The OA, vers l’infini et l’au-delà

The OA: tout commence par la réapparition d'une jeune femme blonde, après sept ans d'absence inexpliquée. © DR
Nicolas Bogaerts Journaliste

La nouvelle série produite par Netflix évoque les relations entre la science, l’humain et le monde invisible. Entre tradition télé et innovations narratives, The OA est un objet culturel aux implications fascinantes.

Ecrite par Brit Marling, qui en assure aussi le rôle principal, et Zal Batmanglij, l’univers onirique et fantastique de The OA a pris par le revers un public encore tout émoustillé par Stranger Things. Sa critique froide du scientisme égotique, sa kitscherie mystique assumée, ses incongruences et son émotivité à fleur de peau ne doivent pas nous éloigner de son atout premier: un récit ambitieux qui s’ouvre à la manière des poupées russes.

La fille sur le pont

Tout commence par des images prises d’un smartphone: sur un pont, une jeune femme blonde court entre les voitures, rejoint la balustrade, balance un regard blanc en direction de l’objectif et saute dans l’eau froide. À son réveil à l’hôpital, on découvre qu’elle s’appelle Prairie et qu’elle est réapparue après sept ans d’absence en ayant recouvré la vue. Ses parents adoptifs accourus à son chevet sont sous le choc d’apprendre qu’elle se fait désormais appeler The OA (par homophonie, « the away », L’AO/ »Là-haut » en VF) et entreprend de retourner d’où elle vient, retrouver un certain Homer. Alors qu’elle tente malgré tout de reprendre une vie normale, son chemin croise celui d’une prof de lycée et de quatre adolescents (Steve, French, Buck et Jesse, tous par essence mal adaptés), à qui elle va secrètement révéler son histoire au gré de cercles de paroles nocturnes. Dans une série de flash-back, ils écoutent -religieusement?- son récit: sa captivité avec quelques autres (dont Homer) dans le sous-sol d’un savant fou, Hap (impeccable Jason Isaacs), servant de cobayes à des expérimentations pas cool sur l’au-delà. Car tous ont fait des expériences de mort imminente (EMI). De ces voyages hors du corps et dans un monde parallèle dont Hap leur impose la répétition, les prisonniers sont revenus avec les éléments d’une chorégraphie secrète qui leur permettrait, une fois réunis, d’échapper au danger voire de sauver des vies. En cours de route, des éléments découverts par les ados viendront perturber la véracité du récit de Prairie. Et si elle avait tout inventé? Qui croire et que croire?

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Drame, fantastique, science-fiction, récit initiatique: la trame de The OA est un entrelacs de genres qui joue avec les lois de la physique et donne à la narration des accents oniriques et humanistes. Brit Marling et Zal Batmanglij ont visiblement picoré dans le paranormal, la physique quantique, les récits christiques et angéliques, les roues de sagesse amérindiennes et autres rites chamaniques. Et bien sûr les expériences de mort imminente (EMI)(1), soit des cas de personnes cliniquement mortes mais revenues à la vie avec la sensation d’avoir quitté leur corps, vu la lumière au bout du tunnel, visité un autre monde. Celui de Prairie est constellé d’étoiles et de visions. Durant ses visites, elle reçoit les enseignements d’une femme qui pourrait être une chamane. La série marche alors sur une ligne à haute tension entre les expériences intrusives et sadiques de Hap qui replongent ses cobayes dans une mort temporaire pour faire rentrer l’invisible dans le domaine de la science, et la manière dont ses victimes vont tenter d’utiliser ces voyages célestes à leur avantage, avec pour seule arme leur foi dans le salut. Et c’est ici le vieil antagonisme entre une rationalité qui dérive vers le besoin de contrôle total, et le monde sensible, spirituel, non chiffrable, qui est réactivé. Dans une interview à The Atlantic, Marling pointait assez justement le fait que les connaissances scientifiques sur les EMI reposent sur des hypothèses et surtout largement sur des témoignages: « Pour conduire ses recherches, la science se base sur les histoires de ceux qui sont revenus. En tant que raconteuse d’histoires, je trouve que c’est un outil fascinant. »

Brit Marling, co-auteure de la série, en assure aussi le rôle principal.
Brit Marling, co-auteure de la série, en assure aussi le rôle principal.© DR

Au-delà du réel

Ces réflexions autour de la science et du paranormal ne sont pas sans rappeler d’autres séries. On songe évidemment au old timer La Quatrième Dimension (1959), dont les tonalités sombres réfléchissaient celles de la société américaine de l’époque. Plus tard, Au-delà du réel (1963-1965) intégrait une dimension sociale et politique en pointant les limites d’une science utilisée à des fins mégalos. Dans une veine parano, Le Prisonnier (1967) oscillait entre science-fiction et fantastique très sixties et british. Le personnage du N°6 incarné par Patrick McCoohan se retrouvait lui aussi dans une forme allégorique de réclusion dont le but, pour les autorités qui le détenaient, était de collecter des informations. Dénonçant le délire de contrôle poussé jusqu’à l’absurde totalitariste, la série montrait que la délivrance pour N°6 était dans la résistance. Dans The OA, il s’agit de s’enfouir plus profondément en soi (à travers les expériences de mort, ou la danse rituelle), pour parvenir à s’évader. Ce flirt avec les notions de lâcher prise, de pleine conscience et de foi, concepts usés jusqu’à la corde par le développement personnel, situe d’ailleurs parfaitement The OA dans son époque.

La structure de récit à clés imposée par les flash-back et les indices disséminés dans les épisodes, l’intervention conjointe du surnaturel et de la science font évidemment penser à Lost -tout comme les théories et exégèses qui ont pullulé sur le Web. Enfin, la notion de croyance renvoie immanquablement à The X-Files, série qui a contribué à ériger les phénomènes paranormaux en piliers de la culture populaire, et ce poster qui ornait le bureau de Fox Mulder: « I want to believe« .

Suspension volontaire de la crédulité

Lorsqu’une journaliste s’incruste dans le repas familial pour convaincre Prairie de lui laisser raconter son histoire dans un livre voué à devenir best-seller, elle lui professe: « Storytelling is cleansing »(« raconter c’est nettoyer »). Mais la jeune femme choisit de rester maître de son propre récit. C’est probablement là que réside la trouvaille de The OA: plus encore qu’une série sur la science, elle est une réflexion sur le pouvoir du storytelling, l’impact des histoires pour construire un message, traverser les crises, les tragédies, soigner ou refouler les traumas, mobiliser une communauté. Par un processus de mise en abyme, elle nous donne à voir les effets sur son petit auditoire de la suspension volontaire de la crédulité (« willing suspension of disbelief »). Lorsque Prairie/The OA parle à ses cinq aficionados, ils sont systématiquement transfigurés par l’émotion, ils sont dans le récit, ils y adhèrent. Ils choisissent d’y croire. Et les incohérences de son histoire, révélées par des découvertes matérielles, des lapsus et l’écho des nombreuses ellipses du scénario, n’affectent jamais complètement cet état.

Ainsi, The OA pose la question de la transmission de la connaissance, la transmission de l’histoire comme récit construit. Ce faisant, elle prend le risque de décevoir son public en réveillant son incrédulité. Y compris dans l’apothéose du dénouement final qui a autant ému et bouleversé qu’il a pu agacer ou décevoir. Dans cette scène qui réveille un des pires démons de l’Amérique contemporaine (non, pas de spoiler), la charge émotive est démultipliée par un éloge visuel de la communauté des humains, dont les efforts conjoints dans la solidarité, la compassion, ouvrent le chemin de la rédemption, de la résilience et, probablement, d’un nouveau monde. Toutes choses dont celui-ci a grandement besoin.

THE OA, SAISON 1, 8 ÉPISODES. SUR WWW.NETFLIX.COM

Résonances

The Leftovers

Les deux saisons de cette admirable série métaphysique posent la question de la foi, en tant qu’énergie tendue vers une certitude en point de fuite, là où l’espoir et l’existence se rejoignent. Jarden (Texas) est une sorte de sanctuaire où vivent et s’abritent ceux que qu’un « Départ Soudain » a épargnés. Alors que le progrès se révèle impuissant à résoudre leurs souffrances, les révélations et les rêves mystiques jouent un rôle prépondérant dans un récit traversé d’émotions.

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Westworld

Dans son futur proche ultra technicisé, la série créée par Jonathan Nolan et Lucy Joy pour HBO dénonce l’illusion du contrôle et du pouvoir technologique, dans une allégorie des relations maîtres et esclaves, élites et prolos. Dans un scénario audacieux, la science ne permet pas seulement à l’humanité de faire un bond de géant dans la connaissance, elle a pour dessein d’assouvir le besoin de reconnaissance, de pouvoir et de contrôle sur les autres. Audaces formelles et scénaristiques au rendez-vous.

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Stranger Things

Produite par Netflix, la série proustienne des Duffer Brothers, située en 1983, propose des thématiques similaires: un groupe d’ados initiés aux mystères d’un monde parallèle responsable de plusieurs disparitions par une jeune fille dotée d’un pouvoir surnaturel. Le surnaturel de Stranger Things fait partie d’une to-do list exhaustive du parfait trip rétromaniaque, alors que The OA réussit à mettre sur pied un univers qui ne suit rien d’autre que son propre plan narratif. En clair: Stranger Things est un (très bon) produit, The OA est un scénario.

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Twin Peaks

Très peu de choses ont filtré sur la teneur de la nouvelle saison de cette série culte et séminale créée par David Lynch et Mark Frost, dont le retour est annoncé en mai prochain. Si elle ressemble un tant soit peu aux deux premières saisons diffusées en 1990 et 1991, on peut s’attendre à une bonne dose de mystère, de surnaturel, de fausses pistes, de morale mystique, de kitsch inexpliqué, ainsi qu’un certain goût pour la culture du récit à clés. Toutes choses que Twin Peaks a introduites dans le récit télé et que The OA fait fructifier à bon escient.

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(1) VOIR LES RECHERCHES DE SAM PARNIA DE L’UNIVERSITÉ DE NEW YORK. RAYMOND MOODY, LA VIE APRÈS LA VIE, ÉDITIONS J’AI LU, 2003. STÉPHANE ALLIX, LE TEST. UNE EXPÉRIENCE INOUÏE: LA PREUVE DE L’APRÈS-VIE?, ?ÉDITIONS ALBIN MICHEL, 2015.

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