Notre journaliste BD a fait le point sur 2025. Voici son Top 10 des meilleurs albums sortis cette année, avec les critiques en lien.
Le Top 10 d’Olivier Van Vaerenbergh
1. La Terre verte, de Alain Ayroles, Hervé Tanquerelle et Isabelle Merlet (Delcourt)
On l’avait qualifiée de must have à sa sortie, on confirme des mois plus tard, tant son souffle et nombre de ses cases nous sont restés dans la tête: cette «terre verte», comme on nommait, mal, le Groenland au XVe siècle, est le théâtre d’un drame shakespearien comme seul Alain Ayroles pouvait l’écrire et Hervé Tanquerelle le dessiner: Richard III n’est pas mort, il reste assoiffé de pouvoir, aveuglé par l’hubris et mû par l’envie de conquérir cette «terre de misère». Brillant.
2. Sangliers, de Lisa Blumen (L’Employé du Moi)
On ne l’a pas classée numéro un parce qu’on l’avait déjà fait avec Astra Nova, son précédent album, il y a deux ans. Lisa Blumen n’en est pas moins l’une des grandes autrices BD d’aujourd’hui: ce Sangliers offre une plongée aussi anxiogène qu’esthétisante dans le monde de Nina MakeUp, influenceuse qui perd pied, dans un univers glossy devenu rouge sang. Une réflexion profonde sur les nouveaux diktats de la beauté et la solitude des réseaux. Une grande œuvre bédéesque contemporaine.
3. Le Nirvana est ici, de Mikael Ross (Seuil)
Si les échos médiatiques de la bande dessinée se sont focalisés cette année sur une BD du réel qui use et abuse de l’autobiographie ou du BD-reportage, les œuvres de pure fiction font toujours le sel et le meilleur du Neuvième Art, à l’image de ce Nirvana, thriller contemporain d’un dynamisme fou dont on avale d’une traite les 350 pages. On n’avait pas vu venir ce récit mettant en scène des vietnamiens à Berlin, tarantinesque, tragicomique et haletant. La bonne surprise de l’année.
4. Rouge signal, de Laurie Agusti (2042)
La première œuvre pour adultes de Laurie Agusti réussit l’exploit, à l’image d’une Lisa Blumen, de mêler grande œuvre esthétique et grand sujet de société: dans Rouge Signal, l’autrice suit le parcours mortifère d’un incel, homme solitaire mais inoffensif se transformant petit à petit en un masculiniste de la pire espèce, bientôt prêt à mettre le feu à l’onglerie d’en face, remplie, elle, d’une chaleureuse sororité. Une fiction tenant presque du documentaire, magnifiquement mise en images.
5. Marcie, de Cati Baur (Dargaud)
Que de tendresse, d’humour et d’humanisme dans cet album qui fait enfin d’une femme proche de la ménopause une héroïne de bande dessinée. A savoir Marcie, tellement invisible aux yeux de tous, à commencer par ceux, ingrats, de sa fille adolescente, qu’elle va en faire la force de sa reconversion: devenir détective privée! Catie Baur s’impose ici comme une Posy Simmonds suisse adepte de cosy mystery, au verbe et au trait aussi originaux que délicieux.
6. La Ville, de Nicolas Presl (Atrabile)
Pas un mot, comme toujours, dans ces 312 nouvelles pages de Nicolas Presl, mais que de claques graphiques! Dans son nouveau récit muet, l’auteur imagine une ville futuriste en bord de mer envahie par les zombies, prétexte à laisser éclater la colère sociale qui habite nombre de ses récits. Dans le genre muet, on pointera aussi cette année le fantastique GariGari; de Hugues Micol. Deux œuvres à vous laisser bouche bée.
7. Démontagner, de Maxime Cain (Actes Sud)
On peut être un excellent auteur de bande dessinée et, en même temps, gardien de troupeau de brebis dans les Pyrénées. Maxime Cain mêle ses deux professions dans ce fantastique récit graphique découvert dans le fanzine Bento, devenu très bel album chez Actes Sud: le pastoralisme raconté et dessinée de l’intérieur, dans des compositions à l’encre de chine d’une beauté tantôt très noire, tantôt très blanche.
8. Le Retour, d’Antoine Cossé (Cornelius)
Un drame étrange et évanescent mêlant gueules cassées, toboggan et ptérodactyles, avec des références au Lovely Bones de Peter Jackson, aux scénarios «étranges» d’Andy Kaufmann ou à «l’univers sensitif» de David Lynch: trois ans après Metax, le toujours singulier Antoine Cossé revient avec un Retour qui n’appartient vraiment qu’à lui. Mais qui hypnotisera le plus blasé des lecteurs.
9. Super A (T. 1), de Jérémie Moreau (Ronces)
Jérémie Moreau, sans doute l’un de nos auteurs préférés de ces dix dernières années, ne déçoit pas en se lançant dans sa première série jeunesse: les premières aventures de Aldo et sa petite sœur qui se découvrent des pouvoirs archéens, à savoir la capacité de prendre la forme de tous leurs ancêtres animaux, est juste for-mi-da-ble, tant dans le dynamisme de son trait nourri de mangas, que de son sous-texte, écolo et profond. Vivement la suite.
10. Charlotte impératrice (T. 4), de Matthieu Bonhomme et Fabien Nury (Dargaud)
Impossible de passer à côté du dernier tome de la «bio-graphie» de «notre» princesse Charlotte, martyre de l’histoire et de notre monarchie, passée d’impératrice du Mexique à recluse. Un destin magnifié par le souffle narratif de Fabien Nury, et graphique de Mathieu Bonhomme, tous deux à leur sommet. Une très grande tragédie en images, et déjà un classique de la BD franco-belge semi-réaliste.