Cate Blanchett de retour
en Australie pour The New Boy: « J’avais le mal du pays »

Cate Blanchett retrouve son Australie natale dans le mystique The New Boy. © Ben King

Avec qui ai-je envie de travailler avant la mort du cinéma? Cate Blanchett s’est posé sérieusement la question pendant la pandémie de Covid et son choix s’est porté sur le réalisateur australien Warwick Thornton. Avec comme résultat The New Boy.

Dans quel film Cate Blanchett est-elle la ­meilleure? Si la question est simple, la réponse est plus délicate. S’agit-il de Carol de Todd Haynes, où l’actrice australienne vous faisait tomber raide dingue? Ou de I’m Not There, du même Todd Haynes, où elle incarnait mieux Bob Dylan que Richard Gere, Heath Ledger et ­Christian Bale? Pour les fans du Seigneur des anneaux, Cate Blanchett est évidemment à jamais la reine des elfes Galadriel. Alors que ce sont ses interprétations de la star Katharine Hepburn dans The Aviator de Martin Scorsese et dans le rôle principal de Blue Jasmine de Woody Allen qui lui ont valu de décrocher des Oscars. Et l’an dernier, l’actrice a été injustement privée d’une troisième statuette pour l’admirable ambivalence avec laquelle elle a incarné la charismatique et manipulatrice cheffe d’orchestre du Berliner Philharmoniker dans Tár de Todd Field.

Cate Blanchett est une vraie star du cinéma, convoitée comme peu d’actrices le sont. Cela ne l’a pas empêchée de douter quand, comme presque tout le monde, elle s’est retrouvée confinée pendant la pandémie de coronavirus, à un moment où l’avenir du cinéma semblait très incertain. « Je me suis alors demandé: si tout s’arrête demain ou dans six mois, avec qui ai-je envie de travailler? Avec qui ai-je envie de passer ce temps? De quoi est-ce que je veux parler? Où est-ce que je veux être? J’avais aussi le mal du pays.« 

Cate Blanchett ne vit plus dans son Australie natale. Il y a huit ans, avec son mari, le dramaturge Andrew Upton, et leurs quatre enfants, elle a troqué les plages, le soleil et l’agitation urbaine de Melbourne pour la pluie et la tranquillité verdoyante de la campagne anglaise. Dans l’East Sussex, la famille Blanchett a rénové Highwell House, un manoir historique délabré ayant appartenu à Sir Arthur Conan Doyle, le créateur de Sherlock Holmes. À cause de la politique draconienne de l’Australie pendant la pandémie, il ne leur a pas été possible de rendre visite aux amis et à la famille Down Under. « Pendant le lockdown, je pensais à l’Australie et aux personnes avec lesquelles je voulais encore travailler, et le nom de Warwick m’est venu à l’esprit. Comment ça se passerait avec lui? Et si je l’appelais? »

Warwick Thornton a remporté la caméra d’or à Cannes en 2009 pour Samson et Delilah. Et avec Sweet Country, il a signé un western lyrique et confrontant sur une chasse à l’homme menée par des colons contre un Aborigène. « Je ne l’avais pas formulé tel quel, mais ma vision du monde a changé grâce à ses films. Warwick est un cinéaste unique, aux multiples facettes. Ses histoires sont universelles. C’est tout simplement un des plus grands réalisateurs d’Australie. »

L’échange ne s’est pas limité à un coup de fil. « Nous n’avons pas arrêté de nous appeler, même s’il faisait jour pour l’un et nuit pour l’autre, explique Cate Blanchett avec l’élégance qui la caractérise. Nous avons discuté de toutes sortes de choses et à un moment donné, Warwick a mentionné l’existence d’un scénario auquel il n’avait plus pensé depuis des années et qui se trouvait quelque part au fond de son tiroir à chaussettes. J’ai tout de suite compris que c’était quelque chose qui comptait pour lui. J’ai lu ce scénario et je l’ai trouvé merveilleusement mystérieux. Sans savoir dire exactement pourquoi, mon mari et moi nous avons tout de suite su qu’il y avait là la base d’un film extraordinaire. Nous avons continué à en parler et à y réfléchir, et c’est ainsi qu’est né The New Boy. »

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Sur une croix

Dans ce film mystique d’une beauté stupéfiante (lire aussi la critique ici) présenté à Canne l’an dernier dans la sélection Un Certain Regard, Cate ­Blanchett incarne une religieuse qui noie dans l’alcool sa crise de foi et l’arrière-goût amer de certaines situations intolérables. Alors que la Seconde Guerre mondiale fait rage, sœur Eileen dirige en secret un couvent isolé où des enfants indigènes arrachés à leur famille et leur environnement sont transformés en petits chrétiens dévoués. Ces jeunes cherchent à survivre dans un monde qui leur est totalement étranger, où l’on utilise des couverts pour manger et où l’on vénère un homme à moitié nu cloué sur une croix. L’arrivée d’un nouveau garçon doté de pouvoirs étranges -et justement pas très catholiques- déséquilibre ce microcosme.

Warwick Thornton se souvient de sa première confrontation avec le Christ crucifié. « Je suis moi-même aborigène, comme vous le savez, explique le réalisateur, scénariste et caméraman talentueux qui a rejoint la conversation. Nous avons de nombreuses connexions spirituelles différentes. Nous croyons aux créateurs et nous sommes sensibles aux forces cachées du quotidien. C’est à cela que je dois le sentiment d’être spécial. » Lorsqu’il était enfant, Warwick Thornton a été envoyé par sa mère dans un pensionnat isolé dirigé par des religieux espagnols. « J’avais eu plusieurs fois des ennuis chez moi, à Alice Springs, et ma mère pensait que cette décision était nécessaire, pour m’aider, et elle avait raison. Je suis entré pour la première fois dans une église et j’ai vu un homme torturé sur une grande croix de bois. C’était incroyablement terrifiant. »

Warwick Thornton a embrassé le christianisme pendant un certain temps, mais il s’interroge sur sa dérive prosélyte. « De nombreuses histoires aborigènes du Temps du Rêve portent le même message que les histoires de la Bible. Beaucoup d’Aborigènes deviennent chrétiens tout en perpétuant leurs propres croyances. Par contre, dans l’autre sens, ça ne marche pas, et je ne comprends pas ça. Je ne comprends pas qu’une religion puisse dire: toutes les autres religions sont fausses, nous sommes les seuls à avoir raison, tous les autres sont des hérétiques qu’il faut convertir ou combattre. » Cate Blanchett embraie: « Je suis moi aussi étonnée de constater à quel point la plupart des religions occidentales prônent une vision définitive de l’homme, du monde et de l’au-delà. À mon avis, la vraie foi implique toujours le doute. »

Aswan Reid (11 ans), véritable révélation de The New Boy. © Ben King

Changement de genre

Le scénario original racontait la rencontre entre un prêtre rebelle et un garçon autochtone. Et c’est au final une nonne que l’on retrouve à l’écran. « Le film a mis beaucoup de temps à aboutir et de ce fait, c’est devenu un manifeste très différent de ce que Warwick avait imaginé il y a 18 ans », explique l’actrice. « Ce changement de genre a été une bénédiction, affirme le réalisateur en riant. Et pas seulement parce que l’arrivée de Cate Blanchett est toujours une bénédiction. Ça nous a permis d’avoir de beaux dégradés de gris au lieu d’un film noir et blanc.« 

Au final, ce « new boy » n’échappe pas à l’assimilation. « Quelque part dans l’Amérique profonde, il y aura probablement des chrétiens qui verront le film et diront: « Oui, nous avons gagné! Notre religion est tellement plus puissante que la spiritualité aborigène. » Ce n’est bien sûr pas mon message. Les gars, vous venez de tuer la Bonne Fée et vous en êtes fiers, réfléchissez un peu plus, plaisante le réalisateur. Certains Australiens autochtones déplorent le fait que je laisse les chrétiens gagner. Mais je vois les choses différemment. Une victoire implique un vaincu. Qu’est-ce qui se retrouve vaincu ici? C’est une reconnaissance implicite de notre spiritualité, de notre culture, de notre lien particulier avec la terre et les ancêtres. Nous représentons quelque chose, nous devons être pris en considération. Ça peut sembler dérisoire, mais c’est peut-être notre plus grande préoccupation: être reconnus, ne pas être négligés ou ignorés quand il s’agit de religion. »

The New Boy a été tourné en Australie-Méridionale en 2022. Le monastère du film a été construit à deux pas de l’ancienne ville minière de Burra. « De bonnes équipes, de bonnes infrastructures, des paysages fantastiques: j’ai eu l’impression de rentrer à la maison. J’ai apprécié chaque seconde passée en Australie-Méridionale. À la fois parce que c’est une région vraiment impressionnante, et pour des raisons sentimentales, explique Cate Blanchett. J’ai une longue histoire avec cette région. J’y ai fait du théâtre et j’y ai tourné mon tout premier film. C’est une zone extrêmement aride de l’Australie. Mais pour ce film, nous avons subi des inondations dignes du déluge, qui ont failli emporter le décor. Merci, le ­changement climatique! »

Huit enfants

En plus du déluge, le réalisateur et l’actrice ont dû gérer quotidiennement huit enfants hyper enthousiastes qui n’avaient aucune expérience en cinéma. Cate Blanchett s’en est manifestement bien sortie: « J’ai quatre enfants. C’était donc juste deux fois plus que d’habitude » (rires). La grande question était bien sûr de savoir qui jouerait ce fameux « new boy ». « Par miracle nous avons trouvé Aswan Reid presque tout de suite. À 11 ans, il est entré dans un territoire totalement inconnu et a découvert un nouveau métier, en étant entouré d’adultes et submergé de règles et de responsabilités. Je pense que très peu d’adultes en sont capables, lui a tout de suite été à la hauteur. C’est impressionnant.« 

Warwick Thornton © Penske Media/Getty Images

Warwick Thornton, de son côté, se demandait tous les jours dans quoi il s’était lancé. « Il faut faire attention à ce qu’on imagine, parce que peut-être qu’un jour, il faudra le filmer! Chaque matin je paniquais un peu quand je voyais cette meute de jeunes loups se précipiter vers moi. J’avais des visions de Sa Majesté des mouches. Puis on se mettait au travail et ils nous épataient en rendant les scènes encore plus belles et plus puissantes que ce que j’avais imaginé. À la fin de la journée, j’étais épuisé. Et le lendemain, tout recommençait. »

Un autre film avec Cate Blanchett sortira au début du mois d’août et il ne pourrait pas être plus différent. Dans Borderlands, un film de SF déjanté inspiré d’un jeu vidéo et réalisé par Eli Roth, elle incarne une chasseuse de primes aux cheveux orange qui débarque sur une planète poussiéreuse avec une bande de marginaux. Et l’actrice vient de défendre à Cannes Rumours, une comédie apocalyptique de Guy Maddin où sept dirigeants obligés de résoudre une crise se perdent dans une forêt brumeuse avec des créatures mortes-vivantes et un cerveau géant. « Il y a beaucoup trop de films qui se tournent et j’accepte beaucoup, beaucoup trop de rôles, dit Blanchett en riant. Mais je suis insupportable quand je n’ai pas de travail. Et puis, des projets aussi particuliers que The New Boy, ça n’arrive pas tous les ans. Quand l’occasion se présente, je me lance. Même si, quelque part, je me rends bien compte qu’il serait sans doute plus raisonnable de calmer le rythme. » Prendre une année sabbatique en tant que comédienne n’est pas inenvisageable. « J’ai aujourd’hui une société de production (Dirty Films, NDLR) avec plusieurs projets en cours. J’ai découvert qu’il y a différentes façons d’être créatif dans le cinéma. Pas seulement en tant qu’actrice.« 

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