Tremblez, mortels !

Rival : " Il s'agit d'une oeuvre contemporaine commandée à l'artiste thaïlandais Anupong Chantorn. Le but étant que le musée propose ses propres apparitions. Elle donne à voir des moines sous la forme de revenants taraudés par la faim. Ceux-ci sont en réalité les seuls fantômes évoqués par les textes bouddhiques. Ces damnés le sont parce que, de leur vivant, ils ont abusé de la crédulité des fidèles en leur vendant des amulettes. Avec pas mal d'ironie, l'artiste a peint ces images sur des robes de religieux. " © photo s : Claude Germain, musée du quai Branly
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Au musée du Quai Branly, à Paris, se tient une exposition peuplée de figures sépulcrales qui font se dresser les poils. Zoom sur six oeuvres commentées par Julien Rousseau, le commissaire d’Enfers et fantômes d’Asie.

En imaginant une exposition autour des jardins des enfers thaïlandais et autres peintures de fantômes sur kakemono, Julien Rousseau, conservateur des collections Asie du musée du Quai Branly-Jacques Chirac, avoue avoir répondu à la demande de Stéphane Martin, le président de l’institution, qui en a pressenti la nécessité.  » Cette thématique traverse les différents pays d’Asie orientale et du Sud-Est, explique le commissaire d’ Enfers et fantômes d’Asie. On la retrouve surtout au niveau des croyances populaires. Il s’agit d’une extraordinaire et inattendue porte d’entrée sur toute une série de cultures dont le grand public n’appréhende pas forcément la complexité et les contours.  »

Figurine de Kappa :
Figurine de Kappa :  » Au Japon, le terme yokai est un nom générique pour désigner toutes les créatures surnaturelles. Certaines d’entre elles peuvent être associées à un lieu. Ainsi du Kappa qui habite les points d’eau et dont le statut est ambivalent, il n’est ni gentil, ni méchant, cela dépend des circonstances. Cette figurine très populaire sort tout droit de l’imagination de Shigeru Mizuki (1922 – 2015), le père fondateur du manga d’horreur. Il existe également des représentations de kappa beaucoup plus classiques. « © photo s : Claude Germain, musée du quai Branly

Plutôt que de s’appuyer uniquement sur la richesse de ses collections, le musée du Quai Branly a misé sur un propos plus large en convoquant un large panel de prêteurs : le musée de l’Orient à Lisbonne, qui a consenti un prêt de 99 oeuvres de la collection Kwok On ; le musée national des arts asiatiques-Guimet à Paris ; la bibliothèque municipale de Versailles; ainsi que plusieurs prêteurs privés. Cinq oeuvres contemporaines ont été commandées, et acquises, dans la foulée de l’événement. On les doit à quatre artistes thaïlandais – Uttaporn Nimmalaikaew, Thanongsak Pakwan, Anupong Chantorn, Preecha Rachawong – et un plasticien nippon, Masato Shibuya. Loin d’être anecdotiques, celles-ci témoignent de la richesse et de la persistance de ce fond d’effroi au sein des mentalités actuelles.

Masque de Nô :
Masque de Nô :  » Ce masque Nô dit Yase otoko représente le faciès d’un damné. Ce visage émacié au teint gris s’avère être un samouraï tombé dans les enfers. Habituellement, on a coutume de lier les fantômes au théâtre kabuki car les représentations de ce type sont plus spectaculaires, riches en maquillage et en effets spéciaux. Cet objet prouve que le spectre a également sa place dans le Nô. Cette sorte de théâtre existe depuis l’époque féodale. Il est extrêmement codifié et s’adresse à un public de connaisseurs. « 

Il ne faudrait toutefois pas se méprendre sur la fonction de telles représentations.  » Il y a quelque chose de très positif et de très humaniste dans ces histoires de fantômes, souligne Julien Rousseau. Il n’est pas seulement question d’effroi. Les spectres sont souvent là pour parler du monde des vivants. Ils sont comme des symptômes qui disent les maux de la société. Sans compter ceux, tels ces samouraïs en peine du théâtre Nô, qui sont totalement pacifiques. Ils évoluent parmi nous, juste pour ne pas sombrer dans l’oubli. Il s’agit d’une dimension très touchante. En travaillant sur cet accrochage, je me suis rendu compte que plus on connaît les fantômes, plus on les aime. « 

Affiche du film Phi ta bo :
Affiche du film Phi ta bo :  » Au contraire du cinéma d’horreur japonais, le cinéma thaï n’a aucune limite, il est supergore. Un spectre nippon va se contenter de tourmenter, pas le fantôme thaï. Dans ce cas-ci, il s’agit d’un homme qui s’est fait voler ses yeux par un médecin désireux de les greffer sur sa propre femme. Le fantôme de la victime est décidé à récupérer son dû. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, cette histoire d’yeux est loin d’être ce qu’il y a de plus effroyable dans les films d’épouvante thaïs. « 
Esprit Phi Phray :
Esprit Phi Phray :  » Cette « figure d’ombre », qui relève de la catégorie des objets utilisés dans les arts du spectacle thaï, est une entité surnaturelle associée à un lieu précis, qui va de la maison privée à la ville tout entière. Sa mission est de protéger les vivants qui, en retour, la nourrissent. Malheureusement, certaines morts accidentelles entraînent des esprits affamés errant très souvent dans les forêts. Ceux-là sont dangereux car ils cherchent à être nourris en prenant le contrôle de l’esprit de leur victime. « 
Peinture du fantôme d'Oiwa :
Peinture du fantôme d’Oiwa :  » Cette pièce est remarquable car il s’agit d’une peinture originale et non d’une estampe (image produite en série). De format kakemono (sorte d’affiche), l’image était utilisée à l’époque Edo lors de cérémonies à mi-chemin entre le jeu et la séance de spiritisme. Cent bougies étaient allumées et ensuite éteintes au fur et à mesure de cent histoires déclamées par les participants. Parmi ces contes, celui qui raconte le destin d’Oiwa, une femme brûlée à l’acide et jetée à la rivière clouée sur une porte, témoigne de la perfidie de son samouraï de mari. « 

Enfers et fantômes d’Asie : au musée du Quai Branly-Jacques Chirac, à Paris, jusqu’au 15 juillet prochain. www.quaibranly.fr

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