Laurent Raphaël

Édito: La vérité si je mens

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

« Trump, VW, Panama Papers, dopage… Après le Carbonifère, le Crétacé et le Pliocène, serait-on entré dans l’ère géo(il)logique de la triche? »

L’exemple vient d’en haut, dit-on. Dans ce cas, on est mal barre… Entre un Donald Trump qui ment comme un arracheur de dents (au point que le Huffington Post a pris la décision de passer ses déclarations au détecteur de mensonges chaque fois qu’un article lui est consacré) et des banquiers américains qui ont accordé à tour de bras, et avec un sourire aguicheur, des crédits hypothécaires pourris (un sujet traité à hauteur de désespoir et de charognard dans le 99 Homes de Ramin Bahrani actuellement à l’affiche), c’est tissus de mensonges à tous les étages. A qui peut-on encore faire confiance de nos jours si même un constructeur automobile que l’on pensait au-dessus de tout soupçon car allemand -donc réputé puissant, sérieux et intègre-, VW pour ne pas le nommer, se met à traficoter ses moteurs diesel? Après le Carbonifère, le Crétacé et le Pliocène, serait-on entré dans l’ère géo(il)logique de la triche?

Trump, VW, Panama Papers, dopage… Serait-on entru0026#xE9; dans l’u0026#xE8;re gu0026#xE9;o(il)logique de la triche?

Où que le regard se porte, ce n’est en effet que petits arrangements avec la vérité. Seule la sémantique versatile atténue un peu le sentiment de duperie généralisée. Mais qu’on l’appelle dopage dans le sport (chimique avec l’EPO, mécanique avec ces moteurs planqués dans le cadre du vélo), évasion fiscale dans la (haute) finance, plagiat dans la littérature (ou le journalisme), c’est à chaque fois le même mécanisme aussi vieux que le monde (« Tu ne feras pas de faux témoignage », ordonne déjà le Neuvième commandement) de détournement des faits rien que les faits qui est à l’oeuvre. Pas besoin d’une grosse mystification à plusieurs zéros, type Panama Papers, pour se salir les mains. Une photo de soi avec 15 ans et autant de kilos en moins sur un site d’échanges c’est déjà tricher un peu… Dans notre monde gagné à la relativité (pas celle d’Einstein, l’autre), certaines entorses sont d’ailleurs tolérées, voire encouragées. Quand un magazine retouche allègrement la silhouette d’une actrice ou d’un mannequin pour sa couverture, il travestit la réalité sur l’autel du rêve et d’un idéal chimérique, incitant inconsciemment tout un chacun à faire pareil avec sa photo de profil sur Facebook. Comme quoi, un mensonge en appelle un autre.

Non loin de là, la publicité a d’ailleurs érigé l’imposture en art. C’est même son fonds de commerce et plus personne ou presque n’y trouve à redire. Qu’une banale limonade se fasse passer pour un puissant aphrodisiaque, qu’une bagnole promette des sensations orgasmiques rien qu’en tenant le volant, pas de souci, ça passe comme une vérité biblique dans un couvent. Signe des temps, des Sherlock Holmes de l’information tentent de débusquer les imposteurs. On passe les déclarations des uns et des autres au « fact checking » (vérification des chiffres balancés pour justifier tout et n’importe quoi), en particulier sur Internet, ce royaume ultime de la désinformation. Et en télé, des émissions traquent sans relâche les fossoyeurs de la vérité. Chaque jour dans le magazine 28 minutes sur Arte, la séquence Désintox désamorce ainsi un petit ou un gros parjure servi le matin même par un politicien adepte des raccourcis. La brigade ne manque pas de boulot tellement à gauche comme à droite, on se complait désormais dans le mensonge.

Pourquoi ce règne de l’entourloupe? Si tout le monde n’a pas comme Sacha Guitry dans Le Roman d’un Tricheur une bonne raison de devenir un menteur professionnel (à douze ans son personnage est le seul rescapé de la famille parce qu’il a été privé de dîner -des champignons vénéneux- pour avoir volé dans la caisse de l’épicerie paternelle), tout le monde est par contre censé aujourd’hui avoir réponse à tout dans l’instant, société numérique oblige. Entre le risque de passer pour un ignorant et celui, hypothétique, d’être confondu comme affabulateur, le calcul est vite fait. Cette pression, toute la pyramide sociale la subit. Avouer ne pas avoir vu les grands classiques du cinéma, c’est comme avouer un crime. L’édition a d’ailleurs surfé avec humour sur cette obsession en proposant des manuels pour, entre autres, apprendre à parler des livres qu’on n’a pas lus.

Plutôt que de chercher à réhabiliter la vérité, on s’applique à rendre le mensonge acceptable. A ce rythme, on fera bientôt la queue en enfer. Car tout le monde connait les paroles: « Croix de bois, croix de fer… » A moins que ce ne soit encore que des salades…

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