Zen altitude avec Paolo Cognetti et son nouveau roman « La Félicité du loup »
Avec La Félicité du loup, Paolo Cognetti signe une ode simple et profonde à la montagne et à ceux qui l’habitent, dans un récit vibrant à l’unisson d’un monde changeant et immuable à la fois.
Les Huit montagnes, le roman qui a fait connaître Paolo Cognetti, en 2017, empruntait son titre à un récit fait par un vieux Népalais au coeur de l’Himalaya. Lequel, après avoir dessiné le Sumeru et les huit montagnes et autant de mers l’encerclant, questionnait en ces termes le sens de l’existence: « Lequel des deux aura le plus appris? Celui qui aura fait le tour des huit montagnes, ou celui qui sera arrivé au sommet du mont Sumeru? » Quatre ans plus tard, ce sont les Trente-six vues du mont Fuji, d’Hokusai, qui éclairent La Félicité du loup, le nouvel opus du romancier italien, et son protagoniste, Fausto: « Il trouvait mille correspondances entre ces estampes anciennes et ce qu’il voyait de sa fenêtre. A Fontana Fredda, les montagnards brûlaient genévriers et broussailles, tiraient la herse pour raser les taupinières, Gemma passait cueillir de la chicorée avec un canif: seule au milieu d’un pré, elle se penchait tous les deux ou trois pas et en remplissait des sacs entiers. Ici aussi, tout le monde semblait ignorer le Fuji qui les observait. » Soit le mont Rose en l’occurrence, le Val d’Aoste prêtant son cadre à un récit qui s’ouvre alors que Fausto, écrivain à l’entame de la quarantaine et à la vie en jachère tant sur le plan sentimental que professionnel, débarque de Milan à la veille de l’hiver en quête d’ailleurs, « savourant le sel de la liberté et remâchant l’amertume de la solitude ». Pour se voir bientôt enrôlé comme cuisinier par la patronne du Festin de Babette, un resto à la clientèle de montagnards et de skieurs, où il fait la connaissance de Silvia, la nouvelle serveuse, bourlingueuse de 27 ans débarquée dans des dispositions voisines. Ces deux-là sont faits pour devenir amants ; leur relation épousera les contours accidentés des reliefs qui les entourent.
Je voulais raconter la montagne réelle, avec le travail, les montagnards, un environnement un peu plus dur et ruiné par l’homme.
Il y a du Paolo Cognetti chez Fausto, cet homme tournant le dos à la ville pour se réfugier dans la montagne, tout comme on retrouvait l’auteur en Pietro, l’un des deux protagonistes principaux des Huit montagnes, dont l’histoire renvoyait à ses souvenirs d’enfance. Milanais d’origine, le romancier réside à la belle saison dans un hameau du Val d’Aoste pour redescendre l’hiver dans la plaine, où il se consacre à l’écriture. « Avant, c’était le contraire, je venais ici pour écrire, observe-t-il, en appréciant le paysage qui dévale devant son refuge d’Estoul. Puis, j’ai commencé à sentir que l’été était trop précieux pour rester dans la maison à écrire, et que je pouvais vivre, marcher et travailler l’été, et penser en hiver. » Une vie au rythme des saisons, comme celles qui impriment leur rythme à ses romans.
La montagne rêvée et la montagne réelle
Quand on l’interroge sur les raisons l’ayant ramené à cette montagne qu’il associait au territoire de l’enfance, Paolo Cognetti évoque l’impact déterminant de Into the Wild, le film de Sean Penn et le livre de Jon Krakauer, qui l’ont « changé de perspective. J’ai compris que c’était absurde d’avoir quitté la montagne, parce que c’était mon lieu ».
Aux côtés d’Hemingway et de Jack London, que l’on croise au fil de ses pages, il cite Mario Rigoni Stern, l’auteur du Sergent dans la neige, et l’un des premiers écrivains transalpins à s’être aventurés du côté de la littérature de montagne. « Pour une raison que j’ignore, nous avons toujours eu, en Italie, une littérature très urbaine, et peu de nature writing. Même si nous avons tous les éléments à disposition, la montagne, la mer, c’est une tradition que nous n’avons pas. » Ne restait, dès lors, qu’à la (ré)inventer.
Si sa prose vit et vibre avec ceux qui la peuplent – Fausto et Silvia, bien sûr, mais encore Babette ou Santorso, l’ex-garde-chasse rugueux, et d’autres, jusqu’au loup, de retour en quête de félicité -, l’auteur fait de la montagne les enveloppant un personnage à part entière. « On idéalise la montagne quand on en est loin. Dans Les Huit montagnes, on trouve beaucoup la montagne de l’enfance, assez symbolique, parce que pour Pietro, c’est une montagne rêvée. Dans ce nouveau roman, je voulais raconter la montagne réelle, avec le travail, les montagnards, la vie quotidienne, un environnement un peu plus dur et ruiné par l’homme. » Un monde immuable et changeant à la fois, qu’il restitue d’une écriture simple et lumineuse en trente-six courts chapitres comme autant de vues, manière d’en toucher à l’essence, pour mieux pénétrer le mystère des choses.
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