Quatre westerns en BD dégenrés

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

De nouveaux westerns en BD démontrent que l’Ouest était bien plus diversifié qu’on ne le pense. La preuve en quatre séries ou albums récents. Fini la figure du cowboy macho!

Six – t.1: Le Massacre de Tanque Verde

De Philippe Pelaez et Javier Casado, éditions Dargaud.

Des femmes, un Noir, un Indien, un enfant… Autant de personnages le plus souvent cantonnés à des clichés dans le grand récit de l’Ouest américain. Les auteurs de ce premier volume de Six ont délibérément choisi de les mettre au premier plan de leur western, et ainsi “interroger notre façon de raconter l’Histoire et de construire ses mythes”. Même s’il reste un biais: le premier héros de la série, certes un parmi les six, est un caporal de l’armée fédérale, bien blanc et bien viril, “rétif à l’autorité et déserteur récidiviste”…

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Ladies with Guns – t.2

D’Olivier Bocquet et Anlor, éditions Dargaud.

Vous avez dit “ingrédients woke”? Ce Ladies with Guns les assument jusqu’à son titre, et dans son contenu, puisqu’il s’agit ici d’un “vrai” western particulièrement tonitruant, mais mené par des femmes en cavale “activement recherchées par des chasseurs de prime appâtés par la tâche, a priori facile, de se faire pas mal de pognon sur la tête de cinq gonzesses…”. Cinq “gonzesses” dessinées par une sixième, Anlor, rare dessinatrice à s’essayer au genre, au graphisme qui ne manque pas de testostérone.

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L’Odeur des garçons affamés

De Frederik Peeters et Loo Hui Phang, éditions Casterman.

Six ans après sa sortie, ce grandiose album dessiné par un Frederick Peeters au sommet de son art très “ligne claire”, mais surtout scénarisé par une femme, Loo Hui Phang, n’a rien perdu de sa puissance et de sa singularité, puisqu’il met en scène, dans des décors texans fidèles au genre, les désirs moites que nourrit un photographe pour le jeune homme qui le guide en territoire comanche… On avait rarement vu ça dans un récit sur la conquête de l’Ouest!

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La Venin (5 tomes parus)

De Laurent Astier, éditions Rue de Sèvres.

Laurent Astier pratique le renversement des clichés, jusqu’à la caricature: son héroïne, la jeune et jolie Emily, promise soit au mariage arrangé, soit à la prostitution de saloons, décide au contraire d’assassiner le gouverneur du Texas. C’est la première pierre d’une vengeance en cinq tomes, qui respecte presque à la lettre le cahier des charges du genre (chevaux, saloon, colts, Peaux-Rouges et cavalerie) mais s’en distingue en la jouant cow-girl.

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Des cow-boys pas comme les autres

On peut chasser les clichés du western sans obligatoirement devenir “wokiste”. À ce petit jeu, les fratries semblent particulièrement armées pour faire du western “autrement”. Ainsi Stern, remarquable série menée par les frères Maffre depuis quelques années et désormais cinq tomes (aux éditions Dargaud), collection de one-shot mettant en scène Elijah Stern, un croque-mort au Kansas en 1880, qui n’a que son métier en commun avec Undertaker, le western cette fois classique (mais superbe) créé par Ralph Meyer et Xavier Dorison. Car Elijah n’a rien du cow-boy viril, ombrageux ou alcoolique. Il tient plutôt franchement du gringalet incapable de se battre. D’un tempérament extrêmement calme, il ne revendique aucun courage (mais bien une grande intégrité), n’y connait rien au maniement des armes, et mène une existence solitaire que seuls les rencontres improbables et les hasards de l’existence détournent de sa passion première… Les livres et la littérature!

Ainsi, dans ce cinquième tome sorti fin avril, Elijah Stern se retrouve témoin et bientôt suspect d’un braquage de banque en compagnie d’un immigré italien qu’il se refuse à dénoncer comme on le lui demande, prétexte des frères Maffre, Frédéric au scénario et Julien au dessin, pour écorner justement ce mythe américain du western et de la conquête de l’Ouest en en soulignant le racisme et la corruption intrinsèques.

Dans un autre genre, plus humoristique, les frères Jouvray, eux aussi, ont réinventé les codes du western drôle dans Lincoln (éditions Paquet) en y injectant une solide dose de philosophie voire de métaphysique.

Leur cow-boy, aussi colérique que maladroit et grande gueule, a en effet rencontré, pendant une partie de pêche effectuée à la dynamite, pas moins que… Dieu. Un Dieu qui décide de le rendre immortel! Et depuis, Dieu et Satan se chamaillent son âme et ses actes à coups de petites phrases chuchotées à l’oreille, histoire de redonner un sens à sa vie. Une revisite comique mais pas dénuée de sens de la lutte éternelle du Bien contre le Mal, et aussi du western, organisée en famille (Jérôme dessine, son frère Olivier scénarise et son épouse Anne-Claire met en couleur), dont un dixième album se fait toujours attendre depuis le dernier, sous-titré Ni Dieu ni maître et sorti en 2017.

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