Critique | Cinéma

La Montagne: l’appel des sommets de Thomas Salvador

4,0 / 5
Thomas Salvador: “Je ne joue pas dans d’autres films que les miens. C’est juste que je ressens la nécessité de vivre et d’éprouver moi-même ce que mes films et mes personnages explorent.” © National
4,0 / 5

Titre - La Montagne

Genre - Drame fantastique

Réalisateur-trice - Thomas Salvador

Casting - Thomas Salvador, Louise Bourgoin, Martine Chevallier

Sortie - En salle le 1er février 2023.

Durée - 1 h 55

Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Thomas Salvador assoit le caractère profondément atypique de son cinéma avec La Montagne, un pur ovni où l’appel irrésistible des sommets vire au fantastique très doux.

Certains n’ont pas hésité à dire, au moment de la sortie de Vincent n’a pas d’écailles (2014), le premier long métrage de Thomas Salvador, qu’il s’agissait du premier véritable film de super-héros de l’Histoire du cinéma français. On aurait alors pu débattre longuement de la véracité ou non de cette affirmation, mais l’intérêt de la chose était avant tout ailleurs: dans sa radicale singularité au sein du paysage cinématographique hexagonal. Joué par Salvador lui-même, aux côtés notamment de Vimala Pons, le film mettait en effet en scène un trentenaire sans emploi quittant Paris pour aller tenter sa chance plus au sud, dans une région riche en lacs et en rivières. Là, il avait enfin le loisir d’apprivoiser en toute tranquillité son don extraordinaire, sa force et ses réflexes décuplant au contact de l’eau. “Moi, je n’ai en tout cas pas cessé de dire que ce n’était pas un film de super-héros, sourit Thomas Salvador alors qu’on le retrouve à Cannes en mai dernier. Parce que le super-héros traditionnel, étant américain, se sent une responsabilité envers la planète. Or moi, c’était un héros existentiel que je cherchais à mettre en scène, qui essayait de trouver sa place, son équilibre dans la vie. Il ne se sentait une responsabilité qu’envers lui-même et ses proches. Et il n’allait donc pas aller sauver des gens à l’autre bout du monde. Sans que ce soit égoïste pour autant, mais disons qu’il luttait plutôt pour sa survie propre.

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Neuf ans plus tard, Thomas Salvador refait surface avec un deuxième long métrage, La Montagne, qui l’impose encore un peu plus en total extraterrestre du cinéma d’auteur bleu-blanc-rouge. Récompensé du prix SACD à la Quinzaine cannoise l’an passé, ce nouveau film esquisse un trajet similaire entre la vie à la capitale et l’appel de la nature, entre le réel maussade et le fantastique qui affleure. Pierre (Thomas Salvador, toujours), ingénieur parisien, se rend dans les Alpes pour son travail. Irrésistiblement attiré par les cimes, il lâche tout, s’installe en bivouac en altitude et décide de ne plus redescendre. Là-haut, il fait la rencontre de Léa (Louise Bourgoin) et entre en contact avec de mystérieuses lueurs… “À 14 ans, je me suis fait offrir un abonnement au magazine Vertical et aussi à Alpinisme et Randonnée. Puis je me suis fait faire une carte de visite qui disait “Thomas Salvador, guide de haute montagne”. Et c’était comme une évidence. Plus tard, quand j’ai fait mon tout premier stage d’alpinisme, j’ai coché toutes les cases de perfectionnement. J’ai donc menti, j’ai fait croire que j’avais déjà tout fait et je me suis retrouvé dans un groupe de sportifs confirmés, mais ça restait quand même toujours comme une évidence pour moi. Je ne peux pas l’expliquer. Ce n’est pas du tout quelque chose qui était présent dans ma famille, à Paris, et pourtant ça a toujours été là, quelque part en moi. Et c’est quelque chose qu’on retrouve chez le protagoniste du film. On ne sait pas d’où lui vient cet irrésistible appel de la montagne, mais il s’impose à lui.

Vers les lueurs

Pur autodidacte n’ayant jamais fait d’études, Thomas Salvador a commencé à réaliser des courts métrages, sans rien connaître du milieu ni du métier, il y a plus de 25 ans. Là encore, c’était de l’ordre de l’évidence pour lui, et son désir n’a, depuis, jamais faibli. Adolescent, il chérissait le cinéma de David Cronenberg, de John Carpenter, de Dario Argento et de Jacques Tourneur. C’est donc tout naturellement que, dès ses débuts d’apprenti cinéaste, il intègre une part de fantastique à ses projets -à sa manière très personnelle, faite de silences, de lenteurs et de contemplation, d’un rapport au temps qui n’appartient qu’à lui.

Un retour à la nature qui se traduit par la naissance de nouvelles lueurs.

Dans La Montagne, cette dimension fantastique prend donc la forme d’énigmatiques lueurs, “créatures” venues d’ailleurs qui rappellent peut-être étonnamment, par leur douceur et leur bienveillance, celles d’un grand film américain de la fin des années 80: The Abyss de James Cameron. “J’adore ce film, opine Salvador. La découverte d’une autre forme de vivant est très belle chez Cameron. Dans The Abyss, on avait affaire à quelque chose d’extraterrestre. Chez moi, c’est quelque chose de plus primitif, je crois, qui était là avant l’homme et qu’on vient déranger en quelque sorte. Si je fais appel à un fantastique très doux dans La Montagne, c’est parce que le film traite du parcours initiatique d’un personnage qui fait une rébellion en douceur, qui s’extrait petit à petit du monde, de la société, parce qu’il en éprouve le besoin profond. Donc ça passe par l’alpinisme, mais ça répond surtout à une nécessité de s’écouter, de renouer avec une forme de paix, de justesse, d’être en accord avec ses désirs… Pierre fait une espèce de révolution personnelle mais que j’ai voulue très tendre parce qu’il est dans le réapprentissage de l’émerveillement, de la découverte, du temps présent… On a trop souvent tendance à croire que pour faire des films forts, il faut du choc et du fracas, mais moi je pense qu’on peut aussi toucher et impacter le spectateur autrement.

Organiques et minérales, proches d’une certaine forme de lave, ces lueurs ont été créées de manière artisanale, à l’aide d’une marionnettiste et d’un jeu aléatoire sur la diffraction de la lumière à travers des blocs de glace. “Par les lueurs, nous voilà traversés”, comme le chantait Dominique A. Et on en sort délicatement éblouis

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