Critique | BD

Acting class: un atelier théâtre qui tourne au cauchemar

© National

Nick Drnaso, éditions Presque Lune

Acting Class

266 pages

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

L’histoire d’un atelier de théâtre étrange et bientôt cauchemardesque, à l’image de ce grand roman graphique hypnotisant et (très) déroutant.

Ils sont une poignée et n’ont a priori rien à voir les uns avec les autres. Si ce n’est d’avoir tous décidé de se rendre à un atelier de théâtre qui se donne dans le quartier (“les quatre premiers cours gratuits”), et d’être tous, on le comprend vite (et ce sera bien la seule chose que l’on comprendra vite dans cet Acting Class), très fragiles socialement, ou psychologiquement. Il y a là Rosie et Dennis, déjà mal à l’aise après quelques années de mariage et qui tentent très maladroitement de se reséduire; Rayanne, une mère de famille obnubilée par son fils de 3 ans qui va présenter des syndromes d’instabilité mentale; Lou, un ouvrier plein de muscles et pris de terreurs nocturnes; Angel, embarrassée et maladroite, qui fait du lettrage sur des ersatz de Playmobil pour garder un semblant de vie sociale; Gloria, grand-mère perpétuellement inquiète pour Beth, sa petite-fille adulte, qui ne la lâche pas. Et puis encore Thomas, Neil ou Danielle, autres exemples de la classe moyenne américaine à côté de ses baskets, et bientôt à coté de la réalité.

Car les cours de l’étrange et affable Monsieur Smith ne sont à nulle autre pareil. Exercice par exercice, saynète par saynète, il les embarque dans un voyage où la fiction va se confondre avec la réalité, où les caractères s’inversent et où ils finiront tous par ne plus distinguer le cauchemar éveillé de l’exercice théâtral. Et notre échantillon US de basculer soudain dans une réalité parallèle, métaphore sur planches de l’Amérique de Trump, incompréhensible, inaudible et fracturée. Et qui a elle-même transformé la vérité en opinion (et vice versa).

© National

Minimalisme et fluidité

Après Beverly en 2018 et Sabrina un an plus tard, le jeune surdoué Nick Drnaso marque encore un grand coup avec cette Acting Class impressionnante et étouffante. Soit près de 300 planches qui ne sortent que rarement de leur canevas strict (quatre bandes serrées de trois à quatre cases) et de leur ton grave, proposant une expérience de lecture unique, mélange de malaise (voire de rejet), d’exaltation et de fascination pour l’univers de ce nouveau roi de la ligne claire américaine, tendance intimiste, dans la droite lignée des Adrian Tomine, Chris Ware et autres Daniel Clowes. Drnaso a assimilé et creusé plus encore son goût de la mécanique millimétrée, qui s’avère ici d’une incroyable fluidité pour une narration si complexe, mêlant le vrai au faux sur un fil perpétuellement tendu. Surtout, l’auteur pousse son graphisme dans ses retranchements les plus minimalistes, rendant, à dessein, presque indistincts les traits, les genres et les émotions de chaque membre de cette “acting class” presque expérimentale. Et dont on ne ressort pas indemne -pour peu qu’on ait réussi à y entrer.

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