
Dans Babygirl, Nicole Kidman relance le thriller érotique
Dans le provocant Babygirl de la réalisatrice néerlandaise Halina Reijn, Nicole Kidman incarne une PDG qui entame une relation torride avec un stagiaire beaucoup plus jeune. Le thriller érotique est relancé!
Dans sa première vie, Halina Reijn a conquis les Pays-Bas et la Flandre en interprétant de grands rôles au théâtre. Dans la seconde, elle est réalisatrice, basée à New York, et réinvente le genre du thriller érotique à la Basic Instinct. Dans le sensationnel Babygirl, qui a valu à Nicole Kidman le prix de la meilleure actrice au Festival de Venise, elle explore les thématiques de la sexualité féminine, du pouvoir, du contrôle et du franchissement des limites, qu’elle avait déjà abordées dans son premier film Instinct, avec Carice van Houten, mais aussi dans sa série sur le milieu de la prostitution Red Light et dans le slasher Bodies Bodies Bodies.
Existe-t-il un lien entre votre carrière théâtrale et les films et séries que vous réalisez?
Mon tout premier rôle au théâtre, quand j’étais encore étudiante, c’était Ophélie dans Hamlet. Au début de la pièce, Ophélie est une jeune fille vierge saine, joviale, sans souci, et cinq scènes plus tard, c’est une psychotique qui se noie dans une rivière. Ensuite, il y a eu Marie Stuart, La Mégère apprivoisée, Hedda Gabler, Nora dans Une maison de poupée, La Voix humaine… Chaque fois des personnages féminins qui aspirent à la liberté mais ne l’obtiennent pas. Elles finissent par devenir folles ou par se tuer en sautant par une fenêtre ou en s’étranglant avec le cordon du téléphone. Tous ces rôles sont en moi, profondément ancrés. Mes films et la série Red Light sont mon exorcisme, mon règlement de comptes avec ces personnages et les hommes qui ont écrit toutes ces pièces.
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On parle ici de Shakespeare, d’Ibsen, de Cocteau…
Ce sont des auteurs que j’admire profondément! Je me tiens sur les épaules des géants du théâtre classique. Ils m’ont appris à écrire et j’ai travaillé avec des metteurs en scène qui étaient des génies… dans une autre époque. C’était important pour moi de m’émanciper: essayer de passer de muse -un mot que je déteste- à maîtresse (de l’art). Je suis encore loin du compte, mais c’est ce que j’espère atteindre, à 80 ans peut-être (rires). Je garde un grand attachement à mon passé théâtral. Tous ceux qui me connaissaient avant que je débarque à New York voient que Babygirl regorge de références au théâtre.
A Venise, Nicole Kidman a décrit Babygirl comme un film «libérateur».
Je fais semblant de créer un film sur le sexe, mais il traite en fait d’une femme en pleine crise existentielle. Une crise classique de la quarantaine, de laquelle Romy (NDLR: le personnage de Nicole Kidman) veut sortir, par tous les moyens, bons ou mauvais. Elle met tout en jeu: son mariage, sa famille, sa réputation, son entreprise. Ça fait aussi partie de son excitation. C’est extrême, mais à la fin, on entrevoit une lueur d’amour et d’acceptation de soi, et ça semble libérateur. Certaines scènes peuvent paraître provocantes, mais au final, ce que je dis avec ce film, c’est que nous nous vivons à une époque où le consentement est essentiel, et c’est une très bonne chose.
Est-ce aussi libérateur d’inverser les récits liés à MeToo ? Une PDG qui a une liaison avec un stagiaire.
Mon film est une fable et une satire sociale. Une femme plus âgée, dotée d’un immense pouvoir, dit à un jeune homme sans pouvoir: «Je veux être ta babygirl.» Le garçon, qui est lui-même presque encore «une babygirl», adopte une posture très paternelle envers elle. Nous renversons tout. Avec humour, ironie, mais surtout avec beaucoup d’honnêteté et de vulnérabilité. Je veux tout montrer, de manière radicalement honnête. C’est ce que je faisais en tant qu’actrice, et c’est ce que je recherche encore aujourd’hui. Ne pas me montrer plus belle que je ne le suis et, plus encore, exposer toute la laideur. MeToo a été une énorme libération pour moi. Je suis une fervente partisane du mouvement. Mais je veux continuer à explorer toutes les facettes de la sexualité et du pouvoir.
Qui était la «PDG» de Babygirl? Vous? Ou était-ce un poste partagé avec Nicole Kidman? Ou bien la maison de production A24 avait-elle le dernier mot?
Ce qui a été fantastique sur ce film, c’est que j’avais un contrôle total. Je pense que je n’ai aucune idée de ce qu’est réellement Hollywood. L’image que j’ai de son fonctionnement est complètement faussée. A24 est une société de production unique, un îlot de liberté artistique, qui combine art et commerce. Nicole avait vu Instinct et voulait travailler avec moi. C’était une position confortable pour moi. Je suis du genre hippie: une vraie collaboratrice, je n’ai pas besoin de jouer au petit chef. Mais je tenais absolument à faire les choses à ma manière. On n’aurait pas pu réaliser Babygirl avec une star hollywoodienne qui, dès qu’elle arrive, dicte quelle caméra on va utiliser. Ce qui arrive parfois. Après avoir lu le scénario, Nicole a immédiatement fait savoir qu’elle voulait le jouer exactement comme je l’avais en tête. Elle s’est pleinement investie dans le rôle, avec toute la vulnérabilité et la brutalité nécessaires.
Vous ne rejetez pas les thrillers érotiques du passé, comme Basic Instinct. Vous prolongez la tradition à votre manière, en quelque sorte.
La scène où Nicole Kidman est assise comme un homme sur une chaise pendant que Harris Dickinson danse pour elle est le reflet de la scène de 9 semaines et demi où Mickey Rourke est assis pendant que Kim Basinger danse pour lui sur You Can Leave Your Hat On de Joe Cocker. Ces images sont gravées dans nos esprits, car nous les avons vues très souvent. Je joue avec elles. Avec amour, car j’adore ces images du passé. Je suis moi-même un produit du patriarcat, et cette perspective patriarcale ne me dérange pas. Je ne porte pas de jugement là-dessus. Je regarderai encore avec plaisir 9 semaines et demi . Je ne pense pas que tout ça doit être mis à la poubelle, mais je veux aller plus loin. Je prends les belles choses de ces thrillers sexuels des années 1990 et je les réinvente.
Lire aussi | Le trouble jeu de Carice van Houten dans Instinct
«MeToo a été une énorme libération pour moi.»
Halina Reijn
Réalisatrice
Babygirl
Thriller érotique d’Halina Reijn. Avec Nicole Kidman, Harris Dickinson, Antonio Banderas. 1 h 48
3,5/5
Tout va bien pour Romy, CEO de sa propre boîte qui entend allier intelligences artificielle et émotionnelle, si ce n’est qu’à 50 ans révolus, elle peine à jouir. Elle se laisse un jour surprendre par Sam, jeune stagiaire effronté qui remet en question sa position dominante, réveillant en passant sa sensualité, et même, son animalité. Marchant sur un fil à la croisée du sexisme et de l’âgisme, Romy est prête à voir sa vie voler en éclats pour atteindre le nirvana. Présenté à Venise, ce thriller souvent drôle, adepte d’un érotisme habillé (et policé), vaut surtout pour le regard dans l’air du temps de sa réalisatrice (notamment sa façon d’intégrer le consentement aux fantasmes de ses protagonistes), et la performance flamboyante de Nicole Kidman, tout en risques parfaitement mesurés –et en autodérision.
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