Critique | Cinéma

Drii Winter : L’ivresse des sommets

4 / 5
Marco (Simon Wisler) et Anna (Michèle Brand): corps-à-corps amoureux. © National
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Titre - Drii Winter

Genre - Drame

Réalisateur-trice - Michael Koch

Casting - Michèle Brand, Simon Wisler, Elin Zgraggen

Durée - 2h16

Michael Koch situe au cœur d’une nature imposante une histoire d’amour tragique dans un film conciliant lumineusement naturalisme et stylisation.

Présenté en compétition à la dernière Berlinale, Drii Winter, le deuxième long métrage du cinéaste suisse Michael Koch, devait y faire fort impression, repartant d’ailleurs avec une Mention spéciale du jury. Situé dans un village de montagne alpestre, le film raconte l’histoire d’amour naissante entre Anna, une jeune femme du cru, et Marco, un saisonnier venu de la vallée; une relation dont les contours idylliques se voilent bientôt à l’épreuve de la maladie. “Il y a quelques années, j’ai rencontré une jeune femme des montagnes qui m’a raconté l’histoire de son mari, qui avait dramatiquement changé suite à une tumeur au cerveau, explique le réalisateur, rencontré au festival de Gand. Elle s’était retrouvée dans une situation très spéciale, ayant aussi une petite fille, et étant tiraillée entre sa responsabilité vis-à-vis de l’enfant, et son désir d’être présente pour son mari. Son calme, mais aussi sa force intérieure m’ont donné envie d’écrire un scénario s’inspirant de son histoire. Je me suis demandé comment les gens des villes composaient avec ce genre de pathologies lourdes, comparé avec les habitants de la montagne, et leur plus grande acceptation des choses qu’ils ne peuvent pas contrôler. Une manière pour moi d’explorer l’impact que peut avoir une nature dégageant un tel sentiment de puissance sur ceux qui y vivent.” Ce souci, Drii Winter le traduit limpidement, Michael Koch ayant inscrit son film dans un environnement imposant, une nature dont la beauté et la force immuables invitent à l’humilité. Ce qu’a d’ailleurs eu tout loisir de vérifier l’équipe pendant les 70 jours, disséminés sur plusieurs saisons, qu’a duré le tournage. “Le décor a eu un impact considérable sur le film: on ne peut pas contrôler la météo, par exemple, et nous avons dû faire avec ce que la nature nous donnait. Ce qui pouvait d’ailleurs se révéler être un formidable cadeau, comme lors de la scène où les ballots de foin surgissent du néant, avant que le brouillard ne se dissipe. Il faut être prêt à capturer ce genre de moment, avoir du temps et être bien préparé, sans quoi l’on risque de n’avoir que des images déjà connues. Copier des clichés ne m’intéressait pas.

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Bollywood en Suisse

Les clichés, le film s’en écarte radicalement, par sa façon âpre d’appréhender son cadre, mais aussi par son approche naturaliste de la vie du village, dont il épouse le rythme comme les gestes. Une démarche soulignée par le recours exclusif à des acteurs non-professionnels, y compris pour les deux rôles principaux: “J’ai consacré plusieurs années à trouver non seulement le bon endroit, mais aussi les bons interprètes, dont je voulais qu’ils soient tous originaires de la même région, sourit Michael Koch. Il fallait rencontrer les gens, et nouer des relations pour pouvoir ensuite leur demander s’ils voulaient participer au film. Ils n’étaient pas particulièrement enthousiastes, et il m’a fallu les persuader. À l’exception de Michèle Brand, qui joue le rôle d’Anna: c’était la seule à avoir répondu à la petite annonce que j’avais placée dans un journal local.

Michael Koch
Michael Koch © National

Si cette approche quasi documentaire était essentielle à ses yeux, Michael Koch a toutefois veillé à lui opposer une stylisation formelle passant par l’emploi inspiré du plan-séquence comme par les interventions d’une chorale venue, à intervalles réguliers, commenter l’histoire (la musique occupe d’ailleurs une place prépondérante dans le film qui a obtenu le prix Georges Delerue du meilleur soundtrack à Gand). “J’ai voulu concilier ces approches formelle et documentaire, notamment pour donner une scène à ces non-professionnels. Cette combinaison m’a aussi intéressé parce qu’elle renforçait le lien avec la tragédie grecque, déjà induit par le sujet, et qu’a souligné la présence du chœur. ça m’a semblé d’autant plus pertinent qu’on en trouve un dans chaque petit village alpestre, et que ça permettait également de structurer l’histoire.” De cette articulation découle aussi le pouvoir de fascination d’un film d’une suffocante beauté qui, non content de travailler le spectateur en profondeur, ose de stimulants sentiers de traverse, et jusqu’à une scène bollywoodienne dont l’incongruité n’est que relative: “Pendant mes recherches, j’avais rencontré une équipe indienne en quête de décors pour un film bollywoodien. Je trouvais bien de doter cette histoire mélodramatique de quelques couleurs, et ça me permettrait d’introduire un élément de contraste par rapport à la situation d’Anna à ce moment, tout en jouant avec l’imagerie cliché d’un couple amoureux.” Touché…

Drii Winter

Inscrit dans une nature d’une grâce et d’une puissance souveraines, Drii Winter relate les amours d’Anna, fille-mère d’un village reculé des massifs alpestres, et Marco, un ouvrier saisonnier engagé par les rares fermiers du coin pour divers travaux. Et de connaître un bonheur simple et sans nuage s’étirant au fil des saisons, jusqu’au jour où une tumeur au cerveau frappe le jeune homme, désormais incapable de contrôler ses pulsions, leur couple se voyant mis à l’épreuve d’un mal incurable. De leur histoire, le cinéaste suisse Michael Koch tire un film fascinant, saluant tout à la fois un environnement naturel d’une coupante beauté et un mode de vie immuable, dans une démarche contemplative dont il transcende le naturalisme -les acteurs sont tous des non-professionnels- par la grâce notamment d’une chorale apportant un contrepoint décalé et inspiré au drame austère en train de se nouer, tout en achevant de l’inscrire hors du temps. Magique.

De Michael Koch. Avec Michèle Brand, Simon Wisler, Elin Zgraggen. 2 h 17. Sortie: 09/11. 8

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