Critique | Cinéma

[critique cinéma] Canción sin nombre: une vie volée

© MOOOV
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Autour d’une mère désespérément en quête de son enfant, ce film péruvien séduit par sa rigueur de mise en scène et l’empathie de son regard.

Cinéaste péruvienne basée à Lima et New York, Melina León a été formée au 7e art à l’Université de Columbia. Remarqué à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, Canción sin nombre (littéralement Chanson sans nom), son premier long métrage, s’inspire des faits tristement réels révélés à l’époque par son propre père, le journaliste d’investigation Ismael León, en lien avec un scandale de trafic d’enfants. Situant son action au Pérou, au plus fort de la crise politique des années 80, le film accompagne une jeune femme, Georgina, qui attend son premier enfant. Indigène sans ressources originaire des Andes, elle répond à l’annonce d’une clinique privée qui propose des soins gratuits aux femmes enceintes. Mais après l’accouchement, on refuse de lui dire où est son bébé. Déterminée à retrouver sa fille, elle fait fi d’une justice défaillante et sollicite l’aide d’un journaliste de la ville qui accepte de mener l’enquête…

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Poésie crépusculaire

Souvent comparé au Roma d’Alfonso Cuarón, avec lequel il entretient en effet plus d’un point commun, Canción sin nombre n’en possède ni les fantasmes opératiques ni le côté pompeux. Porté par un noir et blanc ouaté au grain épais qui renvoie immanquablement au travail d’un Béla Tarr mais aussi, bien sûr, à l’âge d’or du cinéma muet (impossible, par exemple, de ne pas penser à L’Aurore de Murnau au détour de certaines séquences inscrites dans la campagne andine), le film évite avec grâce et humilité le piège de l’esthétisation un peu gratuite. La pureté de certains cadres rappelle la simplicité d’un récit des origines, tandis que la recherche subtile de symétrie dans la composition des images accentue la dimension kafkaïenne de l’intrigue et de son contexte sociopolitique. À quoi s’ajoute encore un jeu intelligent sur l’échelle des plans, alternant entre les très gros plans qui expriment la tristesse, la colère ou la détermination et les plans très larges qui isolent et écrasent les protagonistes -une grammaire formelle qui souligne sans équivoque possible leur place dérisoire dans un système profondément inégalitaire et broyeur de vies.

À cette impeccable rigueur de mise en scène répond une profonde empathie dans le regard, dénué de tout pathos. Cinéaste aussi attentive à des questions de vérité humaine que de cohérence stylistique, Melina León dépasse en effet le cliché doloriste de la mère courage pour toucher à l’essence même de son récit tragique. Allant encore puiser du côté de l’expressionnisme allemand une assez fulgurante poésie crépusculaire, qui confère à certains plans des allures de véritables petits théâtres d’ombres, Canción sin nombre donne le sentiment grisant d’assister à la naissance d’une réalisatrice hors du commun. À voir impérativement sur grand écran.

Canción sin nombre

Drame. De Melina León. Avec Pamela Mendoza, Tommy Párraga, Lucio A. Rojas. 1h37. Sortie: 16/03. ****

[critique cinéma] Canción sin nombre: une vie volée

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content