Cédric Jimenez (Novembre) : « Moi je ne fais pas de politique, je suis cinéaste »

Jean Dujardin dans Novembre, plongée en apnée au cœur de l’anti-terrorisme français. © National
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Dans la foulée du gros ratage BAC Nord, le Français Cédric Jimenez se montre étonnamment inspiré au moment d’évoquer la traque des terroristes islamistes consécutive aux attentats du 13 novembre 2015 à Paris.

Ne tournons pas autour du pot: on n’a jamais beaucoup aimé le cinéma de Cédric Jimenez. Ni eu envie de le défendre. Qu’il fantasme sur le polar américain des années 70 en mode musée Grévin (La French en 2014), revisite une page d’Histoire nazie en esthétisant complaisamment la violence (HHhH en 2017) ou se montre assez bêtement fasciné par les pratiques abusives d’un trio de flics virilistes (BAC Nord en 2021), le réalisateur marseillais a en effet toujours flirté dangereusement avec le mauvais goût et les idées rances. En ce sens, quand il est accusé l’an dernier de faire le lit des thèses crapoteuses défendues par Marine Le Pen et Éric Zemmour, avant d’être récupéré politiquement par ceux-ci, on ne peut s’empêcher de penser que, quelque part, il l’a bien cherché. Même s’il continue de s’en défendre. “Moi je ne fais pas de politique, je suis cinéaste. La récupération politique par des gens qui n’ont certainement pas vu le film, je trouve ça juste grotesque”, se justifie-t-il ainsi encore peu adroitement un matin de septembre alors qu’on le retrouve dans un hôtel du centre de Bruxelles.

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Qu’attendre dès lors aujourd’hui de son écot versé à la représentation, très tendance ces derniers temps, des attentats de Paris sur les écrans? A priori, rien. Voire carrément le pire. Et pourtant… Force est de constater que Novembre vise juste. Et avec une certaine pudeur, même. Centré autour des cinq jours d’enquête et de traque qui ont suivi les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, le film prend la forme d’une plongée concentrée et inquiète dans une ville en état de choc. Écrit par Olivier Demangel (Atlantique de Mati Diop), son scénario est né, selon les dires de l’intéressé, pour tenter de répondre à la question suivante: “Qui travaille quand nous avons peur?” D’abord réticent à l’idée de signer un long métrage sur les attentats, Cédric Jimenez a fini par se laisser convaincre par l’angle choisi par Demangel, son parti pris étant de ne pas revenir sur les attaques en tant que telles pour se concentrer plutôt sur ce qui a immédiatement suivi. Soit, en l’occurrence, l’obligation impérative de résultats pesant sur les épaules des enquêteurs de la SDAT (Sous-direction anti-terroriste), service de police judiciaire français à compétence nationale voué à la lutte contre le terrorisme. “C’est vrai que j’ai l’habitude d’écrire mes propres scénarios, et puis que la question des attentats me rendait un peu fébrile. C’est quand même un sujet particulièrement sensible. L’idée même de reconstitution me gênait. Mais l’angle choisi par Olivier m’a d’emblée beaucoup plu et rassuré. Le déroulé de l’enquête qui a directement suivi les attentats restait en effet peu connu du grand public. Or la pression étatique et citoyenne qui pesait sur les épaules des policiers était énorme. Pendant cinq jours, ces hommes et ces femmes se retrouvaient dos au mur. Ils n’avaient pas droit à l’erreur. D’autant qu’ils savaient que les individus en fuite étaient prêts à récidiver. C’est quelque chose qu’il m’a semblé passionnant à raconter.

Effet tunnel

Dans Novembre, le personnage de flic campé par Jean Dujardin dit à son équipe: “Je ne veux pas qu’on laisse place à nos émotions personnelles.” Un mot d’ordre qui pourrait aussi avoir été celui du film lui-même, tant il semble chercher en permanence la retenue et la sobriété dans le récit et la représentation des événements. “De l’émotion, on en met toujours forcément un peu. Mais de la pudeur, de l’humilité, de la sobriété, oui, c’est clairement ça qu’il fallait aller chercher. Il s’agissait vraiment de se mettre entièrement au service du sujet, et que ce dernier prime absolument sur tout le reste: interprétation, mise en scène, etc.

Très documenté, Novembre se nourrit de témoignages sous anonymat de divers membres de la brigade anti-terroriste ayant vécu l’enquête de l’intérieur en 2015 et est guidé par la volonté de ne pas trahir la vérité des événements. “Beaucoup nous ont parlé d’un effet tunnel. C’est-à-dire qu’ils se conditionnaient pour être entièrement tendus vers leur objectif, en mettant de côté tout ce qui n’avait pas trait à l’enquête. C’est un état d’hyper concentration où on ferme les écoutilles pour avancer sans perdre une seule seconde”, explique Jimenez. Et son film, nerveux, tendu comme un élastique, résolument immersif, rend bien, en effet, cette sensation d’être plongé dans un tunnel de détermination…La consigne sur le tournage était d’aller en permanence à l’essentiel, d’être le plus direct possible. Il ne fallait jamais digresser, ne pas perdre de temps. Chaque mot devait fuser et chaque déplacement devait être sec, rapide. Novembre est un film qui avance, qui est constamment en mouvement.

En résulte un objet singulièrement dégraissé, à l’os, où les personnages ressemblent davantage à des pions sur un grand échiquier qu’à des individus dotés de réelle psychologie ou de background personnel. “Disons qu’on est vraiment dans une psychologie de l’urgence. Un des policiers avec lesquels j’ai pu m’entretenir m’a dit qu’à un moment, durant ces cinq jours, il était rentré chez lui. Mais il est resté une heure et demie, et puis il est reparti. Il disait que ce n’était pas tenable de rester là à attendre. Si j’avais cherché à donner un background à mes personnages, je pense, en un sens, que j’aurais trahi la vérité. Tout ce qui était périphérique à l’enquête n’avait pas sa place dans ce film.

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