Who’s Afraid of Virginia Woolf?, attention aux jets de venin

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Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Dans cette version hors norme de Who’s Afraid of Virginia Woolf ?, Mesut Arslan, un des  » visages  » du KVS, tente la proximité totale entre acteurs et spectateurs. Ce qui peut décontenancer, mais séduit.

On avait vu ce procédé utilisé en danse, dans cette même salle (la Box du KVS), dans Invited de Seppe Baeyens, et ailleurs aussi, par exemple dans Dumy Moyi de François Chaignaud à la Raffinerie de Charleroi danse. Mais on ne pensait pas qu’il était possible de l’appliquer au théâtre. Et pourtant si ! Le metteur en scène Mesut Arslan s’y risque et convainc avec cette version particulièrement étonnante de Who’s Afraid of Virginia Woolf ?, le classique d’Edward Albee (1962), transposé au cinéma par Mike Nichols, avec le duo infernal Elizabeth Taylor-Richard Burton dans les rôles principaux.

Mesut Arslan escamote ici complètement la scène. « Pour moi le théâtre ne commence pas avec Aristote, mais bien avant, autour d’un feu. J’aime les histoires linaires mais j’essaie de construire des espace de performance circulaires, avec un public mobile, où l’on peut avoir beaucoup plus d’expériences, comme autour d’un feu, confiait-il lorsqu’on l’avait rencontré pour la première fois, à Istanbul. On avait vu dans la capitale turque son étonnant When in Rome, où la scène se limitait déjà à une mince allée entre deux gradins, dans un dispositif bifrontal, et où le jeu s’éparpillait dans la salle.

Dans cette joute verbale sans pitié qu’est Who’s Afraid, il n’y a plus du tout d’espace scénique délimité pour les acteurs, plus de gradins pour le public, plus de rangées de sièges. C’est la salle entière qui est remplie de chaises, disposées dans désordre apparent, pointant dans toutes les directions. Le seul élément « spectaculaire » visible est au plafond : un énorme bouquet de projecteurs (signé Jan Maertens), en carré, offrant un dégradé de couleurs du vert au rose en passant par l’orange.

Who's Afraid of Virginia Woolf?, attention aux jets de venin
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Si les acteurs n’évoluent pas dans un espace à part, cela signifie donc qu’ils sont parmi nous. Cela se confirme lorsque Darya Gantura (bien connue en Flandre comme héroïne de la série VTM Ella), incarnant Martha, prend la parole, en citant Bette Davis : « What a dump ! » Et c’est parti pour le torrent de venin et de fiel qui va se déverser pendant toute la nuit des bouches de Martha et de son George, et dans lequel vont être emportés leurs jeunes invités Nick et Honey.

Si ce choix de proximité totale -où la scène se limite en fait à la surface horizontale des chaises- fonctionne, c’est avant tout grâce à l’aura magnétique du duo principal. Darya Gantura et Frank Dierens (George, donc) sont de vraies bêtes de scène, capables de tout. Pour répondre à leurs assauts empoisonnés, Rashif El Kaoui, dans la peau du jeune biologiste arriviste, et Dorien De Clippel, dans celle de l’oie blanche bourrée au cognac, ne déméritent pas.

Si ça marche, c’est aussi parce que cet espace totalement modulable, à l’horizontale mais aussi par empilements, est travaillé pour matérialiser les relations en jeu. Ou plutôt les « jeux en jeu » : jeux de pouvoir, jeux de manipulation, jeux de séduction… Une matérialisation encore renforcée par la présence d’un choeur, indécelable au départ mais qui ensuite ne va pas se gêner pour prendre de la place et prendre parti.

Une expérience incomparable, à laquelle on ne peut que convier les spectateurs qui ne craignent pas de sortir de la zone de confort habituellement offerte par les fauteuils de théâtre, là, dans le noir, bien à l’abri.

Who’s Afraid of Virginia Woolf ? (en NL surtitré FR et EN): jusqu’au 8 novembre au KVS (Box) à Bruxelles.

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