa Seydoux): élargir le champ des possibles.
Clément (Melvil Poupaud), Linn (Camille Leban Martins) et Sandra (Léa Seydoux): élargir le champ des possibles. © Les films pelléas

Une consolation et une libération

Ce souci de précision, il ne s’arrête d’ailleurs pas qu’aux lieux, avec lesquels elle explique vouloir développer une certaine intimité, histoire de ne faire qu’une avec le cadre; il embrasse, dans le cas présent, jusqu’aux livres qui garnissent les rayons des bibliothèques du père de Sandra -écho, bien sûr, à son propre père, “un homme qui avait consacré toute sa vie à la pensée et aux livres”, la maladie n’en apparaissant que plus cruelle: “Les livres que l’on voit dans le film sont les siens. J’y ai trouvé une opportunité pour ressortir de la cave ceux qui s’y trouvaient encore. J’attache beaucoup d’importance aux livres dans mes films, ça me dérange toujours quand, au cinéma, les bibliothèques ont l’air fausses. Peut-être parce qu’étant la fille d’un professeur, j’y suis d’autant plus sensible.” Un détail qui fait sens, vie et cinéma semblant fusionner devant sa caméra. Si bien qu’Un beau matin, tant par le sentiment de vérité qui en émane que par les émotions qu’il convoque, semble devoir s’adresser à chaque spectateur.

Quant à savoir ce qu’elle a trouvé à l’issue de sa quête?Pour moi, faire des films est une consolation, observe-t-elle. Et j’espère que ça puisse en être une pour d’autres gens également. Une fois un film terminé, il faut lui laisser vivre sa propre existence, il ne m’appartient plus, en un sens. Mais la consolation vient de l’existence même du film, et du fait qu’il essaie de garder une trace de celui qu’était mon père et de sa présence. J’y parle du personnage du père mais aussi d’une histoire d’amour qui est aussi intime et a autant d’importance à mes yeux. Le fait d’avoir tourné un film essayant de montrer le lien entre les deux constitue une consolation parce que ça peut m’aider à mieux comprendre ma propre vie. Mais la vraie consolation, celle qui donne sa signification à l’ensemble quand on est une réalisatrice, c’est le fait même de faire le film. Le fait d’être retournée dans certains lieux était douloureux, mais c’était aussi un jeu. Il faut assumer qu’il y a dans le processus une part de joie, quelque chose d’enfantin, comme lorsque les enfants imaginent des histoires effrayantes avec un effet cathartique. Il y a quelque chose du même ordre qui découle du fait de rejouer ces scènes, de repasser par elles mais avec des acteurs qui amènent l’histoire ailleurs en apportant leur propre personnalité, leur présence, leur voix. Au bout du compte, ce n’est plus moi, mais une fiction. Je ne me vois pas moi-même quand je regarde Léa dans le film, mais bien Sandra, qui est le fruit de notre rencontre, Léa et moi. C’est une réinvention, un déplacement vers un ailleurs qui en fait quelque chose de différent. Et cette transformation apporte une libération.

Du côté de Rohmer

Melvil Poupaud n’en finit plus de squatter les écrans, puisqu’en plus de la série OVNI(s), on a pu le voir ces derniers mois chez Carine Tardieu pour Les Jeunes Amants, Arnaud Desplechin pour Frère et sœur et Santiago Mitre pour Petite fleur, auxquels vient s’ajouter Un beau matin de Mia Hansen-Løve. L’acteur y campe Clément, l’ami réapparaissant soudainement dans la vie de Sandra, et apportant au film son contrepoint lumineux face au drame qui frappe la jeune femme. Entre le comédien et la réalisatrice de L’Avenir, le rendez-vous était pour ainsi dire programmé, comme Poupaud en convenait à l’occasion du Festival du film de Bruxelles. “Quand j’ai vu son premier film, l’histoire de cette jeune fille avec son père (Tout est pardonné), ça m’avait vachement touché. J’y ai vu une espèce de tradition de cinéma à quelle j’avais déjà participé, Rohmer, des trucs comme ça, et aussi beaucoup de finesse, quelque chose de très sensible, très fin. Et pour ce film, j’ai senti pareil: très autobiographique mais quand même très cinématographique, avec une vraie maîtrise du cadre et de la mise en scène. Et tout à coup, au détour d’une scène, d’une réplique ou d’un geste, on est ému par cette histoire sans avoir vu venir la construction. On a l’impression d’être dans la vie, qu’on nous raconte une histoire très simple, très quotidienne, très réaliste sans être naturaliste, et puis, le cinéma et sa mise en scène ont ce pouvoir d’émouvoir avec très peu de moyens.

Melvil Poupaud concède avoir craint “un côté trop prince charmant” à son rôle, assorti d’une présence en demi-teinte, pour se voir démenti à l’arrivée. Et d’en revenir à Rohmer, avec qui il tournait Un conte d’été il y a un quart de siècle déjà: “Là aussi, j’avais peur que ce soit trop “light”, alors qu’en fait, c’est beaucoup plus que ça. Et Mia, elle a un côté Rohmer dans sa mise en scène et son rapport à la réalité qui est stylisée grâce au cinéma. Rohmer, c’était plus stylisé, même la façon de parler des acteurs, il y avait un ton. Mia a son style, mais je ne sais pas si elle en est au niveau de Rohmer, qui était capable d’inventer même des typologies de personnages rohmériens. Qu’est-ce que ça donnerait comme adjectif d’ailleurs, “hansenløvien”? On n’en est pas encore là, mais elle a sa patte.” Melvil Poupaud aussi, dont le parcours se poursuit fidèle à un tropisme “auteur”: “La carrière d’un acteur, c’est beaucoup le hasard, le destin. Les choix, on les fait en fonction de ce qu’on nous propose. La notion de choix et de carrière, c’est toujours un peu ambigu. Ma mère était attachée de presse de films d’auteurs, très cinéphile, amie avec des intellectuels du cinéma, des critiques, des réalisateurs, donc j’ai été élevé dans cette idée de l’art et essai. Et puis, avec Raúl Ruiz, j’étais en plein dedans. Et comme il m’a beaucoup engagé, c’est devenu normal pour moi de faire ce genre de films.” Une ligne qui, de Dolan en Ozon, lui a assurément réussi…

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