Critique | Cinéma

« Les Feuilles mortes »: le désespoir poli et délicat d’Aki Kaurismäki

4,5 / 5
© Sputnik
4,5 / 5

Titre - Les Feuilles mortes (Fallen Leaves)

Genre - Comédie dramatique

Réalisateur-trice - Aki Kaurismäki

Casting - Avec Alma Pöysti, Jussi Vatanen, Nuppu Koivu

Sortie - En salles le 1er novembre 2023

Durée - 1 h 21

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Aki Kaurismäki orchestre la rencontre douce-amère entre deux individus cabossés par la vie. Un pur bijou de poésie et de mélancolie.

Six ans séparent The Other Side of Hope de Fallen Leaves (Les Feuilles mortes en VF), les deux derniers opus d’Aki Kaurismäki. Pour autant, c’est comme si rien n’avait changé dans le monde du cinéaste finlandais, qui continue à délivrer, dans son style immuable, des films s’apparentant à autant de bulles de poésie et de mélancolie à même d’atténuer la grisaille alentour. Une scène, laconique, lui suffit, du reste, à poser les contours de son univers: elle se déroule dans un supermarché, celui où officie Ansa (Alma Pöysti), sous le regard peu amène du cerbère de service. On devine l’issue funeste, qui intervient lorsqu’elle est virée sans ménagement pour avoir récupéré un morceau de viande avariée, victime collatérale de la machine à broyer capitaliste, sa seule dignité à opposer aux fâcheux. Soit peu ou prou le sort qui attend Holappa (Jussi Vatanen), soudeur qu’un accident de travail dû à la vétusté du matériel envoie rejoindre les rangs des sans-emploi sous prétexte qu’il avait bu…

Ces deux-là sont appelés à se rencontrer. Une séance de The Dead Don’t Die, de Jim Jarmusch -“ça m’a fait penser à Journal d’un curé de campagne, de Bresson”, relèvera un spectateur- leur en offre l’occasion. Avant qu’un méchant tour du destin ne les sépare à nouveau: à peine celle dont il ignore jusqu’au nom lui a-t-elle donné son numéro de téléphone qu’Holappa égare le précieux bout de papier. Et d’être rendus à leur solitude, imbibée ou non, dans la nuit d’Helsinki…

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Trilogie prolétarienne

Aki Kaurismäki compte, à l’instar de Roy Andersson ou de Paolo Sorrentino, parmi ces cinéastes à l’univers immédiatement identifiable, postulat vérifié de Au loin s’en vont les nuages à Le Havre en passant par L’Homme sans passé. Les Feuilles mortes ne déroge pas à la règle qui, de ses aplats de couleurs tristes à son humour un brin désabusé, sans même parler d’un laconisme lui tenant lieu de principe cardinal et de la rigueur minimaliste de sa mise en scène, porte la marque de son auteur. Le réalisateur y témoigne encore de son humanité coutumière, le regard attentif à ceux que l’existence n’a pas ménagés, individus cabossés soudés par une solidarité des humbles -le film est, du reste, le quatrième volet (sic) de sa trilogie prolétarienne composée d’Ombres au paradis, Ariel et La Fille aux allumettes.

Parsemant encore son propos de touches de poésie et d’échantillons d’humour à froid, Kaurismäki a le désespoir poli. Le trait délicat aussi: si ces Feuilles mortes tombent dans un environnement globalement déprimant -l’agression russe contre l’Ukraine en constitue l’arrière-plan radiophonique répété jusqu’à l’absurde-, il veille à ménager une porte de sortie à ses personnages, convoquant Les Temps modernes pour ponctuer le mélodrame sur une touche lumineuse. On en reste ébloui…

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