La soif de vivre: rencontre avec Mads Mikkelsen pour le film Drunk

Mads Mikkelsen, il est des nôtres!
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Huit ans après La chasse, Mads Mikkelsen retrouve Thomas Vinterberg pour Drunk (Another Round), dans lequel quatre professeurs à la croisée des chemins se lancent dans une expérience éthylique afin de redonner des couleurs à leur existence.

MISE À JOUR

La sortie du film a été reporté à une date indéfinie. Voici le communiqué du distributeur:

« C’est avec une énorme tristesse que je dois vous annoncer que nous ne sortirons plus DRUNK le 28 octobre. Je sais que cette décision est prise à la dernière minute et in extremis, mais vu la décision du gouvernement flamand de fermer les cinémas, nous n’avons pas d’autre option d’annuler la sortie du film demain. »

Conséquence inattendue du Covid-19, c’est par Zoom que l’on rencontre Mads Mikkelsen, une mosaïque numérique tenant lieu de table ronde pour le comédien et la poignée de journalistes réunis le temps d’un « junket » virtuel, dispositif appelé à faire école au train où vont les choses. Si les conditions sont objectivement étranges, l’acteur a tôt fait de briser la glace, la conversation s’engageant comme si de rien n’était autour de Drunk (Another Round, dans une appellation alternative), le nouveau film de Thomas Vinterberg, qu’il retrouve huit ans après La Chasse, film qui lui avait valu le prix d’interprétation à Cannes.

Révélé au milieu des années 90 par Festen, le film-manifeste du mouvement Dogma, le réalisateur a suivi depuis un parcours en deux temps, aux projets internationaux (It’s All About Love, Far from the Madding Crowd…) répondant les films tournés dans son Danemark natal. Ainsi aujourd’hui de Drunk qui, à l’instar de La Chasse et Kollektivet, s’inscrit dans une petite communauté, et s’attache plus précisément à un groupe de quatre professeurs du secondaire affichant qui la quarantaine, qui la cinquantaine lasses. Lesquels, pour tenter de retrouver le goût de l’existence, vont se lancer dans une expérience inédite: mettre à l’épreuve des faits les théories du psychiatre norvégien Finn Skårderud soutenant que l’homme naît avec un déficit d’alcool dans le sang qu’il y aurait lieu de résorber pour s’épanouir pleinement. À charge donc pour ces cobayes consentants d’établir graduellement le niveau idéal d’éthylisme, libations à l’appui. Ce qui, l’on s’en doute, n’ira pas sans conséquences les dépassant bientôt…

Un hommage à la vie

Sans surprise, Mads Mikkelsen excelle sous les traits de l’un d’eux, Martin, un prof d’histoire semblant avoir égaré son désir de vivre, et enfermé dans les replis d’une routine sans relief minant aussi bien son couple et ses enfants que sa vie professionnelle. « Une chose que j’ai trouvé cool, c’est que voilà un homme dont le train a quitté le quai, il se trouve à mi-parcours dans la vie réelle, mais il réussit à se retourner pour commencer à apprécier la vie qu’il a. Il y a une raison qui a fait de lui un bon professeur à un moment, et il la retrouve. Et une raison pour laquelle il a aimé sa femme, et il la retrouve. Il renoue avec son appétit pour l’existence, et cela non en se projetant au loin, mais en observant le présent. C’est un développement magnifique pour un personnage sur le point de perdre pied. »

La soif de vivre: rencontre avec Mads Mikkelsen pour le film Drunk

L’instrument de cette sortie de crise intime, c’est donc l’alcool, dont la consommation produit, dans un premier temps en tout cas, les effets désinhibants et libérateurs escomptés. Mais si pendant un temps Drunk en a été envisagé comme la célébration, le propos s’est quelque peu nuancé en cours de projet: « Le film reste une célébration par moments, et présente un côté plus moral à d’autres. Mais nous avons veillé à n’être ni trop festifs ni trop moraux, relève Mikkelsen, nous avons voulu nous projeter dans cette expérience. Le courant souterrain qui irrigue le propos reste une ode à la vie, capturer la vie tant qu’on l’a, parce qu’on n’en aura sans doute qu’une. C’était l’aspect le plus intéressant de toute cette histoire. » Sentiment encore accru par un drame survenu au tout début du tournage, la disparition à 19 ans, dans un accident de la route, d’Ida, la fille du réalisateur -« un désastre personnel pour lui et sa famille, à tous les points de vue, et un désastre pour nous, à un niveau différent. C’est aussi, sans doute, l’une des raisons pour lesquelles l’histoire a sensiblement évolué. Faire un film n’avait plus tellement d’importance. Ce qui comptait pour Thomas et pour nous aussi, c’était qu’Ida en soit fière. Elle adorait cette histoire, inspirée de certaines de ses expériences à l’école, et nous avons voulu rendre hommage à la vie pour la rendre fière. »

Mission accomplie, Drunk ayant des vertus hautement euphorisantes. Et dépassant, ce faisant, la seule apologie de la boisson qu’il n’est d’ailleurs pas, en posant les limites -« Certaines choses se passent fort bien, d’autres beaucoup moins« , observe-t-il, lucidement- non sans travailler aussi un nerf sensible et questionner les choix que nous dicte l’existence. Cela, sans se détourner de son cap initial, cette expérience éthylique qui aurait le don d’élargir le champ de la perception.

Les différents stades de l’ivresse

Jouer un ivrogne n’est pas chose aisée, c’est bien connu, en quoi les comédiens ont été servis, qui ont dû reproduire les stades successifs de l’ivresse. « Sur le plateau, ce sont des acteurs qui jouent. Mais auparavant, nous avons fait des expériences, et testé les niveaux 0,5, 0,8 et 1,2 pour vérifier l’effet produit sur notre élocution et nos mouvements. C’était amusant, et inspirant, mais nous avons laissé cela de côté une fois que nous avons commencé à tourner. Il m’est déjà arrivé, il y a longtemps, de jouer un peu éméché, et c’était OK. Mais le problème, c’est qu’on a tendance à s’enfoncer dans son petit monde, et à ne plus nécessairement pouvoir réagir aux indications des autres. Je ne le recommanderais pas, parce que cela part dans trop de directions, alors qu’il y a lieu de s’en tenir à une seule sur laquelle se concentrer. » Quant à jouer l’ébriété en étant sobre? « C’est un test. Un secret, c’est que quand on a un peu trop bu, on va se concentrer pour donner l’air de ne pas avoir bu du tout, on est totalement focalisé sur le fait de ne pas avoir l’air bourré. C’est l’un des trucs: il faut être un peu trop lent, un peu trop précis en se déplaçant. Le stade suivant, que l’on voit également dans le film, quand cela bascule dans la folie, est plus bizarre encore. Nous avons dû aller chercher sur YouTube des vidéos russes où l’on voit « the real stuff », c’était hilarant, une véritable inspiration… » Et de préciser: « Quand on est soûl au point d’en tomber, ce qui arrive croyez-moi, on n’en a pas conscience. Ce qui signifie que l’on n’utilise pas ses mains pour tenter de se protéger, et l’on chute face contre sol. Nous avons dû trouver le moyen pour arriver à le faire et que l’on se dise « My god, qu’est-ce qu’ils tiennent! », parce que si les mains apparaissent au dernier moment, c’est que vous n’êtes pas soûl. »

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L’ivresse, le sujet est virtuellement inépuisable. Et l’on pourrait encore épiloguer longuement, par exemple, sur la place occupée par l’alcool dans la culture danoise, encore qu’il n’y ait là rien d’exclusif. « Je me souviens qu’enfant, lorsque des adultes partaient travailler, ils revenaient régulièrement soûls, ils avaient picolé au boulot, ce qui semble étonnant aujourd’hui, les choses ont changé, heureusement. Mais cela n’est pas propre au Danemark, c’est vrai aussi de la Belgique, de l’Allemagne ou de l’Italie, dans diverses cultures. On recourt à la boisson depuis des millénaires pour ouvrir les conversations, être plus créatif, et cela peut aller trop loin, tout le monde le sait, mais ce n’était pas notre propos. » Voire encore aborder le rôle indirect de l’alcool dans l’Histoire, que le film croque d’ailleurs avec esprit, le temps, notamment, d’un test que soumet le prof éclairé à ses étudiants.

Le propos est plus vaste, cependant, où il serait plutôt question de recharger les batteries et de réapprendre à vivre dans une communauté réaffirmée. Proposition séduisante, que le film de Thomas Vinterberg formule dans une scène lumineuse s’envolant au rythme des entrechats d’un Mads Mikkelsen tout simplement époustouflant: « J’ai été danseur professionnel pendant dix ans, explique-t-il. J’étais gymnaste, j’ai participé à un spectacle comme acrobate, et on m’a proposé d’apprendre à danser, j’en ai fait mon métier pendant dix ans, de 18 à 28 ans. Pour cette scène, je ne voulais pas redevenir un danseur mais simplement connaître les pas, parce que 30 ans se sont passés depuis que je dansais, tout comme le personnage, et il était normal que tout cela soit un peu rouillé. Mais il fallait surtout que toutes les émotions qui étaient restées emballées pendant le film ressortent à travers cette danse, et qu’une note en devienne beaucoup de différentes. » Manière de reprendre de la hauteur pour libérer la soif de vivre…

Dixit Joann Sfar

La soif de vivre: rencontre avec Mads Mikkelsen pour le film Drunk

« Si mes films sont truffés de références à l’Histoire du cinéma, ce n’est pas que j’ai des envies de sale gosse, ce n’est pas que j’ai des envies de séries B, c’est que je souhaite tout simplement faire des films et des dessins animés qui ressemblent à ceux que je regarde. Or moi, je viens du cinéma fantastique, de la comédie, du film pour enfants, du film musical… Je ne connaissais même pas le mot « biopic » avant de faire Gainsbourg (Vie héroïque), et d’ailleurs j’avais le sentiment de faire un film musical. »

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