Zaï Zaï Zaï Zaï, dérapage contrôlé
François Desagnat adapte Zaï Zaï Zaï Zaï, la BD culte de Fabcaro, dont il tire une savoureuse comédie dystopique aux allures de miroir déformant du monde. Entretien.
Par un curieux concours de circonstances, Zaï Zaï Zaï Zaï, la BD culte de Fabcaro, aura fait l’objet de deux adaptations fort différentes en l’espace de quelques semaines à peine: au théâtre de Poche d’abord, sous la forme d’un roman-photo mis en scène avec brio par le Collectif Mensuel. Et au cinéma ces jours-ci, François Desagnat ayant choisi de la décliner en mode comédie noire. Parue en 2015, la BD conjuguait habilement humour absurde et critique sociale, un cocktail détonant pour le coup qui a eu le don de séduire le réalisateur de Adopte un veuf. « Cet humour-là me correspond particulièrement, explique-t-il, joint par Zoom. J’aime ce qui a du sens, raconte des choses, mais en les tournant un peu en dérision. C’est à cet endroit-là que Zaï Zaï Zaï Zaï m’a parlé: par cette capacité à évoquer des choses sérieuses, mais avec de la distance et beaucoup d’absurde. »
Des planches au cinéma, il n’y avait sans doute qu’un pas, qu’il a longtemps hésité à franchir cependant -« cela me paraissait trop fou« , soupèse-t-il. Ce qui ne l’empêchera pas de partager son enthousiasme pour la BD, l’offrant généreusement autour de lui. Et notamment au producteur Thibault Gast, un soir où il était venu dîner chez lui. Petite cause, grands effets: « Le lendemain, il m’a appelé en me disant: « Putain, c’est absolument génial, il faut le faire« . Cette énergie, le fait de sentir le soutien d’un producteur qui était juste un ami, et avec qui je n’avais encore jamais travaillé, a fait qu’on s’est lancés. J’avais besoin de me reposer sur des gens qui y croyaient autant que moi: il y avait un côté casse-gueule à cette proposition, et le fait d’y croire à plusieurs rendait forcément les choses plus faciles. » Et de s’atteler au travail d’adaptation, François Desagnat s’employant, avec son complice d’écriture Jean-Luc Gaget, à préserver le ton de la BD, tout en y apportant certaines variations. Auteur de bandes dessinées dans la version originale, le protagoniste central devient ainsi acteur de comédie à l’écran, prétexte à une savoureuse mise en abyme, tandis que son histoire personnelle se voit sensiblement étoffée. De quoi donner, avec la bénédiction de Fabcaro, un surcroît de chair au film, le graphisme simple et épuré de la BD laissant par ailleurs une grande liberté d’interprétation.
Désamorcer les choses
Zaï Zaï Zaï Zaï (lire critique) relate les mésaventures de Fabrice, un homme sans histoire qui, parti faire les courses de la famille au supermarché, se voit bientôt pris à partie par un vigile pour avoir oublié sa carte de fidélité. Et de se faire la malle armé d’un… poireau; le prélude à une fuite en avant qui le verra tenter de gagner la Lozère tandis que les forces de l’ordre se mobilisent -« vous parlez le lozérien?« – dans une effervescence attisée par les médias et les réseaux sociaux. Toute ressemblance avec le monde dans lequel nous évoluons n’est évidemment nullement fortuite, le propos lorgnant vers la satire aimablement délirante. « Le principe de la dystopie est d’exagérer la société actuelle pour, d’une certaine manière, alerter sur ses excès possibles, probables, voire presque déjà présents. Utiliser la comédie à cet effet, c’est une manière de désamorcer le drame, et de montrer à plein d’endroits le ridicule de certaines situations. Plutôt que la polémique ou l’engagement militant, je préfère des gens qui s’amusent, et montrent à quel point certaines choses peuvent être dérisoires. Après, dans les films plus traditionnels que j’ai pu tourner avant, j’ai toujours cette pudeur dans l’émotion. Amener de la comédie en plus met l’émotion en relief, tout en ne tombant pas dans la facilité. » Ou comment, sous la légèreté assumée, brasser des sujets sensibles -l’obsession sécuritaire, les dérives des médias, et autres- jusqu’au suicide adolescent, dans une scène directement importée d’une planche de la BD: « Il y a deux scènes sur lesquelles je me suis posé des questions, celle-là et celle du comédien qui s’immole par le feu pour protester, par égard pour les gens qui sont vraiment en détresse et qui posent ce geste désespéré. Mais je pense que normalement, l’on doit pouvoir rire de tout. Il faut réfléchir et trouver le bon endroit des choses, tout en veillant à ce qu’il n’y ait pas trop de sensiblerie, ni à se faire trop d’auto-censure. Et cette réflexion, on l’a eue en faisant le film… » Sans pour autant se brider sur l’impertinence, ou laisser le politiquement correct vider l’entreprise de sa substance corrosive.
Le dosage ainsi trouvé, ne reste plus qu’à se laisser entraîner à la suite de Jean-Paul Rouve (et quelques autres, dont Yolande Moreau, impériale dans un rôle de commissaire improbable) dans ce curieux jeu de dominos: « Jean-Paul, je lui ai parlé du projet avant même d’avoir terminé la première version du scénario, pour deux raisons essentielles: la première, c’est qu’on avait depuis longtemps envie de faire un film ensemble, et ce projet représentait le moment parfait pour y arriver. Et l’autre, c’est que par rapport au ton de la BD et à celui qu’on voulait mettre dans le film, le lui proposer semblait évident: il y avait une filiation naturelle avec ce qu’il avait pu faire avec les Robin des Bois… » Voir Fabrice cavaler sur les routes de France et de Lozère, c’est d’ailleurs s’en convaincre…
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