Critique | Cinéma

[Critique ciné] Le Ruban blanc, de Michael Haneke: les racines du mal

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Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Au détour d’une éblouissante chronique, Michael Haneke signe une parabole pénétrante sur le mal et ses origines, doublée d’un accomplissement esthétique majeur. Palme d’or à Cannes.

Un village protestant de l’Allemagne du Nord, à la veille de la Première Guerre mondiale. La période des moissons approche lorsque une succession d’accidents vient mettre la petite communauté en émoi: il y a d’abord un piège qui blesse le médecin, bientôt suivi des sévices dont sont victimes plusieurs enfants. Autant d’événements inexplicables, qui vont instiller la peur, en même temps que l’on s’emploie, maladroitement, à en identifier les responsables. Ce faisant, voilà que se trouve dévoilé l’envers d’une micro-société régie par un ordre séculaire et féodal, doublé d’un modèle rigoriste appliqué avec zèle par des parents s’estimant dépositaires d’une autorité absolue.

Relatée par un narrateur, l’instituteur du village, cette réalité ne se révèle toutefois que par à coups, en une succession de tableaux saisissants: c’est ici le discours chargé de haine et de mépris que le médecin assène à sa maîtresse; ce sont là ces enfants, à qui leur père appose le ruban blanc, symbole de la perfection à atteindre et, dans l’intervalle, marque de leur humiliation présente; et d’autres, encore. Soit les éléments qui composent les contours d’un cadre affolant et du paysage intime du village, dont le film se fait la chronique.

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Si le ressort dramatique premier en est une enquête – qui pourrait se cacher derrière des faits qui ont réveillé des peurs ancestrales et prennent peu à peu le caractère d’un rituel punitif? -, Michael Haneke ne s’intéresse rien tant qu’aux ressorts sous-jacents à l’oeuvre dans Le Ruban blanc. Ainsi passe-t-il au scalpel de sa caméra et d’un noir et blanc aussi lumineux que glaçant une société ajoutant à l’hypocrisie morale un mode de conditionnement que l’on ne saurait mieux qualifier que de pervers, tant il porte en germe les dérives à venir – la même génération d’enfants qui occupe ici massivement l’écran embrassera, 20 ans plus tard, l’idéologie nazie.

Incertitudes présentes

Là réside, bien sûr, la force et l’ampleur d’un propos qui, par extrapolation, inscrit les racines de toute forme de terrorisme dans la croyance aveugle à quelque principe absolu – religieux (le réalisateur a envisagé pour titre La main droite de Dieu) ou autre. Une perspective toute contemporaine, celle-là, que Michael Haneke fait plus qu’entrouvrir mais qu’il se garde judicieusement de marteler, ménageant, hors-champ et non-dit à l’appui, un vaste espace de mouvement au spectateur, au gré de zones d’ombre et autres questions laissées en suspens.

Film austère autant qu’implacable, étincelant autant que pénétrant, Le Ruban blanc s’inscrit dans la continuité d’une oeuvre dont il constituerait une forme d’aboutissement en plongeant aux racines même du mal. A quoi le réalisateur de Funny Games et Cachéajoute un accomplissement esthétique majeur, pour signer un film de toute beauté. Invoquant le passé pour mieux appréhender les incertitudes présentes, Le Ruban blanc s’avère une oeuvre éblouissante; mieux même, un chef-d’oeuvre.

De Michael Haneke. Avec Ulrich Tukur, Christian Friedel, Leonie Benesch. 2h25. Sortie: 21/10.

Lire aussi notre interview de Michael Haneke.

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