Serge Coosemans

Tyler Durden, Michel Houellebecq et Morrissey dans la tourmente de la campagne française

Serge Coosemans Chroniqueur

Cette campagne électorale française, comme beaucoup d’autres ailleurs et avant, a été particulièrement atroce et a rendu les gens complètement fous, notamment sur les réseaux sociaux. Elle marque aussi la mort du vote Fight Club, le retour en forme de Michel Houellebecq et la vaine trollitude de Morrissey, estime Serge Coosemans. Pop-culture d’extrême droite et carambolages antifas, c’est le Crash Test S02E29.

1. La mort du vote Fight Club

J’ai connu en 2002 des Français tout à fait fréquentables qui ont voté Le Pen. Ils appelaient ça le vote Fight Club. Ce qui les motivait, ce n’était pas de parachuter Jean-Marie Le Pen à la tête de l’état mais bien que le pays devienne ingouvernable. Comme dans le film, un Projet Chaos. De la stratégie naïve: Jean-Marie Le Pen président, m’expliquaient-ils, la France se serait probablement bloquée. Il y aurait eu des grèves massives, des émeutes et, si pas un refus net de la classe politique classique d’alors accepter le résultat du vote, au moins de grosses difficultés pour le Front National à former un gouvernement viable. Au bout de quelques semaines, Le Pen aurait sans doute été acculé à la démission. Ce qui aurait fait imploser le Front National. À l’époque, je n’y croyais pas. J’ai même trouvé ce scénario complètement débile. Quinze ans plus tard, durant toute la durée de cet abominable entre deux tours de l’élection présidentielle française qui a rendu les gens complètement fous, surtout sur les réseaux sociaux, ça m’a par contre semblé drôlement moins bête, avec le recul.

Si la France avait voté Le Pen en 2002, pour le virer quelques jours ou quelques semaines plus tard, en serait-on effectivement vraiment là aujourd’hui, avec un Front National dont même les défaites sont désormais des (petites?) victoires? Avec une Marine Le Pen qui, à 48 ans, en a probablement encore pour 30 ans de vie politique active, autrement dit encore 6 chances de remporter une élection présidentielle? Avec un Florian Philippot qui pourrait très bien prendre la relève et en avoir, lui, pour au moins 40 ans à ronger un barrage républicain de toutes façons de moins en moins solide et perméable? Avec un FN certes toujours bien branquignolle mais qui, au gouvernement, pourrait désormais fonctionner comme fonctionnent l’administration Trump et l’équipe de Theresa May; tenir tant bien que mal malgré les maladresses, les incohérences, les propos orduriers, l’incompétence et une opposition féroce?

Autre question: qui -de gauche, de droite pépère, centriste ou anar- oserait encore politiquement se revendiquer de Fight Club, aujourd’hui que le film et le bouquin sont totalement récupérés par l’extrême-droite et l’alt-right, qui y voient à la fois une bible pour l’homme blanc revanchard et un mode d’emploi pour subvertir une société multiculturelle mondialiste? En gros, nous vivons d’ailleurs depuis une grosse année dans un univers qui pourrait être celui de Fight Club si les personnages y avaient réussi leurs desseins révolutionnaires. Tyler Durden et ses « singes de l’espace » sont à la Maison-Blanche, à Downing Street, désormais le principal parti d’opposition en France. En 2002, voter Fight Club, c’était placer son espoir dans l’anarchie humaniste et qu’il en sorte quelque-chose de frais, quelque-chose de bon. À partir de 2017, dans ce même esprit, il faudrait en fait fighter le Fight Club. Ce qui reviendrait donc à subvertir les idées et l’idéologie d’extrême-droite. À joyeusement saboter, troller et ridiculiser tout ce que font ses représentants plutôt que de surjouer continuellement la carte de l’indignation citoyenne. Ce n’est pas qu’un discours qui les a menés où ils sont tous aujourd’hui. C’est aussi une méthode. Qui marche. Bref, vivement des Fight Back Clubs un peu plus modernes que les traditionnels antifas à keffiehs.

2. Un petit porno, Michel?

Je n’ai jamais pris Michel Houellebecq très au sérieux. Pour moi, son plus grand talent, c’est de croquer le Français moyen dans toute son insignifiante médiocrité. C’est un écrivain que je suis essentiellement parce qu’il me fait drôlement marrer mais qui m’a jusqu’ici toujours plutôt ennuyé dès qu’il sort du cadre bouffon. Quand il imagine la vie éternelle, le sexe vu comme un modèle économique ou une présidence musulmane à la tête de la France, il reste selon moi toujours trop vague, illogique et dispersé. En fait, il se prend même souvent les pieds dans ses propres envolées. Son travail n’a jamais l’air fort documenté et sa récurrente excuse qu’il n’écrit pas des essais mais des romans, venant de lui, semble surtout servir d’alibi à beaucoup de fainéantise ou de manque d’imagination. Ainsi, dans Soumission, sa France musulmane n’est pas une seule seconde probable, c’est même un décor à peu près aussi crédible que la France ultra-libérale de 2017 sous Alain Madellin jadis imaginée par Riad Sattouf dans Pascal Brutal. J’ai donc été très agréablement surpris que Michel Houellebecq me paraisse en fait assez pertinent quand il a dernièrement parlé de ces maudites élections à la télévision sur le plateau de Léa Salamé et David Pujadas. Pertinent, frais et particulièrement en forme (il ne ressemble même plus au cadavre de Françoise Sagan). Mais sans doute est-ce aussi parce qu’il me semble bien qu’il s’y foutait royalement de la gueule du monde. Ce qui était sans doute la plus saine des attitudes à tenir ces quinze derniers jours.

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3. Bigmouth, ferme ta gueule

Ces dernières années, Morrissey a chanté, dit et publié bon nombre de nullités, dont une autobiographie incroyablement ramenarde et un roman d’une abyssale stupidité. Contrairement à Michel Houellebecq, quand il parle, Morrissey ne semble pas souvent se foutre de la tronche du monde. Au contraire, il a toujours l’air de penser qu’il est le seul être de l’univers à pouvoir réfléchir aussi profondément et à tenir des propos aussi justes. Même Daniel Bacquelaine et Paul Magnette ont parfois l’air de douter de la pertinence de ce qu’ils racontent. Morrissey jamais. Et donc, même si sa dernière sortie sur Marine Le Pen était surtout un bon alibi à balancer des piques à la BBC, à CNN et au Prince Philip, de vieilles marottes donc, Morrissey a dernièrement annoncé via Facebook avoir trouvé la présidente du Front National très, très bien durant son débat avec Macron. Et que personne à part lui n’osait le dire parce que ce n’était pas politiquement correct de le faire. Bref, that bloke isn’t funny anymore. À part ça, voilà, c’est fini. On va enfin pouvoir reparler jusqu’en 2022 de choses normales avec les Français (musique, pinard, etc.).

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