Laurent Raphaël

Silence dans les rangs!

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’édito de Laurent Raphaël

À entendre nos collègues expectorer, tousser ou, sommet de raffinement ORL, se racler la gorge, on se dit qu’il est temps de sortir du frigo cette question métaphysique essentielle qui nous taraude depuis perpète: pourquoi lors d’un concert ou d’un spectacle, entre 2 notes ou 2 répliques de préférence, il y a toujours quelqu’un dans l’assemblée qui se croit obligé de se moucher, d’éternuer ou de s’étouffer, ou les 3 en même temps? Et ce peu importe la saison. Avec des conséquences variables selon le registre. A un concert de The Horrors, toute la salle peut se torcher les sinus en choeur, personne ne s’en apercevra. En plein milieu d’un set d’Agnès Obel, c’est déjà plus délicat. Un ramonage de cheminée dans le pli d’un accord de porcelaine risque fort de casser l’ambiance monastique. Et que dire alors d’une sonate de Bach? Le moindre toussotement, même étouffé, confine ici au terrorisme. Une personne incommodée, et c’est 100, 200 ou 1000 autres qui paient l’addition.

Le public n’est d’ailleurs pas la seule victime de ce hooliganisme soft non réprimé. Les artistes doivent composer chaque soir avec ce facteur de risque. Sauf au Japon apparemment où la population arrive à se bâillonner (on n’en attendait pas moins de ce peuple à la politesse légendaire). Comment font-ils? Mystère. Mais on imagine les spectateurs nippons se précipitant dehors à la fin de la représentation pour se débarrasser des meutes de chats coincés dans le larynx…

Si la plupart des performeurs font la sourde oreille aux mugissements parasites, continuant comme si de rien n’était, certains réagissent avec humour. On se souvient ainsi d’Antony Hegarty au Bozar demandant si quelqu’un pouvait venir en aide à la personne qui était en train de s’asphyxier au balcon. Toujours à Bruxelles, rapporte le site Largeur, le pianiste classique Alfred Brendel, confronté à un public particulièrement catarrheux, aurait lâché son clavier et se serait tourné vers l’auditoire pour lui lancer: « Je vous entends, mais je ne suis pas sûr que vous, vous m’entendiez. »

Certains sont moins philosophes et prennent carrément le public en… grippe. Keith Jarret est connu pour faire la chasse aux photographes mais aussi aux reniflements intempestifs. Lors d’un passage à Paris dernièrement, le jazzman a signalé qu’il ne tolèrerait « qu’une toux par morceau« . Pas plus. Sous peine de déguerpir. Une menace qu’il a déjà mise à exécution à plusieurs reprises… A sa décharge, l’effet de contagion propre aux salles de spectacle a de quoi agacer. Un toussotement en entraînant un autre. Puis un autre. Et ainsi de suite.

Il y aurait une hypothèse séduisante à formuler: et si tous ces perturbateurs étaient des situationnistes de connivence qui participaient à une sorte de happening subversif? Plus prosaïquement, c’est sans doute juste une question de stress. Parce qu’ils savent qu’ils doivent se taire, les gens craquent. Trahis par leurs nerfs, ils déclenchent ce qu’ils redoutent. Un peu comme quand on se concentre tellement pour ne pas tomber qu’on finit par trébucher. Installer des distributeurs de pastilles à la menthe à l’entrée des salles ne servirait donc à rien. Surtout que ce n’est pas une armée de bouches en marche qui va ramener le silence. On a déjà assez à faire avec les chuintements, déglutitions et masticages au cinéma!

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