Adam Elliot, l’anti-Disney du cinéma d’animation: «Ce qui prend du temps regagne de la valeur»

Adam Elliot a travaillé huit ans sur Mémoires d’un escargot.
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Le très attendu festival Anima s’ouvre à Bruxelles ce 28 février avec le génial Mémoires d’un escargot de l’Australien Adam Elliot, bijou tragicomique en stop motion qui marquera durablement cette année cinéma. Rencontre.

Cinéaste né à Berwick, dans la banlieue de Melbourne, au début des années 1970, Adam Elliot s’est imposé, au cours des trois dernières décennies, comme un véritable maître de l’animation en stop motion. Aussi appelée «animation en volume», cette technique très artisanale suppose un soin et une patience infinis puisqu’elle utilise des objets bien réels (en pâte à modeler, chez Elliot) qui seront animés image par image. Remarqué dès ses premiers courts et oscarisé en 2004 pour le moyen métrage Harvie Krumpet, le réalisateur australien subjugue littéralement cinq ans plus tard avec Mary and Max, premier long à la poésie virtuose traversée d’un humour puissamment désenchanté.

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Mémoires d’un escargot, son nouveau long métrage touché par la grâce, fait l’ouverture du festival Anima à Bruxelles ce 28 février avant de sortir officiellement dans les salles belges le 12 mars prochain. Véritable chef-d’œuvre instantané, le film raconte le parcours de vie tourmenté de la jeune Grace Pudel, collectionneuse d’escargots et passionnée de lecture qui, à la mort de son père, est envoyée dans une famille d’accueil à l’autre bout de l’Australie. Loin de son frère jumeau, ignorée par ses tuteurs et harcelée par ses camarades de classe, elle s’enfonce alors dans le désespoir. Jusqu’à sa rencontre salvatrice avec Pinky, une octogénaire excentrique qui va lui apprendre à sortir de sa coquille… Joint par Zoom en pleine campagne californienne pour les Oscars, Adam Elliot a accepté de répondre à nos questions avec une jovialité contagieuse.

135.000 prises de vues

Sachant que l’animation en stop motion prend énormément de temps, vous avez annoncé très tôt dans votre carrière que vous ambitionniez de réaliser en tout neuf films. Trois courts, trois moyens et trois longs métrages. C’est ce que vous appelez votre «trilogie des trilogies». Ce plan est-il toujours d’actualité?

Adam Elliot: Oui, j’ai déjà réalisé trois courts, deux moyens et deux longs, donc il ne me reste plus que deux films avant de mourir (sourire). Pour être tout à fait honnête, quand j’ai échafaudé ce très improbable plan de carrière, je ne pensais même pas que j’arriverais un jour jusqu’à sept. C’est assez fou, en soi. Je n’ai jamais été quelqu’un de très ambitieux. J’aimais l’idée de me fixer une espèce d’objectif fini. Il faut savoir que je suis attiré par les chiffres et ce qui est ordonné. Je souffre par ailleurs de troubles obsessionnels compulsifs. J’aime beaucoup le chiffre 9 parce qu’il contient trois fois le chiffre 3. C’est un chiffre très satisfaisant. Dans Mémoires d’un escargot, le personnage de Grace dit à un moment donné: «Les angles droits m’ont toujours apporté énormément de confort.» Eh bien moi, ce sont les chiffres qui m’apportent énormément de confort.

Grace, dans Mémoires d’un escargot, est une collectionneuse compulsive. Cette idée d’amasser des choses est au cœur du film et de son esthétique. Qu’est-ce qui vous intéresse tant dans ce trait de caractère?

Adam Elliot: J’ai toujours été fasciné par cette tendance de l’être humain à collectionner des choses. Les autres espèces vivantes ne font pas ça, à part peut-être la pie chez les oiseaux. Et la plupart des choses qu’on accumule ne servent jamais. Mon père était un collectionneur. Quand il est mort, il a laissé derrière lui trois garages entiers remplis de choses diverses. Je me suis d’abord senti très embarrassé face à tout ce bazar qu’il avait accumulé. Mais peu à peu, cet embarras a mué en fascination. J’ai commencé à lire des livres de psychologie sur le sujet et j’y ai découvert que les collectionneurs extrêmes ont tendance à faire ça pour apaiser une souffrance née d’un trauma. Très souvent, ça fait suite à la perte d’un enfant, d’un frère ou d’un jumeau, ce genre de drames. Moi-même, par le passé, j’ai collectionné pas mal de choses. Je vivais anciennement dans un grand entrepôt et j’y accumulais toutes sortes de boîtes en bois mais aussi des animaux empaillés dont l’empaillage avait été raté (sourire). J’ai fini par me débarrasser de tout ça pour tendre vers quelque chose de plus épuré. Mais j’aime m’inspirer de comportements que je connais ou que j’observe pour les glisser dans mes films.

«Ce film a nécessité huit ans de travail, beaucoup de sang, de sueur et de larmes. Mais ça en valait la peine.»

Cette idée d’accumulation et de collectionnite aiguë qui irrigue le film n’a fait qu’en compliquer la réalisation, non? Aimez-vous consciemment la difficulté?

Adam Elliot: Effectivement, j’aurais été mieux inspiré de réaliser un film à propos d’un moine minimaliste. Je n’aurais pas eu à faire faire les quelque 7.000 objets et accessoires qui ont été nécessaires au projet. Ce fut un challenge peu commun pour mon équipe artistique. Quarante-cinq personnes ont été mobilisées rien que pour ça pendant des mois. D’une manière générale, les chiffres concernant Mémoires d’un escargot sont assez vertigineux. Il a fallu concevoir 200 personnages et 200 décors pour le film. Le tournage, lui, a duré 33 semaines, durant lesquelles 135.000 prises de vues ont été réalisées. Donc oui, il faut croire que j’aime la difficulté. J’ai souvent tendance à me compliquer la tâche, en tout cas. Mais, d’un autre côté, il est surprenant de voir tout ce qu’il est possible d’accomplir quand on est vraiment impliqué dans quelque chose. Ce film a nécessité en tout huit ans de travail, beaucoup de sang, de sueur et de larmes. Mais je crois, vraiment, que ça en valait la peine.

Eloge de la lenteur

Le symbolisme de l’escargot est très présent dans le film: tendance à se rétracter dans sa coquille, motif de la spirale sur celle-ci qui renvoie au cycle de la vie, nécessité d’aller toujours de l’avant… Mais l’escargot est aussi un animal très lent, comme l’est inévitablement le réalisateur d’un film d’animation en stop motion. Diriez-vous que, dans un monde qui semble toujours plus pressé, continuer à faire ce type de film relève d’une forme de résistance?

Adam Elliot: Absolument! Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que nous avons baptisé notre société de production Snails Pace Films (NDLR: soit, littéralement, «films au rythme des escargots»). Vous connaissez la fable du lièvre et de la tortue: à la fin, c’est le plus lent et le plus régulier qui gagne. Je ne dis pas que nous allons gagner l’Oscar du meilleur film d’animation dans quelques jours pour autant, je ne suis d’ailleurs pas quelqu’un de très compétitif, mais nous sommes en tout cas toujours dans la course. Nous vivons dans un monde où beaucoup de choses vont de plus en plus vite, et où notre capacité d’attention semble toujours plus réduite, c’est un fait. Mais pensez, d’un autre côté, au mouvement slow food, au retour des objets fait main, aux gens qui se remettent au tricot ou recommencent à acheter des livres… Ce qui prend du temps regagne de la valeur.

Il existe aujourd’hui quelques bastions spécialisés dans l’animation en stop motion un peu partout dans le monde: studio Laika à Portland dans l’Oregon, studio Aardman à Bristol en Angleterre, on peut aussi citer le réalisateur suisse Claude Barras ou le tandem surdoué formé par les Belges Emma De Swaef et Marc James Roels… Avez-vous le sentiment de faire partie d’une grande famille d’artisans à travers le globe?

Adam Elliot: Oui, complètement. Et pensez à tous ces cinéastes confirmés qui ont aussi signé des films d’animation en stop motion: Tim Burton, Wes Anderson, Guillermo del Toro… Ces grands noms ont indéniablement contribué à amener une certaine attention sur notre travail. Nous ne sommes peut-être pas très nombreux à faire de la stop motion, mais il y a, je crois, un lien très fort qui nous unit. Une vraie parenté. On communique beaucoup et on se serre les coudes. Je suis très ami, par exemple, avec Nick Park, le réalisateur des Wallace et Gromit chez Aardman. Tout le monde n’a pas envie d’être gavé d’effets spéciaux en permanence, certains préfèrent voir de vraies empreintes digitales sur de la pâte à modeler. Je pense sincèrement que l’animation en stop motion se porte mieux que jamais aujourd’hui. Et l’essor de l’intelligence artificielle va, selon moi, renforcer ce besoin de matière, de réel, de tangible. Ceci étant dit, je peux aussi, en tant que spectateur, connecter émotionnellement avec certains films animés par ordinateur. Finalement, le plus important tient toujours à l’histoire qui est racontée et à la qualité de sa narration. L’animation n’est pas un genre en soi, c’est un médium. A chacun de trouver les outils les plus adaptés à l’œuvre qu’il ambitionne de faire. Récemment, j’ai, par exemple, adoré le film Flow de Gints Zilbalodis, entièrement animé par ordinateur, et même Vice-versa 2 des studios Pixar.

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Mémoires d’un escargot ne s’adresse clairement pas aux enfants, le film est trop sombre pour ça. Est-ce aussi une manière pour vous de rappeler que l’animation peut aussi parfois être l’apanage des adultes?

Adam Elliot: Oui, et c’est d’ailleurs pour ça que je tiens à répéter que l’animation n’est pas un genre en soi, c’est un médium. Je pense que, en un sens, Disney est responsable de cette fausse croyance qui voudrait que l’animation concerne avant tout les enfants. Ce n’est pas vrai. L’animation adulte a toujours existé. Notamment en République tchèque et en Estonie. Mes films ne s’adressent pas aux enfants, c’est un fait. Beaucoup d’adolescents, en revanche, les regardent et les aiment. Disney a vraiment écrasé, par sa force de frappe, le marché de l’animation. L’ironie étant que beaucoup de vieux films Disney sont racistes, homophobes et sexistes. Et donc, si on y pense, absolument pas adéquats pour les enfants. Alors que mes films se sont toujours intéressés à la différence, aux marginaux, aux inadaptés, aux imparfaits… Ils ne s’adressent pas aux plus jeunes, certes, mais ils sont certainement plus inclusifs que les films Disney.

Festival Anima

Du 28/02 au 09/03, à Flagey, Bruxelles, et décentralisations.

Le Festival international du film d’animation de Bruxelles reprend ses traditionnels quartiers à Flagey. Il s’ouvrira ce 28 février avec Mémoires d’un escargot pour se refermer le 9 mars avec l’intrigant Ordures du Français Benjamin Nuel. Entre ces deux propositions fortes, l’incontournable événement cinéphile multiplie les propositions alléchantes: sélection rabelaisienne de courts métrages, longs triés sur le volet, expériences en réalité virtuelle, programmes spéciaux, focus autrichien, spectacle pour enfants, rencontres professionnelles, masterclass, discussion passionnée autour de la stop motion, conférences, expos… Soit quelques-unes seulement des nombreuses promesses de cette 44e édition!

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