Pour Mawda: deux projets théâtraux proposent de porter un regard différent sur l’affaire

Dans Violences, Léa Drouet évolue dans une installation faite de sable, de projecteurs sur pieds et de villes miniatures. © cindy sechet
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Alors que les jugements sont rendus à Mons et à Liège, deux projets théâtraux, Violences et Mawda ça veut dire tendresse, proposent de porter un regard différent sur l’affaire Mawda. Provisoirement à travers une captation pour l’un, un podcast pour l’autre.

« Si la violence était la scène centrale d’un tableau, ma volonté était de regarder de plus près mais aussi ce qu’il y a autour, au second plan, dans le flou, et de voir comment ces histoires de violence recouvrent des histoires de solidarité, de résistance », explique Léa Drouet à propos de Violences (1). Ce seul-en-scène qui aurait dû être créé en mai 2020 au Kunstenfestivaldesarts, reporté à l’édition 2021 mais actuellement visible en captation sur Auvio, dresse un parallèle entre le parcours de la propre grand-mère de Léa Drouet, Mado, petite fille juive emmenée en lieu sûr grâce à des amis de ses parents, et celui de Mawda Shawri, morte à 2 ans d’une balle tirée par la police lors d’une course-poursuite sur la E42, près de Mons, le 17 mai 2018, alors que sa famille kurde venant d’Irak tentait de rejoindre la Grande-Bretagne dans une camionnette avec d’autres migrants. L’une a survécu à ce passage clandestin de frontière. L’autre pas.

Si on u0026#xE9;tudie un peu les trajets d’exil que ces personnes entreprennent, on se rend vite compte qu’il n’y a aucune voie lu0026#xE9;gale.

« Mettre l’histoire de Mawda en écho avec celle de ma famille permettait d’abord que les gens sachent depuis où je parle, et pourquoi cette histoire me touche, souligne la comédienne et metteuse en scène. Mais c’était également une façon de travailler sur les représentations qu’on peut avoir des choses. Parce qu’ aujourd’hui, les migrants sont criminalisés et les passeurs encore plus, considérés généralement comme des monstres qui profitent de la souffrance des gens, ce qui est parfois le cas. Par contre, les passeurs du passé, par exemple ceux qui ont sauvé des enfants juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, sont, de notre point de vue actuel, plutôt des héros. Alors qu’eux non plus n’agissaient pas tous sans intérêt. »

Dans cette volonté de « travailler les représentations », Léa Drouet fait flotter son récit dans un monde suspendu, à la manière d’un conte, et en utilisant des périphrases qui évitent les étiquettes et les préjugés qu’elles charrient. « Il fallait absolument traiter le sujet avec de la douceur. Parce que pour ma part, chaque fois qu’on me parle de quelque chose de brutal de manière brutale, je m’en éloigne, je n’arrive pas à l’entendre. Ce sont des histoires tellement difficiles qu’on se protège. »

Inégalité

La douceur employée n’empêche pas Léa Drouet de livrer la cruauté de la mort de Mawda et de ce qui a suivi, comme les thèses avancées de l’enfant-bélier et de l’ enfant-bouclier, ou la manière dont, sans la mobilisation de militants, le corps de la petite fille aurait fini sans bruit dans un carré des indigents. Elle décrit précisément la manière dont les passagers de la camionnette, une fois celle-ci arrêtée, ont été traités et comment la fillette ensanglantée a été arrachée à ses parents.

Cette interpellation sans ménagement figure aussi, identique presque mot pour mot, dans le podcast Le prévenu que personne n’a entendu (2), produit par le KVS et disponible sur Spotify et YouTube, centré sur la reconstitution du témoignage du jeune Irakien Jargew D., chauffeur de la camionnette, que le procès de Mons a condamné à une peine de quatre ans de prison ferme. Kristin Rogghe, son autrice et narratrice dans la version néerlandophone, a suivi les procès de Mons et de Liège, dans le cadre de la préparation du spectacle Mawda, ça veut dire tendresse, créé en collaboration avec la comédienne et metteuse en scène Marie-Aurore D’Awans et la réalisatrice Pauline Beugnies, prévu pour cet automne. Retraçant notamment le parcours des parents depuis l’Irak, Mawda, ça veut dire tendresse entend offrir un autre point de vue sur les faits. « Certains avancent que ces gens n’avaient pas à être dans cette camionnette, qu’ils ont eux-mêmes décidé de fuir et de se mettre en danger, relève Marie-Aurore D’Awans. Mais si on étudie un peu les trajets d’exil que ces personnes entreprennent, on se rend vite compte qu’il n’y a aucune voie légale. Cette méconnaissance des choses me fatigue et m’énerve. »

La reconstitution distillée dans le podcast a été permise par la retranscription du procès effectuée par Kristin Rogghe. « A un moment donné, j’ai commencé à noter tout ce qui était dit, rappelle-t-elle. C’était possible parce qu’il y avait une pause après chaque petite phrase, pour laisser le temps de traduire dans deux langues. Au départ, nous n’avions pas prévu de parler de l’affaire avant la fin du procès, parce que comme beaucoup de gens, on se disait qu’il fallait laisser faire la justice. Mais en voyant comment ça se passait, en étant témoin du traitement inégal entre les différents prévenus, le policier d’un côté et les deux Irakiens de l’autre, inégalité encore amplifiée par la manière dont les médias ont couvert le procès, nous avons pensé qu’il fallait faire quelque chose, parler de ce que nous avions vu. Au travers de ce podcast, il est important pour nous d’aborder des enjeux plus larges, comme la politique migratoire et l’impunité de la police. Ces deux points nécessitent une commission d’enquête parlementaire. » C’était aussi la demande de l’avocate de la famille de Mawda, Selma Benkhelifa, à l’issue du procès montois. Reste à voir si elle sera entendue.

(1) Violences : disponible sur Auvio, prévu du 14 au 17 mai au Kunstenfestivaldesarts à Bruxelles.

(2) Le prévenu que personne n’a entendu : podcast disponible sur Spotify, YouTube et via kvs.be.

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