A Complete Unknown: Timothée Chalamet joue et chante Bob Dylan… en vrai (et il n’est pas le seul)

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Timothée Chalamet n’incarne pas seulement Bob Dylan dans A Complete Unknown, le biopic que lui consacre James Mangold. Il lui prête également sa voix. Un exercice périlleux, parfois insurmontable, que les acteurs sont de plus en plus souvent amenés à relever.

Fin janvier, à quelques jours de la sortie de A Complete Unknown dans lequel il interprète ni plus ni moins que Bob Dylan, Timothée Chalamet débarquait sur le plateau du talk-show américain Saturday Night Live en tant qu’hôte mais aussi invité musical. Accompagné par James Blake au clavier, l’acteur franco-américain y interprétait plusieurs chansons du «Zim», pas les plus connues d’ailleurs (Outlaw Blues, Three Angels, Tomorrow Is a Long Time), et donnait par la même occasion un avant-goût de sa performance dans le film du réalisateur new-yorkais James Mangold. Chalamet ne donne pas seulement chair à Dylan –la ressemblance physique est frappante–, il lui prête sa voix jusque dans le chant.

Adapté de l’ouvrage Dylan Goes Electric! d’Elijah Wald (Dylan électrique, Rivages, 2017), le biopic se focalise sur le début de carrière du chanteur jusqu’à son virage électrique au festival folk de Newport en 1965. Evénement soit dit en passant extrêmement mal vécu par certains de ses fans et les puristes de l’acoustique. Dans A Complete Unknown, Timothée Chalamet interprète lui-même à la guitare et en live une vingtaine de titres. Dont les emblématiques The Times They Are A-Changin’, Blowin’in the Wind et Like a Rolling Stone.

«Quarante pour cent du film, c’est de la musique. Il ne reste donc plus que 75 minutes, crédits compris, pour raconter l’histoire humaine», commentait Mangold, questionné sur les raccourcis narratifs de son long métrage.

Les biopics de quelque genre qu’ils soient ont toujours constitué un exercice particulier et périlleux pour les comédiens. Donner vie à des personnalités existantes, souvent décédées, implique des transformations physiques, une étude de la gestuelle et des mimiques. Cela nécessite aussi un important travail vocal. A fortiori quand les héros de ces films sont des chanteurs ou chanteuses. Et la vie tumultueuse des légendes de la musique n’a cessé d’inspirer le cinéma.

Synchronisation labiale

Elles sont vendeuses, évidemment, ces légendes qui emmènent leurs fanbases dans les salles obscures. Et lorsqu’un spectateur va voir un biopic sur un musicien célèbre, il s’attend à entendre ses chansons. Plus particulièrement encore sa voix.

Le challenge est compliqué et peut même se révéler insurmontable quand il s’agit d’une Whitney Houston ou d’un Freddie Mercury. Rami Malek, qui dut en plus porter des prothèses dentaires pour ressembler au chanteur de Queen, a poussé la chansonnette sur le tournage de Bohemian Rhapsody (2018), mais ce n’est pas lui qu’on entend dans les chansons. La production a eu recours à la synchronisation labiale. Elle a utilisé la voix de Mercury et celle de son sosie vocal, Marc Martel, qui a bluffé jusqu’à Brian May… La vidéo de Martel interprétant Somebody to Love pour le casting du spectacle Queen Extravaganza a d’ailleurs recueilli des dizaines de millions de vues.

Pour Backbeat, film sorti au milieu des années 1990 qui raconte, avec un casting modeste, l’histoire du cinquième Beatle Stuart Sutcliffe, le réalisateur britannique Iain Softley a embauché un des super groupes –all star bands– les plus prestigieux de l’histoire, réunissant Greg Dulli d’Afghan Whigs (pour la voix de Lennon), Dave Pirner de Soul Asylum (pour la voix de McCartney) mais aussi Thurston Moore de Sonic Youth, Mike Mills de REM et Dave Grohl de Nirvana…

La synchronisation labiale est un procédé courant. Même parfois quand ce sont des artistes qui se font embaucher pour incarner leurs confrères ou consœurs. Jennifer Lopez joue Selena Quintanilla-Pérez dans le biopic Selena (1997), mais ce n’est pas sa voix que l’on entend sur la majeure partie des scènes de concerts. Jamie Foxx, qui s’est plongé pendant douze heures par jour dans l’obscurité et est allé jusqu’à se faire coller les paupières pour préparer sa performance en Ray Charles, a sorti plusieurs albums dans les années 1990 et 2000. Il a partagé la scène avec Drake ou encore Kanye West. Mais pour son rôle dans Ray (2004), l’acteur n’a pas souhaité se faire passer vocalement pour le roi de la soul. Curt Sobel, en charge de la musique du biopic, a obtenu un accès complet aux archives d’enregistrements de Ray Charles. Avant qu’il ne s’éteigne, le chanteur a lui-même reproduit ses premiers enregistrements avec des musiciens de La Nouvelle-Orléans. Foxx a ensuite synchronisé ses lèvres pour un play-back plus vrai que nature. «Ray Charles était tout simplement trop génial, commentait à l’époque Sobel. Ça aurait été dommage de ne pas se servir de son génie quand nous en avons eu l’occasion.» 

Amy, Elvis, Elton…

Avec les progrès technologiques qui ne vont pas en ralentissant, les acteurs chantant dans les biopics devraient se faire rares. Mais c’est bien la comédienne britannique Marisa Abela, vue dans le Barbie (2023) de Greta Gerwig, qui interprète les chansons d’Amy Winehouse dans Back to Black (2024), Austin Butler qui a chanté les morceaux du King dans Elvis (2022), ou encore Taron Egerton qui entonne les titres d’Elton John (ils ont d’ailleurs étroitement collaboré) dans Rocketman (2019).

Austin Bulter, vraiment au micro dans le biopic Elvis.

C’est donc aussi le cas de Timothée Chalamet pour A Complete Unknown. Dans l’émission Quotidien présentée par Yann Barthès, l’acteur expliquait avoir dû se battre pour convaincre les producteurs. «Hollywood veut protéger ses journées de production et tu peux vite perdre dix ou douze heures si un acteur insiste pour chanter des chansons. Mais j’avais confiance en mon niveau. James [Mangold] était de mon côté, mais il y avait une énorme équipe de production musicale derrière. On avait passé un an et demi à préparer les chansons dans des studios. C’était comme de la porcelaine. Et l’exorcisme, ce fut de casser cette porcelaine par terre. Et de se relancer pour le faire en direct.»

Ce à quoi les spectateurs ont finalement droit, c’est à Timothée Chalamet qui chante et joue des chansons entières pour de vrai, live, sur le plateau de tournage. «Tu ne peux pas recréer ça en studio. Dès que je chantais sur une guitare préenregistrée, je pouvais immédiatement entendre l’absence d’un mouvement de bras dans ma voix.»

Le comédien n’était censé avoir que quatre mois pour préparer son rôle. Grâce à la pandémie et à quelques grèves hollywoodiennes, il a eu plus de cinq ans. Et celui qui a commencé en ne sachant quasiment rien de Dylan a terminé, comme il le dit, «en disciple dévot de l’église de Bob». Fan, qui jadis se rêvait rappeur, de Kid Cudi, Chalamet s’est laissé obséder, happer, absorber par le troubadour et prix Nobel. Il amenait sa guitare acoustique à ses cours de chant, où il débarquait parfois sans prévenir avec la voix du «Zim». Et possède sur son téléphone une vidéo de lui interprétant Don’t Think Twice, It’s All Right dans le pyjama intergalactique de Paul Atreides (son personnage dans Dune) et une photo sur laquelle il joue de la gratte dans son costume de Willy Wonka.

Joue-la comme Dylan…

Chalamet, qui a été jusqu’à accrocher des paroles de Dylan sur ses murs, a travaillé avec un professeur de guitare, un harmoniciste et même un préparateur physique pour la gestuelle. Mais il a aussi embauché un coach vocal et un coach en dialecte –un entraîneur, en somme, qui aide les acteurs à parler (et même ici à chanter) avec certains accents.

«Il n’a jamais cherché la facilité, raconte dans le magazine Rolling Stone son professeur de guitare Larry Saltzman, musicien de studio haut de gamme qui a tourné pendant des années avec Simon and Garfunkel. Quand je lui présentais quelque chose en lui disant: « C’est la bonne façon de faire mais c’est un peu un raccourci », il me répondait tout le temps: « Ne me montre pas les chemins de traverse ».»  

Pendant le tournage, le jeune acteur a essayé de rester le plus possible dans sa bulle. «Il était acharné, commente Edward Norton, qui campe le pionnier du folk Pete Seeger dans le film. Pas de visiteurs, pas d’amis, pas de représentants… Rien.» Monica Barbaro, qui joue Joan Baez, ne dit pas autre chose: «Timothée restait dans son monde, un peu, je pense, comme le faisait Bob.» Quand les deux acteurs ont commencé à se parler entre les prises, Mangold a repéré que la voix dylanienne de Chalamet avait tendance à glisser. «A ce moment-là, je pense qu’on s’est juste dit tous les deux: on arrête de causer.»

Barbaro, qui n’avait quasiment jamais chanté en public auparavant, interprète elle aussi dans A Complete Unknown les chansons de Joan Baez. Elle a, comme Chalamet, travaillé avec le coach vocal Eric Vetro qui a appris à Ariana Grande (il s’occupe d’elle depuis qu’elle a 15 ans) comment chanter comme Judy Garland et à Angelina Jolie comme Maria Callas (le film Maria vient de sortir en salles).

«On essaie de travailler sur l’essence de la personne, et non de l’imiter.»

Exercices frontaux-nasaux…

Hollywood a décidé qu’il était plus facile d’apprendre à des acteurs comment chanter qu’à des chanteurs comment jouer. Et Eric Vetro est un formidable allié. Le passeur rêvé. Vetro a montré à Austin Butler comment crooner comme Elvis Presley et travaille pour le moment avec Jeremy Allen White pour Deliver Me from Nowhere, biopic sur Bruce Springsteen actuellement en cours de production.

«A chaque fois, je me demande quelle est l’essence de cette personne, qu’est-ce qui fait que sa voix sort du lot. Le ton, la prononciation, tout cela, explique encore Eric Vetro dans Rolling Stone. Nous essayons de travailler sur l’essence de la personne, et non de l’imiter. La différence est énorme.»

Chaque cas est évidemment particulier. «Lorsque j’écoutais Bob Dylan il y a quelques années, j’avais conscience qu’il avait une voix unique, pas ce qu’on pourrait considérer comme une belle voix classique. Mais il s’agissait davantage d’écouter les mots, la musique et le message. Lorsque Timmy m’a dit qu’il voulait travailler avec moi sur A Complete Unknown, j’ai commencé à écouter Dylan d’une oreille complètement différente. Il y a évidemment la nasalité de sa voix, mais aussi sa façon de prononcer les mots. Je trouve très intéressant qu’en l’écoutant, il semble jeune et vieux à la fois. Même quand il était jeune, il avait l’énergie d’une vieille âme.»

Comment se prépare-t-on concrètement à chanter comme Bob Dylan? A s’approprier l’un des timbres les plus singuliers et identifiables de la musique moderne? «Nous faisions les exercices que je donnerais à n’importe qui pour renforcer sa voix, élargir sa tessiture. Ensuite, nous allions un peu plus vers ce que vous appelleriez des exercices frontaux-nasaux. Puis, au fur et à mesure que nous avancions, j’essayais de l’amener à se demander comment Bob ferait cet exercice. S’il devait prendre une leçon de chant, comment ferait-il? Qu’en penserait-il? Aurait-il envie de le faire? Serait-il intéressé?»

Vetro a vu Chalamet se transformer en Dylan, commencer à parler comme lui. «Je me souviens du premier jour où il est entré avec une guitare et un porte-harmonica autour du cou. J’ai été frappé de voir à quel point tout cela semblait naturel. On aurait dit qu’il faisait ça depuis toujours.» Le prochain rôle de Thimothée Chalamet s’inspirera à nouveau d’un personnage célèbre. Mais l’acteur pourra troquer sa guitare contre une raquette… Dans Marty Supreme de Joshua Safdie, Chalamet incarnera Marty Reisman, un champion de tennis de table américain des années 1950.

 

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