Hippolyte a passé un an avec SOS Méditerranée et en a tiré une BD: « Sauver, ça nous sauve nous aussi »

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Avec la BD Le Murmure de la mer, Hippolyte apporte un témoignage bouleversant sur la réalité de la route migratoire la plus meurtrière du monde.

« Sauver, ça sauve les gens, mais ça nous sauve nous, aussi. » Cette phrase, cette certitude, l’auteur français Hippolyte en a fait le fond de son dernier ouvrage, Le Murmure de la mer, et elle va se répéter maintes et maintes fois au cours des rencontres qui ont commencé à suivre ce livre important. Il l’a forgée au cœur du pire et du meilleur de l’humain: en sauvant littéralement de ses propres mains des bébés et enfants condamnés à mourir au milieu de la Méditerranée si l’Ocean Viking n’était pas passé par là. Hippolyte a en effet passé près de deux mois sur le bateau de SOS Méditerranée et plus d’un an avec ses équipes, pour en ramener, outre des vies, un témoignage bouleversant sur la réalité de la route migratoire la plus meurtrière du monde et sur le boulot de cette « armée d’invisibles » qui lui a permis de tenir face à l’innommable.

Même s’il lui a fallu « six mois pour m’en remettre ». « On ne descend jamais vraiment du bateau. À bord, j’ai trimé, je sauvais, je participais à quelque chose. Tu as l’impression de changer les choses. Mais quand on rentre, on se rend compte que le train continue, encore plus vite, encore plus fort, encore plus écrasant. Je voyais l’actu qui continue, le bateau qui repart en mer et qui ne vit pas que des sauvetages heureux. Mais je voulais aussi montrer la beauté. J’ai vécu là avec eux les moments les plus durs de ma vie, mais les plus beaux aussi. Ce livre et cette conviction m’ont permis de remettre du sens. »


Mêler le dur et beau, en trempant la crue réalité dans une douce poésie, Hippolyte -Franck Meynet de son vrai nom- en a fait une de ses marques de fabrique en bande dessinée. Né en 1976 en Haute-Savoie, il compte déjà une dizaine d’albums à son compteur, tant des adaptations (de Bram Stoker ou Stevenson) 
que des fictions (Les Ombres ou Incroyable! avec Vincent Zabus), mais c’est dans le reportage dessiné qu’il a imprimé sa marque, entre autres pendant dix ans passés au sein de la revue XXI. Le reportage, le voyage et l’engagement sont trois composants de son ADN « qui précèdent la BD« , nés d’un voyage au Liban à l’âge de 18 ans. « Mon père était agent de voyage, j’avais fait tous les clubs Med du monde, mais cet été-là, ma mère m’a pris un billet d’avion ouvert pour Beyrouth et un chantier humanitaire. Je voyais enfin ce qu’il y avait derrière les cartes postales, et je n’ai plus jamais voyagé de la même manière.

Le Murmure de la mer

D’Hippolyte, éditions Les Arènes BD, 224 pages.

Depuis 2014, et selon une estimation effectuée il y a des mois déjà, 22 631 femmes, hommes et enfants sont morts noyés dans la Méditerranée en essayant de rejoindre l’Europe. Mais depuis 2015, l’association SOS Méditerranée a porté secours, elle, à 39 165 personnes, qui auraient sinon été plus que probablement condamnées au même sort. C’est dire l’importance et l’énormité du travail effectué par les équipes du navire Aquarius d’abord, de l’Ocean Viking ensuite, sur lequel l’auteur Hippolyte (lire son portrait page 5) a voulu embarquer pour, comme souvent, « aller voir et porter une parole ». « Je suivais depuis longtemps le travail de SOS Méditerranée, je voyais des communiqués et des reportages très factuels, mais je ne savais pas qui était à bord, qui composait cette incroyable chaîne humaine permettant concrètement de sauver des vies. » Avec Le Murmure de la mer, désormais, on sait, et on ne pourra plus oublier ce qui se passe chaque jour dans ce bijou du tourisme mondial devenu fosse commune. Un combat contre l’invisibilité des migrants et un témoignage en dessins bien plus fort que tous les reportages trop courts, entre autres par la grâce graphique et narrative d’Hippolyte, qui tient ici son grand œuvre bien au-delà de son utilité -il reversera la moitié de ses droits à l’association. L’auteur arrive en effet à mêler de poésie et de silence ce récit basé sur une réalité complexe et crue, transformant son BD reportage en un puissant roman graphique. Car il y use aussi, et à chaque fois à propos, de toutes les techniques graphiques à sa disposition pour faire passer témoignage, infos et ressenti. Ainsi, quand la photographie vient sans préambule se greffer sur le dessin, le réel vous saisit à la gorge. Hippolyte donne alors un visage au bébé et aux migrants qu’il vient de sauver des eaux. Des visages à la fois bouleversants, et soudain inoubliables.

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