Catherine Graindorge, du théâtre à la musique, et un 2e album solo fabriqué avec John Parish
Son lumineux Eldorado avec John Parish succède à une longue liste de rencontres impliquant Detroit, Venus, Vervloesem, Hugo Race et Nick Cave. Portrait d’une insulaire bruxelloise, fille de l’avocat Michel Graindorge.
Avant de rencontrer Catherine Graindorge, on écoute avidement son deuxième album solo, Eldorado (lire la critique ci-dessous). Neuf quasi-instrumentaux flirtant avec une tradition électronique qui remonte au moins à Laurie Anderson et aux paysages cinésoniques contemporains. Pas un hasard puisqu’ici, les armes naturelles de Catherine sont la voix, le violon, l’harmonium et l’alto. L’enregistrement fait naturellement remonter des choses à la surface, comme cet instrument sombre qu’est l’harmonium, clavier chéri de Nico. Mais d’emblée, la Bruxelloise s’avère plus solaire que l’ex-Velvet teutonne. Elle atteste d’un parcours riche à l’international. Sans doute un rien flouté parce qu’il presse plusieurs héritages, dont celui des musiques classiques entendues pendant l’enfance chez le père, avocat, et la mère, pédiatre. Des parents de gauche qui soignent le programme de la fille: manifs et cours de violon. « Ma mère comme mon père étaient des gens engagés qui, souvent, travaillaient gratuitement. Des intellos de gauche mais pas du tout conventionnels. J’ai grandi à Boitsfort dans ces communautés un peu babas et mes parents se sont séparés quand j’avais onze ans. Mon père écoutait toujours le même concerto brandebourgeois de Bach, et puis aussi Abba et Míkis Theodorákis. » De la pop scandinave au compositeur grec communiste -les premiers reviennent aujourd’hui, le second vient de mourir-, il y a davantage qu’un grand écart esthétique. Le sens intuitif d’un monde complexe, comme le parcours de Catherine. « Jusqu’à seize ans, je baigne dans le classique, le Concours Reine Elisabeth, le violon. Et je suis aussi nourrie d’engagement citoyen, même si je ne me considère pas comme militante de grands combats, à la manière de mes parents. » Et puis, changement de cap: Catherine s’ennuie à étudier deux années la musicologie à l’ULB, « sauf au cours de Robert Wangermée (1) où l’on faisait du chant grégorien le samedi matin, j’adorais ». Suivent un cursus théâtre de quatre ans à l’IAD et un premier parcours, nourri de planches théâtrales et d’un peu de cinéma. Déclenchant, après plusieurs dizaines de pièces, le sentiment de lassitude des castings. La musique sera donc la voie suivie par Catherine Graindorge, notamment via la création du spectacle musical Animal au théâtre Le Public en 2010.
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Poupées russes
Lorsque le père de Catherine meurt en avril 2015 -il a 75 ans-, la musicienne consacre un spectacle (Avant la fin) à cet homme qui a défendu les victimes des « Tueurs du Brabant » mais aussi des truands à la François Besse, lieutenant de Mesrine. Michel Graindorge est même un moment soupçonné d’avoir procuré à Besse le revolver avec lequel il s’échappe du Palais de justice de Bruxelles en juillet 1979: il en sera totalement innocenté. « Je n’étais pas préparée à la mort de mon père, j’avais besoin d’en parler, et peu de temps avant sa mort, je lui ai demandé ce que je pouvais faire pour lui. L’idée d’un spectacle lui a plu… C’est d’abord un texte où je raconte cette fin de vie. Puis, je suis un peu remontée dans l’histoire de mes ancêtres, des Ardennais qui avaient été flic et gardien de prison (sourire ). Mon père avait fui cette famille très catholique wallonne. »
Rien ne laisse présager une connexion belgo-anglo-saxonne pour Catherine Graindorge. Pourtant, sur le principe des dominos, une rencontre en amène d’autres. « J’ai mis une vidéo de moi en solo au violon sur Facebook et je l’ai envoyée à des gens comme Pascal Humbert, membre français des Américains de 16 Horsepower, à Hugo Race, qui a joué avec Nick Cave, ou encore au réalisateur Hal Hartley. Ils m’ont répondu et je me suis liée d’amitié avec eux. Et des collaborations en sont nées. » Il y a donc notamment ce très bel album avec Hugo Race, Long Distance Operators sorti en 2017, de la trempe d’un Nick Cave, que Catherine rencontre via son violon magique sur un hommage rendu au leader décédé de Gun Club, Jeffrey Lee Pierce. « Hélas, ça a été à distance via Internet. » Elle en sourit. Comme souvent. Toujours avec son violon acoustique, transposé dans l’électronique de pédales à effets multiples, elle croise aussi la route importante de John Parish, célébré, entre autres, pour ses productions de PJ Harvey. « La sortie en 2012, de mon premier album solo, The Secret of Us All, m’a permis de rencontrer pas mal d’artistes au niveau international, et Parish m’a proposé de participer un an plus tard à un projet d’impro dans une ancienne usine de Derby, en 2013. » Début d’une relation musicale et amicale qui aboutit aujourd’hui à Eldorado. Le projet se développe via un label allemand et grâce à l’aide de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Le résultat discographique est impressionnant.
Justice
Et puis, un mot sur la collaboration avec Detroit, groupe post-condamnation Bertrand Cantat? « Je connaissais l’autre musicien de Detroit, Pascal Humbert, découvert dans 16 Horsepower. Humbert est un ami d’enfance de Cantat et ils avaient décidé d’enregistrer quelques morceaux dans le sud de la France, pour leur projet, qui a sorti un album en 2013. Pascal m’a proposé de venir jouer du violon sur quelques titres. J’y ai beaucoup réfléchi et j’en ai parlé à mon papa qui était alors à l’hôpital, avec des phases bien. Il m’a dit que Cantat avait purgé sa peine. Je ne le dédouane pas, je n’excuse pas, je vois quelqu’un qui essaie de revenir à la vie. Mais je n’y serais jamais allée si ce n’était pas Pascal qui me l’avait demandé. J’ai perdu des amis sur Facebook mais artistiquement, c’était formidable. » Justice, amitiés et grande musique: Graindorge mérite votre audience.
(1) le musicologue Robert Wangermée (1920-2019) fut aussi l’historique administrateur général de la RTBF de 1960 à 1984.
En concert le 03/10 au Botanique et le 09/10 à L’An Vert à Liège.
Catherine Graindorge – « Eldorado »
Distribué par Xango Music. ***(*)
Catherine Graindorge au violon, à l’harmonium et à la voix. John Parish à la guitare, à la batterie et aux claviers. Les deux coproduisent neuf quasi-instrumentaux en duo incandescent où les instrus sont parfois à ce point mutants qu’on ne sait plus identifier le violon de la guitare. Notamment sur l’ultime plage, Eno, titre citant le fameux expérimentateur anglais, pas si loin de son No Pussyfooting (1973) avec Robert Fripp. En moins noisy. Graindorge compose des paysages intemporels où flottent la perception anxiogène de l’époque (Lockdown) mais aussi une spiritualité allant jusqu’au mantra oriental (Butterfly in a Frame). Une proposition électro-organique qui se digère longuement.
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