Critique | Cinéma

Lise Akoka (Les Pires) : « L’idée était d’interroger notre légitimité en tant que réalisatrices »

3,5 / 5
Les Pires a été tourné dans le quartier défavorisé du Chemin Vert (rebaptisé cité Picasso pour les besoins du film) à Boulogne-sur-Mer, qui offre un étonnant mélange de vieilles barres HLM, de couleurs vives et de lumière de bord de mer. © National
3,5 / 5

Titre - Les Pires

Genre - Comédie dramatique

Réalisateur-trice - Lise Akoka et Romane Gueret

Casting - Mallory Wanecque, Timéo Mahaut, Johan Heldenbergh

Durée - 1h39

Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

En tandem avec Romane Gueret, Lise Akoka signe un étonnant premier film “méta” sur une cité du nord de la France où le cinéma et la vie jouent au chat et à la souris.

Dans leur court métrage Chasse royale, en 2016, Lise Akoka et Romane Gueret mettaient déjà en scène un casting sauvage en milieu populaire: Angélique, 13 ans, aînée bulldozer d’une famille nombreuse de la banlieue de Valenciennes, y entrevoyait brièvement la possibilité de s’extraire de son quotidien morose le temps d’un tournage de cinéma dont les portes finissaient par se refermer devant elle (le film est visible sur YouTube). Les Pires, leur premier long métrage, en est aujourd’hui l’évidente prolongation. Ne se contentant plus du simple moment du casting, il raconte aussi, cette fois, le tournage qui s’ensuit. Ce dernier se déroule au cœur de la cité Picasso, dans le Pas-de-Calais, à Boulogne-sur-Mer. Quatre ados du coin sont choisis pour jouer dans le film: Lily, Ryan, Maylis et Jessy. Dans le quartier, on s’interroge: pourquoi n’avoir pris que “les pires”?

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Couronné du prix Un Certain Regard à Cannes en mai dernier, Les Pires adopte la forme d’un surprenant objet “méta”, le tournage dans le tournage permettant à Lise Akoka et Romane Gueret de multiplier les registres sur lesquels elles jouent tout en semblant constamment chercher à questionner leur propre légitimité et leur propre sincérité à faire un film comme celui-là. De passage à Namur début octobre pour le Festival International du Film Francophone, Lise Akoka s’explique: “Notre sincérité, peut-être pas. Parce qu’on s’est toujours senties vraiment très sincères et bienveillantes dans notre envie et notre démarche de faire ce film. Mais oui, l’idée, c’était en tout cas vraiment d’interroger notre légitimité en tant que réalisatrices. Avec Romane, on était directrices de castings et coachs d’enfants avant de nous lancer dans la réalisation. Ce qui veut dire que l’un des points de départ décisifs de notre travail découle de l’observation répétée des pratiques d’autres cinéastes sur des plateaux de tournage et de situations impliquant des enfants qui nous ont interrogées, voire même parfois plongées dans de véritables dilemmes moraux. On a eu envie de questionner cette place qui est quand même très particulière de l’artiste adulte face à des enfants qui n’ont bien souvent rien demandé, qu’on vient chercher et qu’on extrait de leur vie quotidienne pour un moment qui ne ressemble plus du tout à la réalité et puis qui s’arrête brutalement après quelques semaines. Qu’est-ce que ça fait naître comme rêves? Comme désirs? À quel endroit c’est violent aussi? Et puis nous, en tant que réalisatrices, comment fait-on avec toutes ces questions une fois qu’on est soi-même aux commandes?

© National

Équilibre fragile

Ce que le film interroge également par la bande, c’est la fascination d’un certain cinéma d’auteur pour les milieux populaires. À travers sa dimension “méta”, Les Pires pose ainsi la question délicate de l’instrumentalisation de la misère des gens par l’art. “Oui, et cette question se noue autour du personnage du réalisateur dans le film (joué par l’acteur belge Johan Heldenbergh, NDLR), avec lequel on est dans un équilibre particulièrement fragile. À savoir qu’il ne faut pas qu’il soit antipathique, mais ce n’est pas non plus un ange, loin de là. Il a un côté “tout pour son art”, c’est clair, mais ce n’est pas non plus un salaud total. On aime l’idée d’amener les spectateurs à osciller entre un sentiment et son contraire. C’est l’un des gros sujets du film: celui du regard qu’on vient plaquer sur un milieu quand on provient d’un monde qui n’est pas celui qu’on filme. Et la responsabilité qu’il y a parfois vis-à-vis des enfants à leur faire rejouer, par le biais de la fiction, leurs traumas ou leurs souffrances dans un cadre qui n’est pas un cadre thérapeutique mais qui relève de quelque chose de beaucoup plus intuitif et chaotique. Avec le risque de venir réveiller des choses qu’on n’est pas capables de prendre en charge après.

Brouillant parfois singulièrement les pistes entre le vrai et le faux, la vie et le cinéma, Les Pires n’en est pas moins un pur film de fiction. Lise Akoka insiste beaucoup là-dessus: “Oui, on tient vraiment à dire que tout est très écrit, que tous les enfants ont appris leur texte à la virgule près et que ce sont donc de vrais acteurs, qu’ils ont ce talent-là. Parce qu’on n’a pas envie que les gens puissent croire qu’on est allées leur voler des choses. Et si le film pose un regard critique sur le cinéma, c’est aussi une vraie déclaration d’amour à son encontre. En ce sens que le cinéma peut parfois venir créer un espace de libération émotionnelle qui va se révéler hyper salvateur pour les enfants, qu’il va devenir un vecteur d’expression très fort pour eux. Dans Les Pires, on assiste notamment à la naissance d’une vocation à travers le personnage de Lily. À l’écran, elle touche à l’envie de devenir actrice. On sent qu’elle est comme une comédienne-née, qu’elle est comme un poisson dans l’eau dans ce milieu. Et c’est drôle, parce que c’est vraiment aussi ce qui se joue aujourd’hui pour Mallory, la jeune fille qui joue Lily, puisque Les Pires a été sa première expérience de tournage et que ça été hyper révélateur pour elle. C’est-à-dire qu’elle n’avait jamais pensé faire du cinéma. On l’a trouvée devant son collège en mode casting sauvage. Et après Cannes en mai dernier, elle a eu envie de continuer. Elle a passé des castings et elle a déjà décroché deux rôles. Alors que c’est une fille qui a toujours connu l’échec à l’école. Et là, elle a la rage et le plaisir à jouer. Elle bosse, apprend ses textes sans problème. Et ça, c’est super beau à voir. Simplement quelqu’un qui découvre quelque chose qu’il aime et qui se donne les moyens pour aller plus loin.

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