Il ne devrait pas y avoir de stand belge au prochain Festival BD d’Angoulême: «L’organisation actuelle se montre obstinément sourde et méprisante»


Des centaines d’auteurs et des dizaines de maisons d’édition ont déjà prévu de boycotter le prochain festival BD d’Angoulême, en janvier 2026. © BELGA
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Des centaines d’auteurs et des dizaines de maisons d’édition, dont beaucoup de belges, boycotteront la prochaine édition du plus important festival BD du monde. Dernier chapitre en date d’une saga mortifère, très mal gérée par des organisateurs dont plus personne ne veut. Ou presque.

L’annonce officielle serait imminente: faute de participants, le WBI, le bras armé et international de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), annulera la présence et la tenue de son célèbre stand au prochain Festival international de la bande dessinée d’Angoulême (FIBD). Un stand parmi les plus imposants de la bulle dédiée aux éditeurs alternatifs, laquelle pourrait elle-même disparaître du paysage, là aussi faute d’éditeurs et d’auteurs!

Le conflit qui couve depuis des mois, voire des années, entre, d’une part, une grande partie du monde de la bande dessinée et, d’autre part, le gestionnaire du festival, la société 9e Art+ et son directeur Franck Bondoux, et désormais l’association fondatrice du festival elle-même, a atteint le week-end dernier un point qui pourrait bien être de non-retour. Delphine Groux, fille du fondateur du FIBS et détentrice de la marque, a confirmé 9e Art+ comme gestionnaire de l’événement, après un appel d’offres très contesté, voire de façade, et ce, pour neuf ans. Too much pour des auteurs, des éditeurs et de multiples associations qui demandaient au contraire un renouvellement (urgent) de la structure et de son incarnation, plombé par les affaires et le mépris affiché face à la fronde. Dès l’annonce, le hashtag #NoFIBD2026 a explosé sur les réseaux et les annonces de boycott se sont enchaînées et multipliées, promettant cette fois de réellement vider le festival de sa substance, à savoir ses auteurs.

On se dirige vers une 53e édition surréaliste et explosive, dont l’affluence sera le dernier juge.

Une organisation sourde

En France, dans la foulée d’Anouk Ricard, élue par ses pairs «Grand prix 2025», qui avait déjà annoncé depuis des semaines qu’elle renonçait à l’énorme et historique rétrospective à laquelle elle avait droit, au moins une trentaine de maisons d’édition indépendantes ont fait savoir qu’elles renonçaient à être présentes, dont L’Association, Cornelius, Çà et Là, 6 Pieds sous Terre, Misma, L’ArtichoMais aussi, pour l’instant, une poignée de maisons appartenant à de grands groupes comme Albin Michel, Denoël ou Actes Sud. Un mouvement de rejet auquel s’est ajouté un «Appel des Grands prix d’Angoulême» pour dire «d’une seule voix qu’il est grand temps de tourner la page 9e Art+ pour que le Festival retrouve, avec de nouveaux opérateurs, les valeurs qui ont construit sa notoriété internationale». Vingt Grands prix ont jusqu’ici signé l’appel, soit la crème de la crème de la BD mondiale: Art Spiegelman, Chris Ware, Tardi, Blutch, Riad Sattouf, Lewis Trondheim, ou encore les Belges François Schuiten et Hermann.

En Belgique, ce sont Les Impressions nouvelles, La 5e Couche, Fremok et L’Employé du Moi, soit l’essentiel des éditeurs représentés sur le stand Wallonie-Bruxelles, qui ont adressé une lettre commune au WBI lui annonçant leur absence, résumant la triste situation: «Les griefs et les critiques se sont accumulés depuis des années, à l’encontre de 9e Art+, pour sa gestion humaine, artistique, commerciale: management toxique et turn-over insensé du personnel et des cadres, mépris des auteurices, partenariats public-privé et cofinancement des expositions promotionnelles par les éditeurs, mépris du public avec un coût du billet d’entrée de plus en plus prohibitif, prix exorbitant des tables, etc. A tout cela, l’organisation actuelle se montre obstinément sourde et méprisante, et elle le fait savoir.»

Les gros rejoignent les petits

On peut douter, au vu des épisodes précédents (lire encadré), que ce boycott, premier du genre dans l’histoire du festival, fera reculer ladite organisation avant l’ouverture de ce dernier dans moins de trois mois, fin janvier. Et ce, malgré les pertes financières que représentent à eux seuls l’annulation des stands –Delphine Groux ayant pour l’instant réagi en dénonçant un «scandaleux Bondoux-bashing».

Le bras de fer risque, au contraire, d’aller jusqu’à son terme, et vers une 53e édition surréaliste, amputée et explosive, dont l’affluence sera le dernier juge. Quelle sera en effet la réaction du public et des 200.000 visiteurs face à un festival réduit, artistiquement asséché, mais pas encore inexistant? Car si la fronde semble unanime chez les indés, les grandes maisons classiques, elles, représentées par le Syndicat national de l’édition (SNE) (parmi lesquelles tout le groupe Médias-Participations –Dargaud, Lombard, Dupuis, Glénat, Delcourt…) ont tenté de temporiser en menaçant de boycott l’édition… 2027, avant, 24 heures plus tard, de se rallier à ce qui ressemble maintenant à l’avis de la majorité de la profession. En effet, ce 11 novembre, Dupuis, Dargaud-Lombard et Casterman annonçaient à leur tour renoncer à leur présence à Angoulême en janvier prochain. On voit mal désormais comment le Festival international de bande dessinée pourrait avoir lieu dans trois mois. Et s’il pourra tout simplement survivre à pareille crise de confiance.

FIBD,  20 ans de casseroles

C’est en 2003 que Franck Bondoux, puis sa société 9eArt+, ont pris les rênes du festival d’Angoulême créé 30 ans plus tôt, pérennisant son succès populaire et sa renommée internationale, mais se mettant en même temps et petit à petit à dos une part importante de la profession pour ses choix artistiques ou commerciaux (avec un financement de plus en plus opaque et dépendant largement des pouvoirs publics et d’opérateurs privés) et le peu d’égards dévolus aux auteurs et autrices, pourtant indispensables. Un management discutable auquel s’est ajouté récemment un schisme plus générationnel et «politique» entamé avec l’exposition finalement annulée de Bastien Vivès et devenu définitif avec le renvoi, il y a deux ans, d’une employée pourtant victime d’agression sexuelle pendant le festival. Une convergence des luttes, professionnelles et plus «wokistes» mêlant boycott et «girlcott», qui brouille encore la lisibilité de ce conflit corporatiste qui échappe, pour l’essentiel et à tort sans doute, au grand public. La 5e Couche avait édité il y a deux ans Angoulême BD. Une contre-histoire, écrit, à charge, par Philippe Capart et Nicolas Finet. Rapidement épuisé, il est désormais gratuitement disponible en ligne, et surtout remis régulièrement à jour.

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