Critique

[Le film de la semaine] The Other Side of Hope, d’Aki Kaurismäki

© Malla Hukkanen
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

DRAME | Aki Kaurismäki compte parmi ces cinéastes dont chaque plan vaut, pour ainsi dire, signature.

Faisant suite à Le Havre dans sa « trilogie des ports », The Other Side of Hope ne fait pas exception à la règle, qui adopte les couleurs passées, le minimalisme stylisé et le laconisme à consonance burlesque dont le réalisateur finlandais est coutumier. Pour autant, et si l’on croise encore là des figures familières de son cinéma, rockers défraîchis et autres voyous patibulaires notamment, ce nouveau film traduit une évolution sensible, pour se révéler plus ouvertement politique que ses prédécesseurs, sans que l’auteur y sacrifie pour autant sa poésie ni son sens du décalage. Kaurismäki ne s’en cache d’ailleurs pas, qui écrit dans sa note d’intention: « Avec ce film, je tente de mon mieux de briser le point de vue européen sur les réfugiés considérés tantôt comme des victimes objets de notre apitoiement, tantôt comme des réfugiés économiques qui avec insolence veulent prendre notre travail, nos femmes, nos logements et nos voitures. La création et le développement de nos préjugés en stéréotypes ont une sombre résonance dans l’histoire de l’Europe. L’autre côté de l’espoir est, je l’avoue volontiers, un film qui tend dans une certaine mesure et sans scrupules à influer sur l’opinion du spectateur et essaie de manipuler ses sentiments pour y parvenir. » En toute chose, il y a toutefois la manière, et celle du réalisateur de L’Homme sans passé est assurément inimitable, mélange encore de délicatesse, d’humour et de mélancolie.

[Le film de la semaine] The Other Side of Hope, d'Aki Kaurismäki

The Other Side of Hope s’ouvre alors que Khaled (Sherwan Haji), un jeune réfugié syrien, émerge d’un tas de charbon sur un cargo en rade de Helsinki, afin de demander l’asile sans aller jusqu’à se bercer d’illusions. Le « Welcome » que lui adresse un fonctionnaire est d’ailleurs bien vite démenti par les faits, qui expédient Khaled dans un centre inhospitalier, avant de subir un interrogatoire serré des services de l’immigration et un tabassage en règle de représentants de l’extrême droite locale. Mais si la suite est écrite dans l’encre du rejet et du repli sur soi, la route du jeune homme va croiser celle de Wikström (Sakari Kuosmanen), représentant en chemises et cravates venant de quitter, sans plus d’explications, sa femme alcoolique. Et qui, après s’être refait une santé financière au poker, a décidé d’investir dans un restaurant morose, le Golden Pint (un temps rebaptisé Imperial Sushi, tout un programme), où il va bientôt accueillir Khaled, en délicatesse avec l’administration…

Comme souvent chez Kaurismäki, le récit trouve sa force dans sa simplicité. Croisant ces deux destins contrariés, The Other Side of Hope enclenche une mécanique généreuse, se plaçant résolument du côté des humbles pour affirmer sa foi dans une solidarité réinventée. Si le propos du cinéaste est assurément politique, il a aussi l’élégance de ne rien marteler, pour laisser ses personnages, forts de leur dignité, évoluer dans un environnement dont la grisaille se brouille de poésie et d’humour à froid -politesse ultime d’un désespoir que Kaurismäki se plaît à déjouer à grand renfort d’humanité. Un film magnifique.

D’Aki Kaurismäki. Avec Sherwan Haji, Sakari Kuosmanen, IIkka Koivula. 1h38. Sortie: 22/03. ****(*)

>> Lire notre interview d’Aki Kaurismäki dans le Focus du 24 mars.

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